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Culture & Lifestyle

Comment l’écologie a transformé la pop culture (et vice versa)

En cette veille de Earth Day, j'ai voulu comprendre les liens étroits qui lient la pop culture et l'écologie.

C’est un fait indiscutable : l’écologie est devenue un phénomène culturel majeur. Si nier la problématique environnementale est aujourd’hui le signe d’un esprit rétrograde, cela ne fut pas toujours le cas. Je suis issu de la génération X et lors de mon adolescence pendant les 90’s, les inquiétudes écologiques étaient secondaires : elles étaient pour moi la chasse gardée de vieux hippies soixante-huitards qui n’étaient jamais redescendus de leur trip. Question de contexte. Durant cette décennie, après l’effondrement de l’empire soviétique, l’hypercapitalisme semblait constituer l’horizon absolu de l’humanité. Surconsommation, surindustrialisation, règne de la finance… Le fric et la réussite à tout prix résonnaient comme un leitmotiv étouffant. 

Bien entendu, ma génération sentait que la machine tournait à plein régime et qu’elle allait se détraquer un jour. Pour calmer notre mal-être, nous pouvions nous réfugier dans les riffs nihilistes et violents du grunge. No future. Si le bateau coulait, pourquoi ne pas couler avec lui, puisque tout était aussi WTF qu’un vautrage dans une vidéo des Jackass. 

L’écologie n’est pas née hier, son histoire est longue et complexe – saluons ses pionniers (Ivan Illich, Rachel Carson, André Gorz…) – mais il faut bien dire que, ces dernières années, elle est plus que jamais au centre des préoccupations. Sans doute que l’effet visible du réchauffement climatique, de la pollution plastique, l’apparition de pandémies et autres aberrations environnementales ont rendu beaucoup moins abstraits les multiples warnings qui nous étaient destinés. Surtout, l’écologie a trouvé dans ta génération un écho inespéré. Plus consciente, plus empathique mais aussi plus éco-anxieuse, elle s’est emparée de cette question pour la mettre sur le devant la scène sociétale et la déringardiser. La pop culture étant toujours le résultat de la sensibilité d’une époque, je me suis alors demandé comment l’écologie avait transformé la pop culture et, inversement, comment la pop culture avait hypé l’écologie. 

 

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Une pop de plus en plus green 

“De 2018 à 2019, les différents discours de Greta Thunberg – et surtout son ‘How dare you’ lancé à la face des dirigeants du monde à l’ONU – ont été un véritable turning point pour les luttes écologiques. Ce qu’elle a représenté, les mouvements mondiaux concomitants comme Youth for Climate, Fridays for Future ou Extinction Rebellion, tout ça marque une mobilisation historique et décisive de la jeunesse”, m’explique Philippe Boudes, sociologue de l’environnement. Si le sentiment d’éco-anxiété était sous-jacent (près de 60 % des 15-25 ans affirment en souffrir), Greta Thunberg a su mettre les mots dessus et créer une ligne de fracture nette intergénérationnelle (avec le lapidaire “OK boomer” comme symbole). 

Concerné.e.s par ces problématiques, les artistes sont des humains comme les autres – la popularité en plus –, et il n’est pas étonnant que cette éco-anxiété ait été le plus gros trend de la pop culture en 2019. Par exemple, le tube “Old Town Road” de notre cover-star Lil Nas X (qui est resté longtemps en tête des charts) a pour message profond les risques du changement climatique, comme ce dernier le clame dans une série de tweets : “Quand je dis que j’ai les ‘chevaux dans le dos’, c’est en référence au fait d’inverser le changement climatique actuel, à la pollution de l’eau et au climat politique catastrophique dont nous sommes les témoins en ces temps difficiles.”

Plus explicite, le clip de “All the Good Girls Go to Hell” de Billie Eilish montre des paysages sombres, arides et enflammés avec pour prérefrain : “Hills burn in California/My turn to ignore ya/Don’t say I didn’t warn ya.” La même année, en l’honneur du Earth Day, le rappeur Lil Dicky avait réuni tout Hollywood (Ariana Grande, Leonardo DiCaprio, Miley Cyrus, Katy Perry, Adam Levine…) pour son clip “Earth”. “Je dirais que je suis en train de mûrir et que je voudrais trouver un moyen d’impacter l’humanité du mieux que je peux, au-delà de mes blagues de pénis et de pets habituelles”, expliquait Lil Dicky au magazine Time à l’époque. En 2020, Grimes intitulait son album Miss Anthropocene (l’anthropocène est une nouvelle époque – la nôtre – qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre) en se présentant comme “une déesse anthropomorphique du changement climatique”. 

Si l’écologie a une influence significative sur le discours – le sens – de la pop culture, elle a également un effet sur sa forme. Je retrouve ainsi toute la grammaire visuelle de l’apocalypse, de la catastrophe, de la fin du monde, de la “darkness” chez Billie Eilish ou Grimes, mais également celle plus positive de l’éthique green, credo incarné par notre cover-star Lorde. À propos de son dernier album Solar Power (2021), la Néo-Zélandaise expliquait au Guardian : “Les artistes doivent raconter des histoires d’amour sur le climat comme un moyen d’encourager les gens à retomber amoureux de la nature.” Une love story qui se matérialise par des clips apaisants, résilients et bio-friendly à l’image de celui de “Solar Power”, dont l’ambiance est très néohippie (plage ensoleillée, salutation au soleil, cabanes en bois…). Bien qu’elle se défende d’être une militante pour le climat, Lorde pousse la logique éco-friendly jusqu’au bout en proposant pour cet album une “music box” respectueuse de l’environnement (disque remplacé par une carte de téléchargement, une boîte sans plastique faite à 100 % en carton recyclé biodégradable…) ; et joint la parole aux actes en transformant son comportement au quotidien.

La musique n’est heureusement pas le seul secteur culturel à pusher cette prise de conscience. Une série comme Big Littles Lies consacre un épisode entier au sujet et la dernière saison de The Affair fait un bond temporel de plus de trente ans dans un futur frappé par le changement climatique. Un bon paquet de documentaires font aussi merveilleusement bien le job pour sensibiliser l’opinion publique (Down to Earth, A Plastic Ocean, Rotten, My Octopus Teacher, Our Planet, Ice on Fire…). Le cinéma n’est pas en reste avec Dark Waters, La Reine des neiges 2, Dune et toute une lignée de “cli-fi movies” qui ont pour thème les problèmes environnementaux. Mais le film qui m’a le plus touché est à cette heure Don’t Look Up – deuxième plus gros succès d’audience de tous les temps sur Netflix –  qui est une véritable allégorie des risques de l’inaction humaine face au chaos écologique (la comète évoquant cette menace, immanquablement). 

Dans ce film, l’un des premiers rôles est tenu par Leonardo DiCaprio, passé maître dans l’art du “celebrity green speech”, avec un discours très convaincant à l’ONU en 2014 (déjà !) et la production de nombreux docus sur le réchauffement climatique. Une autre célébrité s’est illustrée dans cet exercice, Joaquin Phoenix. En 2020, lors de la remise de l’Oscar du meilleur acteur, il déclare, devant une assemblée acquise à sa cause : “Je pense que nous sommes devenus très déconnectés du monde naturel, et beaucoup d’entre nous sommes coupables d’une vision égocentrique du monde, la croyance que nous sommes le centre de l’univers. Nous allons dans le monde naturel et nous pillons ses ressources. […] Mais les êtres humains, à leur meilleur, sont si inventifs, créatifs et ingénieux, et je crois que lorsqu’on utilise l’amour et la compassion comme principes directeurs, on peut créer, développer et mettre en œuvre des changements systémiques qui sont bénéfiques pour tous les êtres sensibles et pour l’environnement.” Un clou de plus dans le cercueil des réacs. 

Une hype écologique ?  

Les activistes, les militants et la jeunesse d’abord. Puis un discours relayé par les artistes, les célébrités et les leaders d’opinion. Ce processus prend la forme d’une “mainstreamisation” évidente et de la constitution d’un puissant soft power green. Il existe ainsi un double mouvement entre, d’une part, la transformation de la pop culture par l’écologie et, d’autre part, la mutation culturelle de l’écologie à travers la pop culture. Ce double mouvement crée une caisse de résonance efficace qui agit sur le grand public. Autrefois l’apanage de spécialistes, d’hommes politiques et de doux rêveurs, l’écologie s’est déghettoïsée et “coolifiée” pour permettre sa réappropriation par la sphère collective, entraînant une constellation d’initiatives allant dans le bon sens. 

Par exemple, le monde de la mode – particulièrement polluant – entame un processus de rédemption et les pratiques green y trouvent désormais une belle visibilité (comme chez ces marques suédoises). Dans le rang des bons élèves, on trouve la marque brésilienne Melissa Shoes, dont les chaussures sont certifiées 100 % véganes, “cruelty-free” et entièrement recyclables ; MaisonCléo travaille sur des tissus récupérés chez les créateurs, les maisons de couture ou les usines. Kitesy Martin fabrique ses bijoux à partir de pièces vintage chinées ; Virón produit des chaussures faites avec des déchets de pommes ; Avellano confectionne ses fameuses pièces avec du latex made in Paris… La liste s’allonge chaque jour et s’inscrit dans les rayons d’un cercle qui semble vertueux. 

“Avant 2019/2020, on me prenait pour une sorcière”, me raconte au téléphone Stéphanie Calvino, fondatrice d’Anti_Fashion Project. Me confirmant qu’il y a eu un certain “effet Greta Thunberg” accéléré par la crise du Covid, elle m’explique que son projet précurseur et innovant n’a pas toujours été très audible : “Anti_Fashion Project a été créé en 2016 et impulsé par le manifeste de Lidewij Edelkoort, qui est une prescriptrice de tendances. C’est le genre de personne qui va vous dire que, dans trois ans, vous mangerez bio, roulerez en voiture électrique et habiterez dans une maison en bois. En 2015, elle a donc publié ce manifeste qui s’appelle Anti-fashion et qui explique en substance que la mode (et pas que) est arrivée à la fin d’un système et qu’il fallait revenir à des choses beaucoup plus fondamentales. Ce qui est très actuel maintenant mais l’était beaucoup moins il y a sept ans.” 

La spécificité d’Anti_Fashion Project, et qui a excité mon intérêt, c’est qu’il renouvelle les pratiques de la mode et de l’écologie en les liant à des problématiques sociales : “Avec Sébastien Kopp, le cofondateur de VEJA, on s’est dit que la mode pouvait être un vecteur d’insertion. On a donc commencé à développer un programme de mentoring destiné aux jeunes issus des quartiers prioritaires. Le constat de Sébastien, c’était de se dire que, dans ces quartiers, ça grouille de créativité, qu’il fallait aller la chercher et créer des passerelles. On a lancé des ateliers d’éloquence, d’upcycling, on anime des conférences. On leur donne tout ce qu’on peut pour essayer, à un moment donné, qu’il y ait des choses qui se passent, et en même temps les sensibiliser à une consommation plus propre, plus éthique, d’acheter de la fripe. Tout ce qu’on fait est un acte politique.” Elle finit notre discussion sur un ton plutôt optimiste : “Le green est à la mode, c’est bien. Tant mieux pour la planète. Si, au final, on arrive à faire bouger les lignes, semer des graines pour l’avenir, on aura fait un pas énorme.”

Pour ne pas conclure cet article, il est désormais limpide que la pop culture et l’écologie fonctionnent en vases communicants et instaurent l’une dans l’autre un climat propice aux changements des mœurs individuelles et collectives. Mais il existe un écueil sur lequel il ne faut pas se fracasser le nez : celui du green washing. Si l’engagement de certains artistes et de certaines marques est réellement sincère, pour d’autres, il s’agit de surfer hypocritement sur un phénomène de mode. Or, le souci de l’environnement n’est pas une simple tendance jetable, c’est une manière d’exister et de penser qui doit traverser les siècles, quitte à déconstruire les fondements de nos sociétés. Happy Earth Day à tous.tes et surtout, happy Earth Day à toi, la Terre.  

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