Miss Americana
Avec ses robes pailletées et, plus tard, ses lèvres rouge vif, Taylor Swift et ses albums ont distillé des images vivaces et persistantes dans mon esprit adolescent, m’offrant une cosmogonie complète dans laquelle j’ai vécu en vase clos pendant de nombreuses années, juste avant de me jeter à corps perdu dans le monde. Se disputer et s’embrasser passionnément sous la pluie dans une petite robe d’été, se regarder intensément à un feu rouge, se tenir sous les fenêtres de l’être aimé, vivre un conte de fées puis déchanter et connaître l’hiver froid du chagrin d’amour ; autant de tropes amoureux que l’on retrouve par milliers dans d’autres œuvres romantiques des années 2000 et 2010, dont The Notebook ou Grey’s Anatomy ne sont pas les moindres.
Tout en s’inscrivant dans les codes des rom-coms de la décennie, Taylor Swift, qui écrit et compose elle-même toutes ses chansons, a toujours eu un don particulier pour mettre des mots sur les sentiments que je ressentais, ou pensais ressentir. “Posséder un sens fort de la narration au point de captiver une audience intergénérationelle grâce aux images frappantes évoquées à travers les paroles n’est pas un trait commun à beaucoup d’artistes adolescents”, soulignait en 2020 Taylor Hodgkins pour The Things. Les mots semblent pourtant venir presque par magie à Taylor Swift, qui commence par les noter dans son journal intime à la préadolescence et continue aujourd’hui de les inscrire frénétiquement dans les notes de son iPhone. “A chaque fois que je me réveille au milieu de la nuit, ou à chaque fois que je pense à un titre de chanson ou à un proverbe que je peux détourner… J’adore faire ça. J’ai besoin de capitaliser l’excitation que me procure l’idée et d’aller jusqu’au bout, sinon je n’y reviendrai pas et je me dirais que ce n’était pas assez bon”, confiait la chanteuse dans le documentaire qui lui est consacré, Miss Americana, sorti en 2020 sur Netflix.
Une inspiration aussi authentique et spontanée qu’incontrôlable ; voilà comment fonctionne le cerveau de Taylor Swift, en attestent les images devenues virales d’elle et de Jack Antonoff inventant un couplet de son hit “Getaway Car” en 30 secondes chrono. “Je pense qu’en tant que compositrice, il y a ce désir ardent de se connecter”, ajoute-t-elle, “de dire ‘C’est comme ça que je me sens parfois’, et de faire dire aux fans ‘Oh mon Dieu, je me sens comme ça des fois aussi’. Je pense que si l’on est assez ouvert, on peut se connecter avec les gens.” Est-ce son honnêteté à toute épreuve à propos de ses joies et ses peines qui a permis à Taylor Swift de nous toucher, moi et des millions d’autres adolescentes ? Régulièrement accusée d’exploiter sans pudeur sa propre vie dans ses albums, cette transparence et cette vulnérabilité en tant qu’autrice ont valu à Taylor Swift la réputation d’une drama queen à fuir. Un prix cher à payer, dont la chanteuse est bien consciente aujourd’hui. “Tu vas dater comme une fille normale dans sa vingtaine devrait pouvoir le faire, mais tu vas être un paratonnerre national pour le slut-shaming”, résume-t-elle avec amertume lorsque Vogue lui demande ce qu’elle aurait aimé savoir à 19 ans.
Posséder un sens fort de la narration au point de captiver une audience intergénérationelle grâce aux images frappantes évoquées à travers les paroles n’est pas un trait commun à beaucoup d’artistes adolescents.