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“La représentation de femmes rivales est partout”

Dans un essai documenté, la journaliste Racha Belmehdi a décortiqué la notion de rivalité féminine, qui pèse sur le quotidien des femmes.

Sur la couverture de son livre, une photographie de Jayne Mansfield et Sophia Loren, deux actrices iconiques des années 1950. C’est pourtant la première image qui sort lorsque l’on tape “rivalité féminine” sur Google, alors que Sophia Loren a affirmé, il y a quelques années, qu’il n’y en avait aucune avec son homologue américaine. Un exemple parmi tant d’autres, en pop culture ou ailleurs, qui montre que la rivalité féminine a façonné notre société. Dans l’essai Rivalité, nom féminin (éditions Favre), paru le 3 mars, la journaliste de 36 ans Racha Belmehdi a décortiqué avec une plume très aguerrie ce concept à travers de nombreuses approches. Amitiés, amours, travail, pop culture… Ce livre assurément féministe analyse comment ce concept infiltre tous les leviers du quotidien des femmes. 

 

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Qu’est-ce qui t’a poussé à décortiquer la rivalité féminine ? Car ton livre est plein d’anecdotes personnelles.

L’idée d’écrire ce livre est partie de plusieurs expériences que j’ai subies, plusieurs schémas qui se répétaient. Je suis une femme racisée, et apparemment, je fais souvent peur aux femmes. Étant donné que je ne me retiens pas de dire ce que je pense sans détour, ça peut être interprété comme de l’arrogance, de l’arrivisme, de la menace. Si l’on ajoute les clichés de l’agressivité et de la violence imputés aux femmes racisées… Bref, cela m’a créé beaucoup de problèmes avec les femmes qui se sont mises en compétition avec moi, et dans tous les domaines de la vie quotidienne. 

On voit dans ton livre, à travers ta propre expérience, que les femmes se considèrent quasi automatiquement comme rivales dans le domaine professionnel.

J’ai eu de nombreux jobs, de vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter à journaliste en presse mode, où la concurrence était rude. Des milieux considérés comme très féminins. Je devais toujours montrer que non, je ne souhaitais pas prendre la place de mes collègues ou de mes supérieures. Je ne comprenais pas cette insécurité permanente alors que ces femmes étaient protégées par un CDI et moi seulement stagiaire, ou en contrat ponctuel, souvent précaire. C’était systématique. En même temps, dans le domaine professionnel, les compétences des femmes sont toujours remises en cause, dénigrées, et leur évolution de carrière est souvent limitée. 

Tu analyses beaucoup de références de pop culture dans ton livre. Est-ce qu’elle a contribué à façonner la rivalité féminine ? 

Bien sûr ! La représentation de femmes rivales est partout, on ne peut pas y échapper. Cela nous a forcément influencés d’une manière ou d’une autre. J’ai grandi dans les années 90-2000 et j’ai beaucoup regardé des teen movies de ma génération, type Clueless ou Lolita malgré moi. Généralement, les films étaient basés sur une gentille et une méchante qui s’affrontent. D’ailleurs, ces dernières étaient toujours considérées comme les plus féminines. Bref, cette rivalité est présente partout. Dans la littérature, dans le cinéma… Et même dans la musique, on n’a cessé de mettre en compétition Britney et Cristina ou Beyoncé et Rihanna. Des ressorts culturels qui font que si l’on n’en prend pas conscience, cela peut nous transformer et faire de nous la somme de tout ce qu’on a regardé, ou tout ce à quoi nous avons été exposées en termes de rivalité féminine. 

Cette rivalité est présente partout. Dans la littérature, dans le cinéma… Et même dans la musique, on n’a cessé de mettre en compétition Britney et Cristina ou Beyoncé et Rihanna.

Est-ce que la rivalité et la comparaison entre femmes vont toujours de pair ?

C’est indissociable. Lorsqu’il y a plus de deux femmes dans un même domaine, on doit toujours décider qui est la meilleure. Qui sera la plus belle ? Qui sera la plus intelligente ? Qui sera la plus intéressante ? Il est impossible de ne pas comparer deux femmes, quel que soit leur environnement. On compare les artistes féminines, on compare les bonnes et les mauvaises mères, les sœurs, les amies, les collègues, les consœurs… Et cette comparaison n’est jamais pour apprécier leur travail, leur caractère ou leur manière de faire. Mais toujours pour en déprécier l’une par rapport à l’autre. On subit toutes des insécurités, on est des femmes, on a donc été élevées et construites pour ressentir de l’insécurité. 

Au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture, on se rend compte que la rivalité féminine imprègne tous les domaines. Est-ce que l’on peut y échapper ?

Je pense qu’elle est présente partout, malheureusement. Dans les jobs qualifiés, non qualifiés, dans les relations interpersonnelles, dans l’amitié, dans ce que l’on regarde en termes de pop culture… La rivalité féminine court partout dans notre société, mais personne ne veut l’aborder et l’analyser à bras-le-corps. On balaye cette problématique et on reste dans le déni. Les hommes aussi sont en rivalité, mais pour eux, c’est dans le désir de s’affirmer. Pas dans le désir de remédier à une insécurité. 

D’ailleurs, tu analyses comment la pop culture a façonné plusieurs stéréotypes de femmes pour mieux les rendre rivales. La cool girl”, la pick me”, la “manic pixie dream girl”… 

Dans les films et séries, il y a souvent leur représentation : la “cool girl”, une femme forcément sexy et masculine dans ses attitudes, c’est-à-dire capable d’engloutir une tonne de nourriture tout en ne grossissant jamais, forcément drôle, qui ne crie jamais sur son mec ; la “manic pixie dream girl”, une femme qui, souvent, n’a pas d’existence propre, et qui sert à rendre la vie meilleure au personnage masculin ; et la “pick me”, qui ferait tout pour qu’un homme la choisisse. Et puis il y a les autres. Et souvent, cette représentation de femmes existe aussi dans la vraie vie, et contribue à ce que nous nous mettions en compétition entre nous… Notamment pour avoir de l’attention de la part des hommes.

La rivalité féminine est donc aussi causée par le regard masculin ? 

Les femmes hétéros vivent toujours avec le poids de ce regard qui pèse. Certaines veulent être toujours présentables auprès d’hommes alors qu’elles n’en ont rien à faire. Cela flatte leur ego dans une société qui les attaque en permanence. Et ce regard les définit trop, c’est difficile de s’en extraire, tant certaines sont éduquées pour et comme ça. 

Dès l’introduction, tu préviens que tes propos peuvent paraître “un peu sévères”. Tu as conscience que ton discours peut froisser certaines femmes ?

J’en ai bien conscience, mais je n’ai pas envie de montrer patte blanche, ni d’édulcorer mon propos afin de rassurer les autres. L’idée de ce livre est que l’on remette en question nos comportements. L’agentivité est quelque chose qui compte pour moi. J’en ai marre que l’on présente les femmes comme victimes de leur propre comportement. Elles sont victimes d’un tas de choses, et je ne les remettrai jamais en question. En revanche, notre attitude envers les autres nous appartient toujours. On est pétries de misogynie intériorisée. Je suis féministe et je sais qu’on est construites pour être antagonisées. En revanche, j’ai mon libre arbitre, je choisis comment je me comporte avec les autres, et je décide de ne pas me laisser définir par cette misogynie. Il faut déconstruire ce qui fait qu’on puisse devenir horribles les unes avec les autres, et ne pas se faire confiance. Puis il faut qu’on agisse en conséquence. Être féministe, c’est aussi se prendre en main et accepter de se mettre le nez dans le caca.

L’idée de ce livre est que l’on remette en question nos comportements.

Tu dis avoir reçu des critiques de la part d’autres femmes lorsque tu as commencé ton projet, disant qu’il ferait le jeu du patriarcat. Que leur répondre ?

Vous préférez laisser les misogynes et masculinistes aborder ce sujet ? Autant qu’on s’en empare nous-mêmes et qu’on le déconstruise de façon correcte et bienveillante, plutôt que de laisser la rivalité féminine rester un cliché que l’on a intégré et qui continue de pourrir notre vie quotidienne. Ça nous appartient, ça nous concerne, c’est à nous de travailler sur nous-mêmes. 

Est-ce que déconstruire la rivalité féminine peut mener à une meilleure sororité ?

La sororité est un très beau mot. J’ai envie d’y croire, mais en l’état actuel des choses, je n’y arrive pas. On a tendance à penser que la sororité ne se limite pas à demander plus de femmes dans les conseils d’administration. Ça doit demander d’améliorer le quotidien de toutes les femmes, en permanence. La sororité ne doit pas être un outil individuel, mais collectif. Et c’est comme ça qu’on sera plus soudées, et plus solides ensemble. Le livre n’est qu’une piste de réflexion. C’est pour ça qu’il se termine par un petit guide de la déconstruction – forcément incomplet, mais j’aurais essayé. 

 

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Rivalité, nom féminin, de Racha Belmehdi, éditions Favre. Le 3 mars en librairies.
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