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Porter une casquette Von Dutch n’a pas fait de moi une star

La trucker hat Y2K qui coiffait Paris Hilton ou Britney Spears renaît de ses cendres, entre nostalgie pré-Internet et récit 4.0 de l’American Dream.

Sa silhouette hante les fils Instagram. Megan Thee Stallion ou Booba l’arborent et la famille Kardashian semble ne l’avoir jamais oubliée. La casquette Von Dutch est de retour. Jean taille basse moulant, mini-sac à main imprimé léopard, la gamme du label se fond dans l’esthétique Y2K ressuscitée par TikTok et entérinée par les podiums de la dernière Fashion Week – des looks jonchés de papillons chez Blumarine aux minijupes taille basse Miu Miu.

Me voici perdue entre le quartier des Halles et les fripes de la porte de Clignancourt, dans une quête bien familière de cet emblème du rêve américain. Je n’en suis pas à mon coup d’essai. Au tournant des années 2000, je découvrais l’emblématique casquette à l’esthétique hybride mi-redneck mi-girly en couverture des tabloïds, portée par mes idoles adolescentes à la dérive.

Pas de doute, il m’en fallait une. J’imaginais ma tête blonde ombrée de mèches rouges couronnée du logo Von Dutch. Plus que futile, l’objet me permettrait de me cacher des paparazzis à la sortie du supermarché ou en allant à l’arrêt de bus de ma campagne en bordure de départementale. Je plissais les yeux, me fantasmant assaillie de flashs, dans ces espaces à la banalité grinçante. Là, dans le croissant du vide, personne ne m’attendait avec un appareil photo.

Miroir de ma propre quête narcissique de reconnaissance au tournant de l’adolescence, la conquête Von Dutch sera finalement un échec cuisant. Trois mois d’attente via un site par correspondance, un colis à jamais égaré, un daddy sarcastique face à mes références culturelles de masse et une France semblant peu à même de célébrer et rendre accessibles les vêtements permettant d’associer le fantasme d’une gloire bling à la mixité sociale. Là où le look d’ascension glitter est proscrit, le look transfuge de classe obéit à la construction du bon goût ascétique des élites. Mais la France n’est pas le monde, et le look américain bling me fait encore taper le cœur.

Une franche décennie plus tard, le retour de Von Dutch raconte-t-il une acceptation de l’American Dream ? Mon American Dream – enfin ?

Gwen Stefani

De l’American Dream à l’American Drame

À la fois avilissante avec ses glitters d’un registre femme-enfant et conquérante par ses lignes camionneurs, la casquette Von Dutch est l’icône d’une ère révolue, racontée aux plus jeunes et vécue par les Gen Y et Z. “Je me rappelle encore Paris Hilton – tellement de célébrités portaient la marque ! Cela évoque un esprit fun, très LA, très pop”, explique Christelle Kocher, directrice artistique de Koché, qui imaginait un modèle à l’ADN couture recouvert de clous pour Von Dutch en juillet dernier.

Rose, strass et paysage californien : sous le vernis aux couleurs saturées de l’ère Von Dutch se dissimulent les tumultes d’une époque fascinée par le trash, les scandales et photos de stars titubantes. “L’époque Von Dutch s’inscrit dans l’esthétique dite McBling, correspondant précisément à la période 2003-2008 marquée par la paranoïa ayant suivi le 11-Septembre”, selon Evan Collins, à la tête du wiki Consumer Aesthetics Research Institute, qui ajoute : “C’est la douloureuse gueule de bois après l’énorme fête qu’était le passage à l’an 2000.”

Le paysage : les Kardashian et leurs frasques débarquent sur la chaîne câblée E! après la fuite de la sextape de Kim et Ray-J, Britney divorce de Kevin, et Lindsay prend le pli du mugshot carcéral. Une forme de célébrité succède à une autre. Les lolitas iconiques partent en vrille – révélant leur côté badass et trashy. Le public en redemande, TMZ débarque, allant jusqu’à diffuser les photos de MJ/King of the Pop, sur son brancard. Le rêve et son envers coexistent. Le plaisir du spectacle de la chute atteint son paroxysme.

Les SMS s’échangent sur des flip phones parsemé de strass. On s’arrache les ceintures Playboy et les sweats Hollister recouvrent des soutiens-gorges rembourrés imprimés Hello Kitty. Une esthétique mondiale articulant des éléments adolescents disparates s’achète désormais sur eBay mais la magie McBling ne durera pas. “L’esthétique prend fin avec la crise des subprimes en 2008 et l’explosion des réseaux sociaux”, écrit Evan Collins. Pendant cette période charnière précédant le virage Emo – abrégé d’“émotionnel” – d’une jeunesse MySpace post-crise, la casquette Von Dutch triomphe et accompagne les célébrités dans leurs affres, annonçant un monde en transition.

Dans un univers consumériste glorieux au bord du précipice, les modes naissaient à Los Angeles, se diffusaient sur des médias glossy bas de gamme et trouvaient une traduction locale sur les portants de Jennyfer. Tout le monde pouvait devenir son propre working class hero trash mais ne pouvait pas le médiatiser et le crier sur tous les toits – les médias sociaux étaient balbutiants.

Gloire d’un working class hero

Le seul véritable working class hero ayant frayé son chemin dans l’ère McBling et transformé sa vie en film médiatique ? Christian Audigier – un nom aux consonances hexagonales racontant une émigration vers la terre des pionniers à la mâchoire carrée.

Paris capitale de la mode ? Très peu pour l’homme derrière la refonte de Von Dutch. Ex-boloss des nuits de Saint-Tropez, il quitte la France direction LA en 2000, avec tout juste 500 dollars dans le blue-jean et un pari assumé : “vivre le rêve américain”. Dans des conditions troubles, il reprend le label Von Dutch fondé en 1930 par l’artiste américain Kenny Howard, laissé à l’abandon par ses héritiers. En quelque mois, il devient millionnaire et s’autoproclame “king of fashion”.

Il comprend et démontre que les Wintour et podiums parisiens ne sont plus annonciateurs de la mode et transforme les photographies de paparazzis en campagne publicitaire gratuite des plus lucrative. “Ma démo, c’est le magazine tabloïd. Je suis différent des autres designers. Ce qu’ils disent détester, c’est ce que je préfère. On regarde tous OK! Magazine. On fait juste semblant de ne pas le faire”, expliquait-il en fin sociologue effronté au magazine GQ en 2009, ajoutant : “Je suis dans un monde différent de celui de l’industrie de la mode. Je suis avec Mick Jagger, Michael Jackson, Madonna. Je me construis comme une célébrité.”

Accent français à couper au couteau et bronzage orangé, Audigier détonne et les instances du secteur n’hésitent pas à le tourner en dérision. Dans un article caricatural, GQ le surnomme l’“empereur du fromage”, écrivant : “Il est un des hommes ayant la plus grande réussite dans la mode, et c’est aussi l’un des moins respectés.” La vieille garde est au bord du précipice, prête à être renversée par des modeux digitaux natifs. Elle crache les dernières gouttes de son venin et affiche son dégoût pour un self-made-man ayant exposé – sans feindre de le cacher – tout le bling de l’ère McBling dont le luxe jouissait en secret.

Paris Hilton & Jeremy Scott

Christian Audigier & Snoop Dogg

Quand la nostalgie frappe à la porte

Si Audigier lâche Von Dutch en 2004 pour créer Ed Hardy, il vivra son rêve américain jusqu’au bout, allant jusqu’à transformer les dernières heures de sa vie en film documentaire. Stars parmi les stars, la casquette qu’il hissait en mythe ne disparaîtra jamais, fruit d’une immédiate nostalgie dans une ère incertaine où les vedettes naissent et disparaissent sur les réseaux en quelques secondes sans laisser de traces.

Face à ce nouveau dispositif stellaire instable, certains se font historiens de la célébrité. Une myriade de comptes Instagram dédiés aux décennies passées apparaissent, permettant à chacun de nourrir sa mélancolie. “J’ai lancé mon compte Instagram dans l’espoir de maintenir les années 2000 en vie et rappeler aux préados de la Gen Z une période heureuse et insouciante. Créer de la nostalgie, c’est créer du réconfort. J’aime tomber sur une image lol de The Simple Life ou d’Anna Nicole Smith en scrollant : ça change ma journée”, m’explique la détentrice du compte @2000s.pop, où s’articulent les pires looks d’Ashley Tisdale et des screenshots des Spring Break MTV.

Si regarder en arrière n’est pas une pratique nouvelle, les techniques donnant accès à une mémoire esthétisée se sont multipliées au fil du temps, créant une expérience nouvelle des temporalités “qui n’est pas forcément synonyme de passéisme mais de créativité”, comme le notait Andreas Huyssen dans son ouvrage Present Pasts : Urban Palimpsests and the Politics of Memory.

Megan Thee Stallion

Ainsi, le retour de Von Dutch s’appuie sur une logique mémorielle créative, comme en témoigne son compte Instagram, qui mêle les photos glorieuses passées de Justin Timberlake aux clichés contemporains de Cardi B, instituant une linéarité dans le discours de la marque et anéantissant les périodes d’absence. “Von Dutch is still alive”, peut-on lire en descriptif.

Booba

Aujourd’hui, la fuite en avant de Von Dutch se construit entre couture et street culture. Avec Koché, la marque s’offre un lifting mode, associant son nom à des savoir-faire artisanaux. La collaboration avec Puma joue quant à elle sur la vague du retour des années 2000, relues et actualisées avec un casting inclusif et des pièces accessibles. Mélangeant les codes et les lectures, la marque revisite ses heures de gloire à la lueur des problématiques contemporaines. Métaphore d’un fantasme d’époque, rebranding futé, le revival Von Dutch illustre un brouillage entre luxe aristocratique et style à la vibe pop, désormais aussi légitimes l’un que l’autre. L’American Dream s’hybride et les structures de rêve et de gloire se démocratisent.

De mon côté, j’ai abandonné mes fantasmes de paparazzade géante. Je n’ai jamais reçu ma casquette en jean Von Dutch et j’ai continué, l’air penaud, à prendre le bus au bord de la départementale qui m’a conduit au collège puis au lycée. Peu à peu, j’ai pris d’autres bus, m’éloignant de mes rêves préados. J’apprenais malgré moi que tout le monde ne rêvait pas de la même chose et que nos fantasmes hiérarchisés pouvaient nous être confisqués par la honte – celle de nos origines sociales. Peut-être ai-je mal rêvé ? Mais je regarde les yeux brillants les posts teintés de casquettes Von Dutch, les comptes nostalgiques (dont peu en France !) et les TikTok de ceux nés après 2003 en espérant que les contenus qu’ils exposent ne seront jamais érodés par la honte et le mépris de classe. Je cherche ma casquette Von Dutch, couronne/pied de nez du transfuge français.

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