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Britney Spears : en finir avec le shaming

On connaît tes pas de danse et on apprenait les paroles de tes chansons. On t’a élevée au rang d’idole avant de te détruire puis t’adorer à nouveau. Tes refrains sont les bandes-son de nos vies, mais qu’est-il arrivé à la tienne ?

Tu avais 16 ans, j’en avais 13. Britney, tu étais jeune et blonde comme moi, mais contrairement à moi, tu pouvais faire tout ce qui m’était interdit : conduire une voiture, courir avec tes toy boys sur la plage, danser en combinaison rouge sur Mars. Cette émancipation semblait aussi s’exprimer par le biais d’une garde-robe sexualisée dans un registre lolitesque. Tes danses en soutiens-gorge pigeonnants et tes strings dépassant d’un jean taille basse racontaient un corps fraîchement libéré du joug parental.

Pourtant, je t’ai abandonnée comme on tente d’effacer salement un souvenir embarrassant. J’ai remballé les posters, jeté mes collections d’albums et produits dérivés. Alors que mon corps changeait, on m’a fait comprendre qu’il était plus sage pour une femme en devenir de s’effacer. “Ces Américaines sont toutes des traînées. Prends un livre”, telle était la formule du devenir femme à la françaiseEt pourtant, sans le savoir, tu avais été plus efficace que mille théories féministes bourgeoises et désincarnées.

Affirmant ton corps tout en jouant sur un registre candide, tu m’avais sensibilisé au mythe de la femme-enfant. Une créature étrange, à la fois enfant éternel et presque femme qui fut pendant longtemps ton pass vers le monde américain patriarcal et opalin. Avant toi, il y a eu Bardot, Monroe… Il semble que ce rôle soit difficile à tenir éternellement.

Britney Spears Performing at Wembley Arena

Comme beaucoup, j’ai assisté en 2007 à ton effondrement. Rasage de tête, attaque de voiture de paparazzis au parapluie. Qu’avait-on fait de toi, Lolita ? C’était il y a treize ans, et alors que je quittais le foyer, tu y retournais contre ton gré. Un père vorace et intéressé faisait un retour inopiné dans ta vie, seul à décider de tes activités ordinaires telles que téléphoner, conduire, te marier.

Aujourd’hui, de Netflix au New York Times, les documentaires se multiplient pour élucider le “mystère Britney Spears” et trouver des coupables. Tu es décrite comme le personnage mythologique d’une tragédie douce-amère, narrant une Amérique déchue t’ayant neutralisé dans une infantilisation brutale, carcérale. Britney Spears, ton cas est élevé en cause à travers le monde. Mais qui peut te sauver ? Qui peut te rendre ton enfance ?

Adulée mais mal-aimée

On donnerait tout pour cette fille qu’on ne connaît pas. On se sent impuissant, dénué de moyens face à ce sordide “unhappy ending” : “Je ne veux pas regarder le documentaire, j’ai peur de pleurer”, m’explique un ami. Aujourd’hui, Britney Spears est une tragédie moderne soulevant les foules et faisant le beurre de médias à sensation. Elle est l’ersatz des grands scénarios de la pop culture, aux personnages traversés de contradictions. Elle raconte la tragédie d’une adolescence passée devant les caméras, à la fois starlette et personnage de femme mal-aimée, la gloire et la solitude. Elle est le reflet de notre propre liberté conditionnelle.

Sauver Spears, applaudir sa résilience, lui présenter des excuses : en 2021, tout le monde tente désespérément de réparer le passé. Timberlake fait un come-back, expliquant être lui-même victime : “J’ai bénéficié d’un système qui favorise la misogynie et le racisme”, écrivait-il sur Instagram, après la diffusion du documentaire Framing Britney du New York Times. Et le slut-shaming dont elle fut victime est enfin dénoncé.

Je ne vais pas mentir : tout ce scénario est un peu glauque, comme si Britney Spears n’était plus qu’un fantôme, une image trouble de femme-enfant qui s’estompe. Pour parler d’elle, on emploie le mot “autrefois” et les trolls la traitent de vieille fille. Pourtant, elle est là, vivante et dansante sur Instagram.

Mini-short et brassière de sport, les cheveux blonds désordonnés, maquillage apposé nonchalamment : elle s’adonne à corps perdu à des chorégraphies désordonnées au milieu de son manoir. Elle déambule pieds nus, dessine des cœurs avec ses mains et sourit innocemment comme elle l’a appris à ses débuts à 12 ans dans le Mickey Mouse Club de Disney. L’image n’est pas aseptisée. La musique est saccadée. Le cadrage est mauvais.

Là, délivrée des artifices usuels imposés aux stars féminines, elle est l’envers d’une société célébrant la méritocratie. Refusant de s’apprêter, elle renvoie à l’Amérique l’échec de sa politique d’intégration. Britney a travaillé, et pourtant, elle ne veut pas de vos médailles.

Aujourd’hui, elle fait de son corps son dernier espace de liberté. Si on la qualifie d’insensée, gloussant devant ces images, c’est qu’elle échappe enfin à tous nos scénarios.

Britney Spears during "Crossroads" Hollywood Premiere

Quand Lolita s’échappe, l’hystérie frappe

En cherchant un peu, je constate que cette histoire n’a rien d’inédit. Son indexation à un destin tragique trouve ses germes dans un large récit liant femme et hystérie. Déjà, dans l’Antiquité, Hippocrate utilisait le terme, issu du grec hysteron, soit utérus, pour désigner la folie chez les femmes. Ce lien supposé naturel s’infiltre dans les mythologies quotidiennes, enrichi au XXe siècle par la popularité des analyses freudiennes expliquant l’hystérie sur la base de la différence sexuelle entre hommes et femmes.

Cela n’échappe pas à Hollywood. Comme le note le sociologue Edgar Morin, Marylin Monroe deviendra la première star décrite comme “problématique”, criblée d’addictions et vouée à un destin tragique. Un demi-siècle d’évolution médiatique plus tard, la machine cinématographique n’est plus l’unique appareil produisant des stars dégénérées, concurrencé par Disney, la pop culture et les paparazzis, largement décrits dans le documentaire Framing Britney Spears. “Il y a tout un appareil prêt à détruire les femmes”, commente Wesley Morris, l’un des critiques du New York Times.

Dans le cas de Spears, ce stéréotype a atteint son paroxysme en 2007, ce fameux soir où elle tond sa crinière de blés sous l’œil des photographes, débarrassée d’une sexualisation apposée par Disney et son label Jive Records. Dans cet épisode, une phrase me frappe : “Don’t touch me, I’m sick of people touching me”, dit-elle (“Ne me touchez pas, j’en ai marre que les gens me touchent”). C’est rationnel. Pourtant, cette séquence culte n’a jamais été dépeinte comme une volonté légitime de réappropriation de son corps, mais comme l’épitome de la folie. “Il est important de rappeler que Britney Spears ne s’est jamais ouvertement exprimée sur une quelconque pathologie et qu’il serait erroné de lui en apposer une”, m’explique Jean-Victor Blanc, psychanalyste et auteur de l’ouvrage Pop & psy – Comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques ?, qui décrit le cas Britney comme un engouement autour d’un “récit de déchéance”.

Tout ce scénario est un peu glauque, comme si Britney Spears n’était plus qu’un fantôme, une image trouble de femme-enfant qui s’estompe.

La plouc dans son palace ?

Je décide de remonter plus loin. De comprendre ce qui s’est joué à Kentwood, ville de 3 000 habitants au fin fond de la Louisiane, où Britney, petit sucre d’orge à la peau dorée, grandit dans un milieu pratiquant, avec un papa ayant le goût del’alcool.

Dans cette Amérique précaire, le travail est hissé en valeur centrale. Britney, machine à tubes, enchaîne disques et tournées. À 21 ans, elle a deux disques de diamant. Mais il y a un hic : elle ne choisit pas la voie de la respectabilité bourgeoise. Elle dévie. Si elle a gagné un capital financier, elle n’affiche pas les symboles culturels y étant accolés. Je m’explique : elle n’a jamais fait la couverture de Vogue, préfère les allées de Walmart au Faubourg-Saint-Honoré, se balade en jogging et tongs – attention, rien n’est siglé Balenciaga. Elle préfère jouer les desperate housewives que d’épouser le destin des étoiles à l’âme respectée. Celle qui se marie une première fois en jean et casquette Von Dutch trahit le rêve de gloire des Sudistes blancs. L’Amérique l’encourage, elle la décourage.

“Britney Spears possède une relation critique face aux normes de la blancheur, de la richesse et de la féminité dite acceptable. Son mariage avec Kevin Federline est un défi à l’hétéro-romantisme bourgeois. Les médias la qualifieront de ‘white trash’, l’accusant de transgresser les normes”, explique Milly Williamson, professeure en études culturelles à l’université Goldsmith de Londres. Malgré le succès, Spears ne semble pas avoir échappé à son genre, ni à sa classe.

Britney Spears avec son étoile à Hollywood
Britney Spears aux 1999 Teen Choice Awards

Stronger than yesterday

Pourtant, je me refuse à cette conclusion cynique et misérabiliste. Puisque j’ai oublié les paroles de ses chansons et que je suis incapable de suivre la chorégraphie de “Toxic”, je me tourne vers ceux qui savent. Ceux qui la regardent, ceux qui préfèrent écouter “Stronger” à “Crazy”, ceux qui ont lu entre les lignes et vu Britney comme une femme autonome plutôt qu’une Lolita passive.

Je me rends virtuellement à Vegas où vit Jordan Miller, un des premiers fans à parler de la tutelle en 2008. En 2004, alors que je tournais le dos à Britney Spears, il lançait la fanbase Breatheheavy.com, qui compte aujourd’hui 300 000 visiteurs par mois et un peu moins de 70 000 membres. Plus qu’un simple lieu de culte, Miller transforme le site en outil d’information sur la tutelle de Spears et dénonce les travers de la justice californienne. “Comment cette pop star iconique a-t-elle pu partir en tournée, sortir des albums, faire des interviews, élever ses enfants, mais être considérée par les tribunaux comme une personne incompétente ?”, s’interroge-t-il.

“Par ses clips et ses musiques, elle a révolutionné la vision de la sexualité des femmes et a sans doute permis à un grand nombre de femmes et d’hommes d’avoir confiance en eux et en leur sexualité… Les fans l’aiment pour cette force”, me racontent les fondateurs du compte Twitter FreeBritney-France.

Éternel piercing au nombril, ange gravé dans le bas du dos, bronzage doré, Britney, tu n’as pas arrêté de danser. Tu es libre, et non honteuse. Plus qu’un rappel de ton enfermement ou un signe de trouble mental, chaque nouvelle chorégraphie postée sur Instagram met en exergue l’étroitesse de notre conception du succès.

Le tien n’est pas celui d’une arriviste qui élide ses origines. Ce n’est pas non plus celui d’une féministe bannissant le corps sexualisé, signe supposé d’une inféodation au regard masculin. Je ne t’enfermerai plus dans un jargon universitaire. Je renonce à citer la féministe Barbara Kruger (“Your body is a battleground”), et te laisse danser librement, espérant un jour en faire autant.

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