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Musique

Lorde, Âme Royale

Millennial malgré elle, Lorde a fait le choix de la déconnexion avant de revenir sur le devant de la scène à la fin de cet été avec son troisième album, Solar Power. Une expérience auditive de reconnexion à l’essence vitale qui sommeille en chacun de nous.

Photographe : Ophelia Mikkelson Jones

Voilà bientôt dix ans que le monde évolue et grandit aux côtés de l’artiste néo-zélandaise Lorde. Née en 1996, l’interprète de “Royals” n’a que 16 ans lorsque son single la propulse sur le devant de la scène en 2013. Mystérieuse et un poil irrévérencieuse, Lorde s’impose avec la classe et l’élégance d’un morceau minimaliste porté par un texte qui maudit l’élite et célèbre les misfits. Quelques mois plus tard, la sortie de Pure Heroine, son premier album, confirme son talent dans un condensé de hits sombres imprégnés d’humeur lascive, de noirceur et de rébellion juvénile. 

En 2014, Lorde est consacrée aux Grammy Awards, couronnée des prix de la chanson de l’année et de la meilleure prestation pop solo. “Un moment où tout bascule”, décrit-elle. Une nouvelle vie qui commence et pourtant, fidèle aux paroles de son tube planétaire, Lorde garde les pieds sur terre. Après avoir brièvement disparu de la circulation, elle publie Melodrama en 2017, un second album sur lequel l’artiste embrasse la pop tout en poursuivant les expérimentations de son premier opus. Après une tournée de shows spectaculaires et avoir été adoubée à l’unanimité à travers le monde entier, Lorde annonce en 2019 qu’elle met sa carrière en pause avant de laisser à nouveau place à un long silence.

Après cette période de déconnexion, l’artiste a fait son retour en sortant son troisième opus fin août, Solar Power. Inspirée par un voyage en Antarctique, qui a suscité une véritable prise de conscience, elle décide de composer un disque en hommage à la nature. Si elle ne se définit pas comme une militante, Lorde admet avoir “une relation très particulière à la nature”. Un lien tissé depuis l’enfance, qu’elle dit tenir du pays dans lequel elle a grandi, la Nouvelle-Zélande. Outre attirer nos regards sur l’urgence climatique que nous vivons, Lorde rend hommage à sa terre avec Solar Power. Alors qu’elle imprime, une nouvelle fois, l’âme de sa génération en se saisissant d’un sujet brûlant, c’est aussi l’esprit d’une Lorde adulte qui se dessine, apaisée et clairvoyante, loin de la rébellion de Pure Heroine et des larmes de Melodrama, qui semble sortir de sa chrysalide pour illuminer le monde d’un éclat solaire. 

Photographe : Ashlan Grey
Veste, soutien-gorge et pantalon PARIS GEORGIA
Collier, boucle d’oreille et bague MEJURI

Hey Lorde ! Ça fait bientôt trois ans qu’on n’avait pas eu de nouvelles de toi. À quoi ressemblait ta vie ces derniers temps ?

Je suis quelqu’un d’assez rêveur, nostalgique… J’aime être à la maison, cuisiner, me détendre dans le jardin et faire des ballades. Ces dernières années, j’ai passé mon temps à lire, à penser et à écrire. Mon quotidien était vraiment très tranquille, ce qui m’a en partie inspiré à composer Solar Power.

Comment cet album est-il né ?

J’ai commencé en 2019, peu de temps après la fin de ma tournée Melodrama. De mon point de vue, il n’y a pas vraiment eu de pause en vérité. Visiter l’Antarctique m’a ouvert les yeux. C’est à ce moment que j’ai réalisé que je voulais écrire à propos de l’environnement, et de la sensation que l’on ressent lorsque l’on est entouré par la nature. Comme souvent, j’aime démarrer par une note d’intention pour avoir en tête l’idée autour de laquelle je veux construire mon album. Le reste a consisté en des allers-retours de mon piano au studio : un processus au cours duquel je me suis sentie particulièrement libre.

C’était comment l’Antarctique ?

La région dans laquelle j’ai grandi est une des plus proches de l’Antarctique. C’est vraiment la porte à côté. M’y rendre a toujours été mon souhait depuis que j’étais enfant. Il y a deux ans, j’ai commencé à prendre conscience du changement climatique, et de ce que le futur pourrait nous réserver. Je me suis dit que j’allais cligner des yeux et me réveiller dans un monde complètement différent d’ici quinze ans. Imaginer qu’il puisse ne plus être possible de visiter l’Antarctique dans un futur proche m’a donné envie de m’y rendre sur-le-champ.

Sur place, tout m’a paru irréel. Tu ne peux pas détourner ton regard de l’environnement qui t’entoure en Antarctique. La nature y est omniprésente, comme un dieu auquel tu ne peux pas arrêter de penser. Tu ne peux pas prendre une décision sans prendre en compte ce qui est en train de se passer dehors. Cette relation avec l’environnement m’a inspirée. Lorsque l’on est chez soi, on oublie vite le monde qui nous entoure. Depuis mon retour, j’essaie de traiter le monde extérieur de la même façon que j’ai pu le faire là-bas.

La Nouvelle-Zélande a-t-elle influencé ta relation avec la nature ?

Absolument. La nature occupe énormément de place dans notre vie en Nouvelle-Zélande. Grandir ici, c’est avoir une compréhension très spécifique de la nature. Il y a les paysages, les côtes mais aussi une certaine éducation à la préservation de l’environnement ou à des techniques de pêche plus respectueuses par exemple. Ces valeurs nationales sont l’héritage des peuples maoris qui vivent ici depuis toujours.

Photographe : Ashlan Grey

Comment as-tu traduit toutes ces réflexions en musique ? 

J’ai voulu que l’album sonne comme une ballade en nature. C’est la raison pour laquelle ses sonorités sont si différentes de celles de mes précédents projets : des synthés massifs et une 808, ça ne sonnait pas juste. C’était étrange pour moi car je programme des batteries depuis que je suis gamine, et j’ai toujours aimé les sonorités très riches. J’ai senti l’envie d’aller ailleurs, alors je l’ai fait et j’espère avoir pu transcrire mon intention du mieux possible.

Je crois qu’il est de mon devoir de musicienne de surprendre. Si j’avais sorti un disque et que le public s’était dit “C’est exactement ce à quoi je m’attendais”, cela signifierait que je n’ai pas bien fait mon travail. Je veux que chacun de mes albums grandissent avec celles et ceux qui les écoutent. C’est précisément l’expérience que propose Solar Power. 

Au-delà du propos, tu as annoncé que Solar Power ne serait pas commercialisé sous forme de CD et que ta tournée sera pensée afin de répondre aux exigences de la crise climatique. Penses-tu que l’on oublie trop souvent de joindre la parole aux actes ?

Je crois que c’est une des choses dont j’ai pris conscience récemment. En prenant mes distances avec le monde extérieur, j’ai eu le temps de m’interroger sur le bien-fondé des pratiques de l’industrie musicale. Lorsque j’ai sorti mon premier EP en téléchargement libre, j’aimais cet esprit de liberté. Puis de l’eau a coulé sous les ponts, et j’en viens à penser aujourd’hui au nombre de t-shirts qui ont été produits dans le monde entier par ma faute. Il faut penser à tout cela. La façon dont je gère ma carrière est-elle la plus sensible, respectueuse et intentionnelle ? Je suis à un moment de ma vie où je veux pouvoir être en accord avec ce que je fais et les raisons qui me poussent à le faire.

Que peut-on faire pour enrayer cette crise écologique ?

Pour être honnête, c’est une question très délicate. Je crois que le plus simple est de commencer par penser à son impact personnel. On peut voir que de plus en plus de personnes abandonnent leurs pratiques les plus polluantes. En ce qui me concerne, j’ai pensé à ne plus jamais faire de tournée ou à ne plus jamais monter dans un avion… Tout ce que nous pouvons faire, c’est prendre des résolutions individuelles et parler de ces problèmes, poser des questions, utiliser nos voix. Mais quoi qu’il arrive, un véritable changement ne pourra venir que de ceux qui font les lois.

C’est ce que je voulais exprimer avec ce passage de “The Path” : “If you’re looking for a savior, that’s not me.” Je me suis dit que les gens, en comprenant que mon album parlait d’écologie, allaient interroger mes propres engagements, me demander des précisions sur l’empreinte carbone de mon album… C’était ma manière de dire que je ne suis rien d’autre qu’une pop star et que je n’ai pas de solution immédiate pour résoudre cette crise. Il n’y a qu’un changement majeur dans nos textes de lois qui puisse avoir un véritable impact. Je ne suis pas la plus optimiste quant à un changement rapide, mais j’essaie de rester positive.

Quel regard portes-tu sur ta propre génération ?

Oh wow. Je suis tellement hors circuit depuis que j’ai quitté les réseaux sociaux. Je ne suis pas sur TikTok, ni sur Instagram… À force, j’ai perdu conscience de ce que font les gens au-dehors. Mais pour le peu que je vois, je suis plutôt excitée. J’ai l’impression que notre génération a le sens de ce qui est juste et que les jeunes sont de plus en plus malins. Tu ne peux pas leur faire avaler n’importe quoi, ils vont te répondre : “Non mec, ça, c’est une micro-agression.” C’est cool, c’est inspirant. Je suis impatiente de voir où tout cela va nous mener.

Photographe : Théo Wenner

Tu avais 12 ans lorsque tu as signé ton premier deal, 16 lorsque tu as sorti “Royals” et ton premier EP. On l’oublie souvent, mais tu appartiens à ce monde d’enfants stars. Une condition que l’on sait difficile, pourtant, tu sembles t’en être très bien sortie. C’est quoi ton secret ?

C’est un ensemble de choses, à commencer par mes parents. Ils ont été particulièrement attentifs et investis pendant les premières années. Ils posaient un tas de questions pour s’assurer que tout allait bien et me confortaient dans l’idée que je n’étais pas obligée de faire quoi que ce soit. Lorsque j’ai compris à quel point j’aimais faire de la musique, tout est devenu plus simple. J’avais plus facilement conscience de ce qui était cool. J’étais le genre de jeune artiste qui pense à l’héritage qu’elle laissera derrière elle et j’ai très vite eu pour objectif de vivre une longue carrière musicale. C’est pour cela que je n’ai jamais pris de décision sans qu’elle ne me paraisse juste, en accord avec moi-même. 

Ma première année de célébrité, celle qui a suivi “Royals”, était complètement folle. J’y repensais l’autre jour… Il est arrivé qu’on me propose des millions de dollars pour me produire à la soirée de promo d’une marque de glaces. Ce genre de trucs indécents… Tu ne peux que répondre non. C’est assez d’argent pour acheter une maison, certes. Mais savoir dire non à cet âge, c’est s’assurer de prendre plus de plaisir et d’inscrire son travail sur la durée. Garder ses œillères, refuser cet argent et ces opportunités, avoir conscience que ce genre de choses ne sont pas bonnes pour soi, c’est difficile. Mais je suis plutôt bonne pour dire non. C’est peut-être le secret : dire non à presque tout. 

Dans ton titre “California”, tu chantes : “Once upon a time in Hollywood / When Carole called my name / I stood up, the room exploded/ And I knew that’s it, I’ll never be the same.” Pourtant, tu sembles être restée plutôt fidèle à toi-même. Qu’est-ce qui a tant changé ces dernières années ?

En vrai, c’est comme si tout était différent sans que rien n’ait vraiment changé. Mes circonstances ont énormément changé. Tout ce qui concerne ma vie professionnelle, entre autres. Tout bascule le jour où l’on te remet un Grammy. Je ne serais peut-être pas la personne que je suis devenue si ce n’était pas arrivé. J’aurais pu décider de ne plus jamais faire de musique. Je serais devenue avocate et les gens m’auraient oubliée. Après ce moment aux Grammys, c’est comme si j’avais été désignée pour faire ça tout au long de ma vie. Tu te retrouves invitée à un tas de soirées, tu passes ta vie dans des avions, tu joues des shows devant des milliers de personnes… C’est du délire.

Sur le plan personnel, les choses n’ont pas tant changé, c’est vrai. Peut-être parce que j’ai toujours eu conscience que les gens qui disent te trouver géniale arrêteront peut-être de le dire demain, et que ces regards ne doivent pas définir la façon dont tu te perçois toi-même. Tu es la personne avec laquelle tu rentres chez toi tous les soirs ! J’ai toujours eu la sensation que tout ce que je vivais allait finir par partir, je pense que ça m’aide à garder la tête sur les épaules.

Photographe : Ophelia Mikkelson Jones

C’est probablement la raison pour laquelle on te voit peu sur Internet ou sur les tapis rouges…

Absolument. Honnêtement, je ne sais juste pas comment faire.

À quoi vont ressembler tes prochains concerts ?

On commence tout juste à y réfléchir donc je ne peux pas trop en dire. Mais nous aurons cet énorme groupe instrumental avec lequel je me suis produite ces derniers temps, énormément de choristes… C’est une toute nouvelle expérience pour moi. J’aime que les concerts transmettent l’énergie de l’album et ceux-ci devraient être particulièrement immersifs. 

Tu as habitué ton public à un rythme de sortie détendu. Peut-on espérer un prochain album autour de 2026 ?

Je ne sais pas, pourquoi pas changer un peu (rire) ! Peut-être dans deux ans, ou dans quelques mois… On verra. À chaque fois que l’on attend quelque chose de moi, je finis par faire l’inverse.   

Photographe : Ophelia Mikkelson Jones

« ALLÔ LORDE ? »

NOS QUESTIONS DE FANS À L’ICONIQUE LORDE.

Les fans : @MONKEYINTHESPACE & @THEOWARLEY

Quel est ton morceau préféré sur chacun de tes albums ?

Ouh… C’est une question très difficile. Aujourd’hui, j’ai envie de répondre “Ribs”, “Supercut” et “Oceanic Feeling”. 

Qui sont les artistes qui t’inspirent aujourd’hui ?

Bizarrement, je n’ai pas écouté beaucoup de musique ces derniers temps. En revanche, j’ai passé beaucoup de temps à observer les sculptures d’Alexander Calder et les peintures de Hilma af Klint.

Une collaboration prévue ?

Rien de prévu pour l’instant. Ça me plairait en tout cas !

Est-ce que tu écoutes des artistes français ?

Je sais qu’il n’est pas français mais j’aime absolument tout ce que fait Stromae. Il faut que j’actualise mes connaissances sur la scène française !

Es-tu heureuse ?

Je suis heureuse oui ! À fleur de peau depuis la sortie de l’album, mais heureuse !

Journaliste : Thémis Belkhadra
Photographes : Ophelia Mikkelson Jones, Théo Wenner & Ashlan Grey
Coiffeur : Cameron Rains
Maquilleuse : Amber Dreadon
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