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Mean girls : pourquoi elles méritent mieux

On a adoré les détester et on leur a souhaité le pire : les mean girls, stars lycéennes glamour et cruelles, ont longtemps été sacrifiées sur l’autel des teen movies. Méritaient-elles toute cette haine ?

La mean girl, archétype emblématique de nos intrigues adolescentes, règne sans pitié sur les films et les séries depuis des années. Agressive et imbue d’elle-même, elle capitalise le mépris du public et des autres personnages tout en mettant en valeur l’héroïne dont elle tente de saboter les plans. En y regardant de plus près, on remarque qu’elle est pourtant bien moins machiavélique qu’il n’y paraît… et victime d’une industrie qui la déteste.

Leighton Meester on location for "Gossip Girl"

© Getty Images

Prom queen éternelle

Perchée sur des talons aiguilles, le regard féroce, un sac à main dernier cri à son bras et des copines impitoyables à ses côtés : on connaît tous le personnage de la mean girl, le tyran du lycée qui mène les garçons par le bout du nez et règne par la terreur. Née à la fin des années 70, elle apparaît dès les premiers teen movies sous les traits de Rizzo dans Grease ou de Benny dans Pretty in Pink, et devient une figure incontournable à partir des années 90 grâce à des séries télévisées très populaires comme Lizzie McGuire ou Sabrina, the Teenage Witch. Si ses vêtements et ses centres d’intérêt évoluent en fonction des époques, les caractéristiques sociales de la mean girl, elles, sont invariables : elle est toujours belle, riche et populaire, et possède une confiance en elle dévastatrice. Lorsqu’elle s’intéresse à l’art, c’est la drama queen la plus flamboyante du lycée, prête à tout pour décrocher le premier rôle, comme Sharpay Evans dans High School Musical ou Carla Santini dans Confessions of a Teenage Drama Queen. Elle peut également se présenter sous les traits de la capitaine des cheerleaders, rayonnante dans son uniforme, à l’image de Taylor Swift dans son clip “You Belong With Me” ou de Cheryl Blossom dans Riverdale. Enfin, quand son seul but est d’asseoir sa domination sociale et amoureuse, elle enchaîne les outfits coûteux et les intrigues dans le but de devenir une prom queen crainte et respectée, façon Regina George dans Mean Girls ou Blair dans Gossip Girl. 

Reine du bal et des abeilles, la mean girl semble flotter au-dessus de la masse, en évoluant dans l’univers des ultra-privilégiés du lycée, à l’inverse de l’héroïne, son contrepoint plus mainstream. Car, rappelons-le, la mean girl n’est jamais le personnage principal du film, de la série ni même du clip dans lequel elle évolue. Toujours relayée au rang d’intrigue secondaire, elle remplit surtout le rôle d’antagoniste et d’ennemie numéro 1 de la vraie star de l’œuvre, qui, bien qu’elle soit souvent plus gauche, plus timide ou effacée, reste celle que le public adore et défend – parfois à tort. Ainsi, si l’on reconnaît aujourd’hui que le personnage de Sharpay était beaucoup plus intéressant et touchant que la fade Gabriella (avec tout le respect que l’on doit à Vanessa Hudgens), en 2006, lors de la sortie du film, c’était à cette dernière que toutes les préadolescentes de la planète étaient invitées à s’identifier.

 

Le fait que l’opposition good girl/mean girl soit avant tout présente dans les contenus destinés à un public féminin contribue à en faire un personnage à visée pédagogique pour les jeunes adolescentes.

La bonne et la mauvaise féminité

“She wears short skirts, I wear t-shirts”, chantait Taylor Swift en 2009. Cette opposition narrative, qui se traduit généralement à l’écran par des couleurs de cheveux différentes (pensez Blair/Serena, Regina/Cady, Brooke/Peyton ou encore Taylor brune/Taylor blonde dans le clip de “You Belong With Me”), se caractérise surtout par sa forte portée morale. Ainsi, si la mean girl est généralement adulée (et crainte) par ses pairs, les spectateur.trice.s sont invité.e.s, à travers les yeux de l’héroïne, à prendre conscience de ses défauts et à la détester. Dans le meilleur des cas, la mean girl est un personnage évaporé, superficiel et vain (Kate dans Lizzie McGuire, Lana dans Journal d’une princesse) ; dans le pire, c’est une femme manipulatrice, sournoise et cruelle (comme Alison dans Pretty Little Liars), et presque toujours une dragueuse invétérée, c’est-à-dire le comble de la vulgarité selon Hollywood. “Si seulement tu savais à quel point elle est méchante”, confie ainsi Gretchen, aux bords des larmes, en parlant de Regina. 

Présentée comme un personnage profondément égoïste pour qui les autres ne sont que des minions à son service, elle encapsule l’idée que la popularité, la beauté et l’ambition ne font pas tout et contribuent même à pervertir les jeunes filles, les rendant cupides et imbues d’elles-mêmes. À l’inverse, l’héroïne du film, généralement humble et moins éclatante, se caractérise par son intelligence, sa douceur et son comportement beaucoup plus respectable sur le plan moral et sexuel. Si elle aspire parfois au statut social de la mean girl, elle réalise toujours que le prix à payer pour le succès ne correspond pas à ses valeurs et préfère triompher par la générosité, la gentillesse et l’altruisme, des qualités systématiquement récompensées à la fin de l’intrigue. Ainsi, Cady perd le respect de ses amis, de son crush et de sa famille en accédant (et en prenant du plaisir) au statut de Plastic, qui l’oblige à endosser le rôle d’un personnage plus bête qu’elle ne l’est en réalité ; elle ne le regagne qu’en brisant sa couronne de prom queen, matérialisant ainsi son refus de prendre le pouvoir de cette manière. 

Ce schéma narratif est tout sauf anodin : le fait que l’opposition good girl/mean girl soit avant tout présente dans les contenus destinés à un public féminin contribue à en faire un personnage à visée pédagogique pour les jeunes adolescentes. Point de mean girl dans les films et séries aux héros masculins, comme Malcolm, American Pie ou Smallville : le personnage féminin n’y joue souvent que le rôle d’un idéal amoureux que le héros finit par conquérir. Dans les séries étiquetées girly, comme Hannah Montana, H2O ou Buffy, elle est cependant un personnage incontournable et récurrent. A travers elles et leurs échecs, les petites filles intègrent l’idée que les femmes sont des rivales naturelles en compétition pour le titre de meilleur personnage féminin… et apprennent très tôt qu’il y a une bonne et une mauvaise façon d’être une femme.

Free pass misogyne

Derrière ces problématiques apparemment féminines, c’est bien le regard masculin qui règne en maître : ce que la mean girl et l’héroïne se disputent, plus qu’un statut social respectable, c’est presque systématiquement l’attention d’un garçon. Ce dernier dicte les codes de la bonne féminité, en récompensant de son amour le personnage féminin le plus moral. À travers le succès amoureux de toutes les Gabriella de la télévision, les adolescentes sont invitées à comprendre que l’amour de soi, l’attention accordée à son apparence et le succès en société sont des attributs peu attrayants car ils ne permettent pas de trouver l’amour, le vrai. La mean girl ne gagne jamais le cœur du beau garçon ; tout au plus a-t-elle droit à un date raté ou à une rupture, tandis qu’il lui préfère une héroïne ravagée d’insécurités, au charme discret et dont l’ego ne risque pas de lui faire de l’ombre. “You don’t know you’re beautiful, that’s what makes you beautiful”, nous serinaient déjà les 1D en 2011. 

Pétri de misogynie et d’hypocrisie, ce message contribue à priver les femmes de leur pouvoir tout en ignorant le double standard qui leur impose d’être belles pour réussir dans la vie. Personnage ambivalent, à la fois adulée et détestée, la mean girl symbolise l’impossible succès des femmes : alors qu’elle ne fait que se conformer aux attentes sociétales concernant la féminité, elle est moquée pour sa vanité et slut-shamée lorsqu’elle jouit de ce statut ou en tire une forme de pouvoir. La vraie menace que représente la mean girl réside au fond dans le fait qu’elle renverse le rapport de forces du male gaze et en tire avantage : puissante, unapologetic et consciente de sa valeur, elle pense à elle avant tout, menaçant ainsi l’ordre patriarcal dans lequel les femmes sont censées savoir où est leur place (loin derrière les hommes). 

Les portraits peu flatteurs des mean girls, souvent écrits par des hommes, semblent surtout contenir toute la frustration de ces derniers face à des femmes qui n’ont pas besoin d’eux, sont plus puissantes qu’eux et voient plus loin que le bonheur conjugal. “Ce qui était bizarre avec Regina, c’est que, tout en la détestant, je continuais de vouloir qu’elle m’apprécie”, analyse Cady pour définir la nature de sa relation avec la queen bee du lycée. Cette phrase, qui pourrait tout aussi bien sortir de la bouche d’un incel, résume bien l’attention toxique dont les mean girls font l’objet, à la fois désirées, inaccessibles et donc haïssables. On peut ainsi renverser le rapport de forces qui sous-tend l’écriture de leur personnage : échouent-elles à retenir l’attention masculine à l’écran parce qu’elles sont méprisables, ou est-ce justement parce qu’elles n’en ont pas besoin que les hommes les détestent et les transforment en un archétype ridicule ?

 

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Personnage ambivalent, à la fois adulée et détestée, la mean girl symbolise l’impossible succès des femmes : alors qu’elle ne fait que se conformer aux attentes sociétales concernant la féminité, elle est moquée pour sa vanité et slut-shamée. 

 

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Se réconcilier avec la mean girl

Aujourd’hui, difficile de regarder les teen movies du début des années 2000 sans grincer des dents face à l’écriture ultra-réductrice des mean girls qui s’opposent aux starlettes angéliques de l’époque, comme Lindsay Lohan (pré-rehab) ou Hilary Duff : il suffit de regarder autour de soi pour réaliser que ces personnages féminins caricaturaux n’existent pas dans la vraie vie. Créées dans le seul but d’être détestées, les mean girls sont souvent l’objet d’une haine démesurée qui se justifie par leur supposée stupidité : Sharpay se fait piquer le premier rôle, tout comme Carla Santini, Cordelia est systématiquement rabaissée par le reste des personnages dans Buffy et Regina George se fait carrément renverser par un bus. Cette cruauté scénaristique gratuite contribue à les transformer en victimes et l’héroïne principale, totalement insensible à sa détresse, en bully. Une injustice dont le public contemporain est de plus en plus conscient. “Sharpay Evans méritait mieux et est la véritable victime de HSM”, protestent ainsi des tweets. “Disney ne voulait pas que nous aimions Sharpay”, martèle la youtubeuse Amy Lovatt. “C’est un complot.”

Désireuse de faire amende honorable, l’industrie du cinéma a offert aux mean girls des rôles plus savoureux et des trajectoires plus clémentes : Sharpay a bénéficié de son propre film, La Fabulous Aventure de Sharpay, dans lequel elle conquiert Broadway et trouve l’amour, tandis que les mean girls modernes comme Blair ou Maddy dans Euphoria sont écrites avec plus de complexité et d’empathie. On peut aussi se tourner vers les comédies adolescentes écrites par des femmes, dans lesquelles la réconciliation finale est possible, comme dans Gilmore Girls, où Paris, qui mène la vie dure à Rory au début de la série, devient finalement sa colocataire à la fac et une amie fidèle. Certains films, comme Jennifer’s Body, Legally Blond ou John Tucker Must Die, s’emploient quant à eux à déconstruire l’archétype de la mean girl, en montrant comment il est fabriqué de toutes pièces pour le plaisir des hommes et en valorisant l’amitié entre filles plutôt que le succès amoureux.

Car réinventer la mean girl, c’est aussi prôner l’entraide féminine. “Il faut que vous arrêtiez de vous traiter de pétasses et de traînées”, expliquait déjà Tina Fey dans Mean Girls en 2005. Si son écriture traditionnelle sape toute possibilité de sororité et monte les filles les unes contre les autres, ses rôles plus contemporains dessinent en creux un univers où elles se serrent les coudes pour s’émanciper du regard masculin et de son pouvoir, sans renoncer à être fierce : Maddy est entourée de ses copines envers et contre tout, Blair peut toujours compter sur Serena, tandis que des personnages comme Santana dans Glee, qui conquiert le cœur de sa meilleure amie Brittany, montrent que l’on peut être capitaine des cheerleaders et avoir un arc narratif intéressant. De notre côté, on attend toujours le spin-off sur Regina George.

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