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L’irrésistible conquête de Lil Nas X

Maître du crossover, figure de la communauté LGBTQIA+, multiple recordman de streams, Lil Nas X bouscule les codes sur le devant de la scène hip-hop américaine. Alors que son premier album MONTERO s’apprête à voir le jour, NYLON retrace sa fulgurante ascension, aussi inspirante que décloisonnante.

Photographe : Danielle Levitt
Stylistes : Julia Ehrlich & Hodo Musa

À l’été 2018, Lil Nas X se nomme encore Montero. Il vient de quitter l’université et squatte le canapé de sa sœur. Trois ans plus tard, son nom est sur toutes les lèvres. On l’a aperçu sur le plateau de Jimmy Fallon, sur la couverture du prestigieux Time Magazine et aux sommets des charts Billboard; on l’a entendu aux côtés de Cardi B, de Travis Barker et de l’iconique Nas ; on l’a regardé dans des clips aux millions de vues, où il assure tour à tour les rôles de cow-boy esseulé, de superhéros futuriste ou de danseur de pole dance diabolique. En un temps record, le jeune homme de 22 ans s’est imposé comme l’un des artistes les plus puissants de sa génération. En cause? Un désir profond de décloisonner la notion de genre au sein de la scène rap américaine et une parfaite maîtrise des réseaux sociaux. 

Né en 1999, Montero Lamar Hill (de son vrai nom) grandit à Lithia Springs, une petite ville de la banlieue d’Atlanta. Ses parents divorcés, il part vivre avec sa mère et sa grand-mère à Bankhead Courts, un quartier rythmé par la drogue et la violence. À 9 ans, il finit par déménager dans une ville plus tranquille chez son père, alors chanteur de gospel. “Je me souviens que je ne voulais pas y aller”, rembobine-t-il pour le magazine américain Rolling Stone. “Je n’avais pas envie d’abandonner tout ce à quoi j’avais été habitué. Mais c’était mieux pour moi. Il y avait tellement de problèmes à Atlanta… Si j’étais resté là-bas, je serais tombé entre de mauvaises mains.”

Master sur Twitter

À l’école, le jeune Montero se veut aussi drôle que sérieux, curieux aussi. Bercé par les albums de Drake, de Kendrick Lamar et de Kid Cudi, il choisit d’apprendre à jouer de la trompette, une pratique pour laquelle il s’avère doué, mais qu’il décide d’abandonner une fois arrivé au lycée, par peur de “ne pas être assez cool”. “C’est à ce moment-là que j’ai décidé d’arrêter toutes mes activités extrascolaires”, poursuit-il dans les colonnes de Rolling Stone. “ Je passais tout mon putain de temps à traîner sur Internet. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai commencé à m’isoler. J’imagine que j’étais en train de me chercher.” Et d’ajouter, quelque temps plus tard, au micro de CBS : “En fait, je savais [que j’étais gay]. Surtout durant l’adolescence. Et je priais, et priais, et priais […] pour qu’il ne s’agisse que d’une phase, que ça finisse par passer.” 

Dans une société encore hostile aux minorités sexuelles, Montero Lamar Hill vit une adolescence complexe, faite de longs moments de solitude et de dépression. Réfugié chez lui, il multiplie les contenus en ligne dans l’espoir de trouver un refuge et, surtout, de devenir une personnalité sur la toile. “Je faisais des vidéos humoristiques sur Facebook, puis je suis passé sur Instagram, avant de finalement atterrir sur Twitter… où je suis vraiment devenu un maître. Ça a été le premier endroit où j’ai pu devenir viral”, relate-t-il, toujours pour Rolling Stone. 

Selon plusieurs médias américains, dont le New Yorker Magazine qui a consacré une enquête très sérieuse au sujet (intitulée “Before ‘Old Town Road,’ Lil Nas X Was a Tweetdecker“), le jeune homme se cache alors derrière plusieurs comptes fans dédiés à Nicki Minaj. Parmi eux, @NasMaraj, avec lequel il se construit une solide base d’abonnés. Bien que Lil Nas X n’ait jamais réellement confirmé être l’instigateur de ce compte, il a déclaré être un immense fan de la rappeuse. “Mais si tu as une fanpage entièrement dédiée à Nicki Minaj, les gens supposeront forcément que tu es gay. Et la musique, le rap surtout, n’est pas vraiment une industrie qui accepte les hommes gays”, tweetait-il à l’été 2020. 

Un hit mondial pour 30 dollars

De plus en plus puissant sur les réseaux sociaux (il comptabilise actuellement 6,4 millions de followers sur Twitter, 8,2 millions sur Instagram, et près de 14 millions sur YouTube, des chiffres colossaux pour un artiste de son envergure), Montero Lamar Hill décide de mettre fin à ses études. Nous sommes à l’été 2018, et il vient de terminer sa première année à l’université de West Georgia, où il a étudié l’informatique – et brièvement considéré une carrière de chirurgien cardiovasculaire. “J’avais prévu de passer tout l’été à étudier”, explique-t-il à Rolling Stone. “Et puis j’ai commencé à m’ennuyer, alors j’ai fait un morceau.” 

Ce morceau s’intitule “Old Town Road”, et Montero Lamar Hill le publie le 3 décembre 2018 sous le nom de Lil Nas X. Conçu à partir d’une prod achetée 30 dollars sur le web, ce titre se trouve à mi-chemin entre le rap et la country (les deux genres les plus populaires aux États-Unis), et conte, sur un rythme entraînant, le quotidien tristounet du garçon. “J’ai créé ‘Old Town Road’ à l’issue d’une période où je me sentais vraiment à court d’options”, retrace-t-il pour Time Magazine. “Je vivais chez ma sœur, qui en avait clairement marre de me voir. D’où le refrain, quand je dis ‘I want to leave everything behind’.” Et d’ajouter : “Mais après un mois à travailler sur cette chanson, les paroles ont pris un tout autre sens. La “Old Town Road” dont je parle est devenue le symbole de mon chemin vers le succès, et le cheval sur lequel j’avance a fini par représenter le fait de ne pas avoir beaucoup, mais d’avoir suffisamment pour avancer sur ce chemin. Quant à cette phrase, ‘Can’t nobody tell me nothing’, elle fait référence à mes parents : ils voulaient que je retourne à l’école, mais je ne les ai pas écoutés.” 

Lil Nas X ne retournera jamais sur les bancs de l’université. Conscient de son pouvoir sur les réseaux sociaux, il se sert de Twitter ou TikTok pour faire éclore “Old Town Road” à grands coups de mèmes. Pour le promouvoir sur YouTube, il confectionne un clip (depuis retiré de la plateforme) à partir d’extraits de Red Dead Redemption 2. Un véritable coup de maître : le jeu vidéo édité par Rockstar Games, qui venait de sortir, est devenu l’un des plus grands succès de l’année 2018. 

Un Noir dans le top country

Rapidement, “Old Town Road” fascine, tout particulièrement la jeunesse afro- américaine. Et pour cause : en plus de multiplier les références à la culture populaire des millennials, ce morceau réhabilite la figure du cow-boy noir, alors en plein renouveau grâce au compte Instagram @theyeehawagenda ou des artistes comme Solange (dont le dernier album en date, When I Get Home, rend hommage à la culture texane). Viral sur TikTok, où il génère des milliers de mèmes grâce au “Yeehaw Challenge”, “Old Town Road” devient le premier single à figurer simultanément dans les charts Billboard Hot 100, Hot R&B/Hip Hop et Hot Country. Jusqu’à ce que Billboard décide de le retirer du top country, prétextant qu’il “ne comporte pas assez d’éléments du genre”. Une décision révoltante aux yeux de nombreux internautes, pour qui ce retrait relève surtout d’un problème de conservatisme et de racisme au sein de la communauté country.

Qu’à cela ne tienne : quatre mois plus tard, le cow-boy/rappeur publie un remix de “Old Town Road” aux côtés de Billy Ray Cyrus, légende vivante de la country et accessoirement père de notre chère Miley. Si, de prime abord, la recette peut sembler incongrue, cette nouvelle version devient rapidement un succès planétaire, posant avec brio les bases du style Lil Nas X : un personnage à la fois drôle, décomplexé et authentique, dont la musique transcende les notions de genre, de génération et de communauté. 

Avec plus d’un milliard d’écoutes au compteur, le remix de “Old Town Road” devient le morceau le plus certifié de l’histoire aux États-Unis (14 fois single de platine !) et celui qui aura le plus longtemps squatté la pole position du classement Billboard Hot 100 (19 semaines !). Il bat ainsi les records précédemment établis par Mariah Carey et les Boyz II Men, avec “One Sweet Day” en 1995, et Luis Fonsi, Daddy Yankee et Justin Bieber, avec “Despacito” en 2017. Quant à son clip, truffé de caméos de Chris Rock, Diplo ou Vince Staples, il remporte le Grammy Award du meilleur clip de l’année en janvier 2020. Un succès aussi inattendu que monstrueux, qui permet au jeune artiste de décrocher un contrat avec le géant Columbia Records. 

Queer as Franck

Désormais signé, et considéré comme l’une des figures les plus novatrices de la scène hip-hop, Lil Nas X décide d’aborder publiquement un sujet qu’il a longtemps gardé pour lui : sa sexualité. Le 30 juin 2019, en plein mois des fiertés, il fait son coming out sur Twitter. “Certains d’entre vous le savent déjà, d’autres s’en foutent. […] Mais avant la fin de ce mois, je veux que vous écoutiez tous attentivement ‘C7osure’”, écrit- il. Extrait de son premier EP 7, paru quelques jours plus tôt, “C7osure” évoque son envie de “liberté” et de “vérité”, et son besoin de “ne plus jouer un rôle”. “Je pensais que [mon homosexualité] était évidente”, ajoute-t-il quelques jours plus tard, en partageant la pochette de 7, sur laquelle on aperçoit les couleurs du drapeau LGBTQIA+. Avec Frank Ocean, Lil Nas X devientl’un des rares représentants noirs de la communauté queer sur le devant de la scène rap américaine, un monde encore trop largement sujet à l’homophobie et au sexisme. 

Ce moment marque un tournant dans la carrière musicale de l’Américain. Dès lors, il n’hésite plus à multiplier les références à sa sexualité, à l’embrasser pleinement, inspirant une génération entière à s’accepter en dépit du qu’en-dira-t-on. Pour annoncer l’arrivée de son premier album MONTERO, attendu cet été, il dévoile en mars 2021 “MONTERO (Call Me by Your Name)”, un nouveau single dont le nom fait référence au film de Luca Guadagnino. “Je n’ai jamais été aussi vrai et aussi vulnérable que sur cette chanson”, confie-t-il à Genius quelques jours après la sortie du titre. “Ce morceau est très important pour moi, et il le sera pour plein d’autres personnes.“ 

Dans le clip de ce titre aussi entêtant qu’introspectif, Lil Nas X relate de façon métaphorique l’acceptation de son homosexualité en twerkant sur les genoux de Satan. Immédiatement accusé de blasphème (il sort quelques jours plus tard une paire d’Air Max 97 au design satanique, renforçant la polémique), il parvient à se hisser une nouvelle fois à la première place du classement américain Billboard Hot 100, prouvant sa capacité à faire des tubes aux visuels puissants tout en parlant de sujets profonds. 

Pour appuyer le propos de “MONTERO (Call Me by Your Name)”, il divulgue dans la foulée une lettre dans laquelle il s’adresse à l’adolescent de 14 ans qu’il a été. “Cher Montero de 14 ans, j’ai écrit une chanson qui porte ton nom, elle parle d’un mec que j’ai rencontré l’été dernier, commence-t-il. Je sais, nous nous étions promis de ne jamais en parler en public, de ne jamais être ‘ce’ genre de personne gay, que nous mourrions avec notre secret ; mais en parler, c’est ouvrir des portes à des dizaines d’autres personnes queers. Tu sais, c’est terrifiant pour moi, les gens vont être en colère, ils vont dire que j’impose mes idées. Mais ils auront raison : je les impose. Et je veux que ces mêmes gens restent en dehors de nos vies, qu’ils cessent de dicter ce que l’on devrait être. Avec beaucoup d’amour venant du futur, lnx. “ 

Un avenir lumineux

Cette lettre, repostée plus de 60 000 fois sur Twitter, inspire “SUN GOES DOWN”, nouvel extrait de l’album MONTERO paru le 21 mai dernier. Dans le clip, à des années-lumière de l’extravagance de “MONTERO (Call Me by Your Name)”, Lil Nas X retourne en 2017 pour réconforter le jeune Montero Lamar Hill, alors en plein questionnement. Vêtu d’un costume blanc immaculé, tel un ange gardien descendu des cieux, il l’encourage à s’accepter en lui promettant un avenir lumineux. “Dans la vidéo de ‘SUN GOES DOWN’, je remonte dans le temps pour rendre visite à une version plus jeune de moi-même qui lutte intérieurement, qui se déteste et qui ne veut plus vivre”, détaille l’artiste dans un tweet. “J’essaie de faire de mon mieux pour le soutenir. […] Cette chanson est vraiment spéciale pour moi.” 

Cette chanson permet également à Lil Nas X d’exposer l’étendue de son talent et la pluralité de son univers musical. Révélé par un titre alliant rap et country, adulé pour son hip-hop fun et futuriste, l’artiste prouve ici qu’il est également capable de proposer des ballades nostalgiques et intimes, qui flirtent davantage avec la pop – brisant à nouveau les attentes et les clichés qui entourent encore trop souvent les artistes noirs affiliés à la scène hip-hop américaine. 

Selon Lil Nas X, MONTERO sera d’ailleurs bien plus qu’un simple album : il sera l’aboutissement de toute une vie. Un moyen d’exposer toutes les facettes de sa personnalité et de sa musique, aussi polymorphe que virale. Récemment invitée sur le plateau de Jimmy Fallon, la superstar en devenir précisait d’ailleurs : “J’ai exploré de nombreux personnages par le passé, mais cet album, c’est 100 % moi, il est 100 % honnête. J’y explore ma sexualité, ma personnalité, mes peines de cœur… C’est tout cela à la fois. C’est comme un récit initiatique. Un récit initiatique sur lequel tout le monde peut danser.” Vivement. 

Rédactrice en Chef : Elisabeta Tudor
Directeur Artistique : Nicolas Dureau
Photographe : Danielle Levitt
Set Designer : Cooper Vasquez
Producteur : Kim Nabozny Productions
Stylistes : Julia Ehrlich & Hodo Musa
Coiffeuse : Evanie Frausto
Maquilleurs : Natasha Serverino & Sam Visser
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