Le wokisme expliqué à tes daron.ne.s
Pourquoi les daron.ne.s ont-iels peur du wokisme ? Voici quelques arguments pour rassurer les boomers qui pensent qu'un lobby féministe, antiraciste et LGBTQI+ menace la survie de la République.
Pourquoi les daron.ne.s ont-iels peur du wokisme ? Voici quelques arguments pour rassurer les boomers qui pensent qu'un lobby féministe, antiraciste et LGBTQI+ menace la survie de la République.
26 décembre, après-midi tranquille à la maison avec la famille. La télévision publique italienne diffuse Autant en emporte le vent, film cultissime de mon enfance. Au fur et à mesure que les aventures de Scarlett O’Hara se déroulent sur l’écran et que la guerre de Sécession se déploie sur des musiques grandiloquentes, un malaise s’instaure dans la pièce. Mes sœurs et moi nous regardons désemparées : les parents sont si contents de regarder le film avec nous, on ne veut pas gâcher le moment. Je ne m’en rappelais pas, sans doute car la dernière fois que j’ai vu le film, je ne regardais pas le monde de la même façon : Autant en emporte le vent est d’un racisme tellement primaire qu’il donne le tournis et il est parsemé d’une culture du viol très premier degré. Apogée : la scène où Rhett, ivre, s’empare de Scarlett et la contraint par la force à le suivre dans la chambre nuptiale en la traînant dans les escaliers. Le doublage italien des acteur.rice.s afro-descendant.e.s est honteux, tout comme la nostalgie assumée de la période esclavagiste.
Sur le groupe WhatsApp des sœurs, l’une d’elles écrit, ironique : “Les filles, on joue les woke ou on sauve Noël ?” On ricane. Cette fois-ci, on a décidé de sauver Noël. Non pas que mes parents ne soient pas conscientisés aux discriminations. Simplement, il nous a fallu pas mal de débats enflammés et de dramas familiaux pour arriver à la conclusion que “nous sommes tous.tes d’accord”.
@angele_vl
Mais Autant en emporte le vent, c’est vraiment trop. Je sens que je vais faire ma “féministe casseuse d’ambiance”. Je me lève, je vais fumer sur le balcon. Là, je reçois l’appel d’une amie, elle aussi en Italie pour les vacances, qui est professeure en “genre et médias” dans une fac française.
“J’ai tenté de regarder Autant en emporte le vent avec ma mère”, scande-t-elle d’une voix grave. Ah, toi aussi, ma pauvre, lui réponds-je en rigolant. Je lui demande comment ça s’est fini. “J’ai dû quitter la maison avec toutes mes affaires et là, je vais chez une copine. Je squatterai son grenier pour le reste de mon séjour.”
On se marre : à presque 30 ans, on a l’impression de faire une crise d’ado. “C’est fou. Tu es journaliste, je suis prof, on n’a rien à prouver aux daron.ne.s, on est des personnes accomplies. Sur le wokisme, le conflit générationnel est total. C’est du délire, c’est un déni névrotique”, analyse-t-elle. Je lui réponds que je ne comprends pas pourquoi défendre l’élargissement de nos démocraties et mener un combat pour plus d’égalité est aussi mal vu. “On touche là à leur confort. N’oublions pas que boomer, ça vient de boom économique : nos parents ont vécu les Trente Glorieuses, comment veux-tu qu’iels renoncent à ne serait-ce qu’un mini-bout de leurs privilèges ?”
On se dit toutes les deux que, finalement, la campagne présidentielle française à laquelle on assiste avec nos yeux d’expats n’est qu’une sombre “guerre de boomers”. Eric Zemmour aura beau faire passer sa candidature pour “un choix civilisationnel”, la vérité, c’est qu’il incarne la perdition extrémiste d’une génération d’hommes blancs soixantenaires effarés parce qu’on leur demande de céder un peu leur place aux autres. Le pire, c’est que la haine des personnes dites woke a le pouvoir de rassembler les boomers de tous bords politiques : des néofascistes au gauchos caviar, des écolos aux républicains. Une bataille sans merci s’est installée sous couvert de “lutte contre le communautarisme”, à coups de mots qui ne veulent tout simplement rien dire, comme “islamo-gauchisme”.
“Pourquoi les daron.ne.s s’attachent-iels autant à défendre un vieux film de 1939 qu’iels regardent une fois par an ?” s‘interroge mon amie. “N’est-il pas plutôt sain de vouloir, en 2022, regarder Autant en emporte le vent avec un autre œil ?”
Chers parents, de quoi avez-vous peur réellement quand on vous invite à changer de prisme ? Pourquoi, chers boomers, les féministes vous font-elles plus peur encore que les extrémistes de droite ?
Quand on lui demande si elle n’a pas l’impression d’avoir perdu la bataille culturelle qu’elle mène au vu du contexte politique actuel, l’autrice, activiste et journaliste Rokhaya Diallo répond : “On a des raisons de s’inquiéter. Et en même temps, le constat que je peux faire de ces dix ans, c’est que de nouvelles voix ont émergé pour entrer en contradiction avec cette foison d’idées très conservatrices. Le sentiment que j’ai, c’est que si ces voix conservatrices se multiplient, c’est bien qu’il y a une panique identitaire qui n’est pas forcément un mauvais signe.”
Alors les daron.ne.s, trêve des hostilités, voici pourquoi il ne faut pas avoir peur du “grand méchant woke”.
Un point sémantique d’abord : qu’est-ce que le woke ?
Moi-même, j’ai mis longtemps à comprendre la signification de cet étrange mot anglophone ; et au début, tout ce que cela m’évoquait, c’était cette petite bête tout à fait adorable, l’Ewok, issue des films Star Wars :
Que nenni, “woke” est un mot né au XIXe siècle aux Etats-Unis dans les communautés afro-descendantes qui se battaient contre l’esclavage. Il est réapparu avec l’essor d’une première vague de Black Lives Matter suite au meurtre de Trayvon Martin en 2012. Il signifie simplement “éveillé.e”, “conscientisé.e”, face au racisme subi par les Afro-descendant.e.s aux Etats-Unis. Comme le rappelle la journaliste Myriam Levain dans son article paru dans Les Inrocks, lorsque, en 2016, sort le film Stay Woke de Jesse Williams, personne ne s’inquiète vraiment de cet apparent néologisme. Ce n’est que sous le mandat de Donald Trump puis, suite au meurtre de George Floyd, que ce mot commence à cristalliser une névrose occidentale : celle du racisme systémique présent dans nos sociétés. Myriam Levain estime ainsi, à raison, que ce terme va remplacer en partie le fameux “islamo-gauchisme” pendant la campagne présidentielle française.
Premier constat donc : il s’agit d’un glissement sémantique erroné, car woke n’a rien à voir avec la gauche blanche française et il appartient aux luttes antiracistes des Afro-descendant.e.s et à celles et ceux qui les mènent. Moi, femme cis blanche, je ne suis pas woke et je n’ambitionne pas de m’approprier ce mot.
J’en discute avec l’artiste performeur.se, militant.e et professeur.e, Habibitch, harcelé.e sur Instagram par la fachosphère, qui, en 2021, s’est amusée à identifier avec des émojis “médaille” les influenceur.se.s “woke” : “Cette expression, prononcée en dehors de son contexte, ne veut rien dire. Être woke n’a jamais été quelque chose de négatif ailleurs qu’en France. ‘Being woke’, en anglais, veut juste dire ‘être éveillé.e’. Être conscient.e. Je ne vois donc pas en quoi c’est une mauvaise chose.”
Cher.e.s daron.ne.s, sachez que très peu de militant.e.s en France oseraient se définir comme woke vu l’origine réelle de ce mot. Une origine tue par la plupart des journalistes français.e.s qui, à la télévision, se limitent à se moquer de choses qu’iels ne connaissent pas, ne comprennent pas et visiblement méprisent. L’invention du wokisme et de la menace qu’il ferait peser sur la France est une manigance du camp réactionnaire pour décrédibiliser et invisibiliser des idées, des propositions, des besoins que certain.e.s adressent à la République.
Myriam Levain le résume brillamment dans son article :
Alerter sur les dangers du wokisme serait donc une façon de le dénigrer d’emblée, en transformant un terme confidentiel venu des activistes afro-américain.e.s en courant de pensée dominant et menaçant.
Lorsque l’on ajoute un “-isme” à la fin des mots, on les fait sonner terriblement importants, graves et menaçants : c’est ainsi que notre ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer en est venu à organiser un colloque à la Sorbonne pour contrer le wokisme… une idéologie qui n’existe tout simplement pas ! Lorsque le ministre évoque ces théories (lui-même ne sait donc pas exactement lesquelles : parle-t-on de féminisme ? D’antiracisme ? D’écriture inclusive ? Le gloubi-boulga est total), il estime qu’elles nuisent aux “valeurs fondamentales de la République”. Je voudrais alors adresser une question de personne étrangère aux Français.e.s : en quoi la lutte contre les discriminations est-elle antirépublicaine ? Je pensais que la France était le pays des Lumières et des droits universels des hommes et des femmes, un phare intellectuel dans la nuit de l’Occident. Pourquoi alors votre démocratie a-t-elle si peur de se remettre en question et d’accepter des nouvelles définitions de l’égalité ? Comment pouvez-vous prétendre à l’universalisme quand un simple pronom “iel” semble faire trembler l’ensemble de vos institutions ?
Je ne crois pas que la France succombera à la “menace wokiste”. Je crois en revanche que Jean-Michel Blanquer aurait mieux fait de s’inquiéter que, dans son pays, on réhabilite Pétain et qu’on tienne des discours néofascistes à la télé sans aucune gêne, plutôt que de s’attaquer à une poignée d’étudiant.e.s qui s’intéressent aux combats intersectionnels. Le ministre fait une syncope quand on propose d’intégrer un pronom non-binaire au dictionnaire numérique Le Petit Robert mais il est OK pour que l’on déblatère qu’on ne sait pas si “Dreyfus était vraiment innocent”.
En discutant avec l’essayiste et romancière new-yorkaise Sarah Schulman pour Manifesto XXI l’année dernière, à l’occasion de la parution de la traduction française de Le conflit n’est pas une agression, elle m’avait fait part de son désarroi face à la montée des extrêmes en Europe et à l’obscurantisme de la classe dirigeante française : “La France fait face à une islamophobie terrible. Tout le discours de Macron et de son gouvernement sur l’islamo-gauchisme est tellement collectivement décadent…”
En rédigeant cet article, je me rends compte à quel point le mot “menace” ou l’expression “se sentir menacé.e” sont récurrents quand on s’adresse à vous, les boomers, avec qui nous allons partager cette planète pendant encore un bon moment ! Parfois, ne vous en déplaise, notre existence, c’est un peu comme cohabiter avec un.e colocataire qui ferait un déni sur le fait qu’il faut faire le ménage, mieux répartir les tâches domestiques et les dépenses du foyer… Et qui, en plus, justifierait son inaction par la présence dans l’appartement de complots contre sa personne. Autant vous dire qu’on aurait bien envie de se casser, mais nous avons une caution solidaire… Dommage !
Essayons alors de nous entendre : pourquoi, en France, craint-on autant “la communauté” ? Comme le wokisme, le terme “communautarisme” a été pimpé à dessein par les politicard.e.s afin de faire germer en nous la peur que, dans ce pays, des groupuscules minoritaires tireraient les ficelles d’un grand complot généralisé. C’est ainsi qu’Eric Zemmour a inventé de toutes pièces le “lobby LGBTQI+”. Alors que lui-même sait pertinemment que ce lobby n’existe pas, il met une pièce dans la machine de la peur viscérale des communautés en France.
Habibitch reste pantois.e lorsqu’iel entend certains discours sur le communautarisme : “Il n’y a qu’en France qu’on a aussi peur de la communauté. La communauté, ça sauve des vies. C’est quelque chose de positif de pouvoir s’identifier à des personnes qui nous ressemblent !”
La “famille choisie” n’est autre qu’un lieu, au sein de la République, où des personnes qui vivent les mêmes expériences se rencontrent et se soutiennent. Franchement, en quoi la communauté de la ballroom scene, dont Habibitch fait partie, serait-elle dangereuse ? On parle littéralement d’individus qui dansent ensemble dans des houses et expriment leurs idéaux politiques à travers leurs performances. Je ne pense pas que cela nuise à la stabilité de la République.
Un certain discours anticommunautariste, qui, sous prétexte de combattre le terrorisme, fait preuve d’une islamophobie à peine dissimulée, a entraîné la création de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République contre les séparatismes. Les associations doivent ainsi respecter sept principes pour demeurer dans la légalité : le premier engagement précise qu’elles “ne doivent pas se prévaloir de convictions politiques, philosophiques ou religieuses pour s’affranchir des règles communes” ni “inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public”. Soyons franc.he.s : la définition de ce qui rentre ou pas dans le contrat républicain demeure très vague et, en fonction des couleurs politiques, cette loi pourrait bien se retourner contre des personnes minorisées qui n’ont rien d’antirépublicain, hormis le fait d’être comme elles sont : queers, racisées, musulmanes…
“Ce que je vois, c’est le réflexe de peur systématique des classes dominantes, car leurs privilèges sont en train de trembler à leurs fondations depuis que les exploité.e.s prennent la parole et les remettent en question”, commente Habibitch. “Les prises de conscience, qui sont ce que certain.e.s appellent le woke, sont une remise en cause structurelle des systèmes d’oppression. Ce qui provoque un effet de panique chez les dominant.e.s. Le réflexe est alors de dire “C’est pas nous les méchant.e.s, c’est elleux”.
Il n’y a qu’en France qu’on a aussi peur de la communauté. La communauté, ça sauve des vies. C’est quelque chose de positif de pouvoir s’identifier à des personnes qui nous ressemblent !
Dans un article paru dans Slate titré La French Theory, ce “virus” qui serait à l’origine de la fureur wokiste, la journaliste Sophie Benard rappelle très justement que non, le surnommé wokisme n’est pas un virus venu des Etats-Unis contre lequel il faudrait trouver un vaccin (comme l’annonçait avec une métaphore franchement déroutante Jean-Michel Blanquer, alors qu’il inaugurait le fameux colloque “Après la déconstruction” les 7 et 8 janvier 2022). Tout devient contradictoire à l’heure du confusionnisme : les réactionnaires dénoncent une trop grande influence des idées étasuniennes sur nos universités, alors même qu’iels imputent la responsabilité de la menace wokiste française à la fameuse French Theory, courant sociologique 100 % made in France, 100 % made in Sorbonne, mené par des penseur.se.s super french comme Jacques Derrida, Simone de Beauvoir, Michel Foucault et Monique Wittig entre autres. S’il est vrai que la French Theory naît des échanges prolifiques entre les penseur.se.s américain.e.s et français.e.s au début des années 1960 (ayant abouti à Mai 68), ce sont précisément les intellectuel.le.s français.e.s qui ont exporté aux Etats-Unis la pensée décoloniale et bon nombre de concepts féministes. Rejeté.e.s (encore aujourd’hui) dans leur pays qui vire à droite toute, ces auteur.rice.s sont au contraire traduit.e.s et couvert.e.s d’éloges outre-Atlantique, au point d’inspirer la naissance des gender studies. Pourquoi la France a-t-elle peur des intellectuel.le.s à qui elle a donné naissance ? Pourquoi le ministère de la Culture juge-t-il que les polémistes télévisuel.le.s de la fachosphère sont moins dangereux.ses que les “french théoricien.ne.s” ? Un ministre de l’Education nationale appartenant à un bord politique bien précis a-t-il le droit dans une république d’influencer et orienter les enseignements dans les universités ?
“Il faut le reconnaître d’entrée de jeu : de nombreux intellectuels susceptibles de se voir appliquer l’étiquette de French-théoriciens sont des penseurs de gauche. On commence à comprendre pourquoi ce vaste courant intellectuel peut devenir un vulgaire “virus” dans la bouche d’un ministre du gouvernement d’Emmanuel Macron”, estime à juste titre Sophie Benard.
Si vous aimez tant l’histoire de France, il faudra apprendre à composer avec cette évidence : c’est la France qui a inventé la déconstruction. C’est la France qui a posé les bases du virus féministe, décolonial et queer. Il n’y a pas que des Michel Houellebecq dans ce pays. Avalez donc le morceau, la France est le pays des Lumières… et de la French Theory.
Eddy de Pretto feat Yseult – Pause x Kiss, réalisé par Colin Solal Cardo
J’espère à ce stade avoir convaincu quelques daron.ne.s que les millennials ne sont pas en train de conspirer pour abattre l’ordre républicain. Un dernier cliché persiste autour des combats dits woke : la victimisation. Dans un article du Figaro, un amalgame malhonnête est fait entre “pensée woke” et “posture victimaire” chez les nouvelles stars francophones. Eddy de Pretto était ainsi accusé d’utiliser la posture victimaire pour rester dans la lumière, tout comme Yseult, Camélia Jordana, Angèle… Selon la journaliste, professeure et chercheuse en cultural studies Manon Renault, la plupart des stars accusées d’être “victimistes” ne font en réalité que raconter leur vécu, une pratique propre à tout artiste : simplement, les histoires des personnes minorisées sont accueillies souvent avec crainte car associées spontanément à un militantisme caricaturé. “Je ne pense pas que ces stars veuillent adopter une posture misérabiliste. Je pense qu’iels sont fier.e.s d’être comme iels sont et que ça aide beaucoup de gens à s’identifier et à vivre mieux. Iels ne font que montrer une voie vers le bonheur”, développe Manon Renault. “Il ne faut pas oublier que ces gens ne vivent pas de leur oppression. Iels vivent de leur talent. On n’imagine pas Le Figaro reprocher d’être victimiste à un chanteur homme blanc cis qui raconterait ses peines de cœur.”
Il est bon de rappeler que la totalité des artistes cité.e.s plus haut ont bel et bien été victimes de harcèlement et de cyberharcèlement : il est donc évident qu’en France, encore aujourd’hui, lorsqu’on est en dehors d’une norme, on subit des agressions racistes, homophobes, misogynes. Eddy de Pretto a reçu plus de 3 000 messages de haine après sa performance au festival Qui va piano, va sano. Une enquête a été ouverte qui a mené au placement en garde à vue de 17 hommes. Les cyberharceleurs du chanteur seront jugés en octobre 2022.
Lorsque Camélia Jordana a dénoncé les violences policières sur le plateau d’On n’est pas couché sur France 2 en mai 2020, elle a été victime d’un harcèlement médiatique tellement haineux que d’autres artistes ont pris la parole pour la défendre. Angèle postait ainsi une story pour mettre en évidence un drôle de paradoxe : Eric Zemmour, condamné en 2019 pour incitation à la haine, flirtant sans complexes avec le révisionnisme historique, bénéficie d’une couverture médiatique permanente alors que la chanteuse, qui avait exprimé poliment le fait de ne pas se sentir en sécurité face aux policiers, avait été rappelée à l’ordre y compris par Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur. Comme si on ne savait pas que des opérations policières ont effectivement provoqué le décès de 32 personnes dans la seule année 2020 !
Il en va de même pour des personnalités publiques comme Habibitch et Rokhaya Diallo, qui, comme on l’a vu, ont été harcelées sur les réseaux sociaux sous l’impulsion d’influenceurs masculinistes comme Greg Toussaint qui incitaient leur audience à troller certains posts de militant.e.s LGBTQI+ et féministes, de préférence issu.e.s de l’histoire coloniale. Une agression est un fait indéniable : il me paraît plutôt clair que la violence ne vient pas des artistes cité.e.s mais bel et bien d’influenceurs qui alimentent la haine.
Le confusionnisme va jusqu’à la négation des chiffres, des images, des témoignages vidéo : la boomersphère est rentrée dans un négationnisme de l’histoire pernicieux et obsessionnel. “On dirait que l’Occident se débat dans ses cendres futures en pointant du doigt des ennemis imaginaires”, constate Habibitch. “Iels pensent qu’islamo-gauchiste est une insulte : excusez-moi mais l’obsession de l’islam vient de la droite. Ça n’a pas de sens d’insulter des personnes qui prônent la tolérance et l’inclusion en les traitant d’islamo-gauchistes !”
Est-ce la simple existence de récits différents qui a autant chamboulé notre définition de ce qui est républicain ? Si une performance d’Eddy de Pretto est capable d’en insécuriser certain.e.s à ce point, c’est à se demander si nos démocraties ne reposent pas sur du sable mouvant !
Pour dépasser le stérile conflit intergénérationnel de notre époque, il faut retrouver le sens de la mesure. Un petit résumé à l’usage des parents, des journalistes, de celles et ceux qui seraient tenté.e.s par un vote de “droite assumée” :
Les boomers, pour conclure avec une formule qui vous est chère, “Calmez-vous. Ça va bien se passer”.
La République ne s’effondrera pas juste parce que vous n’en serez plus le seul et unique centre. Pour le dire avec Habibitch, “on ne peut plus rien dire, ça n’existe pas : c’est simplement qu’on a donné la parole à celles et ceux qui ne disaient rien avant.”