Lip gloss, rouge à lèvres de petite fille et hypersexualisation
Trop jeune pour comprendre, pour répondre que non, ceci n’est pas une pipe, j’ai néanmoins commencé à prendre la mesure d’une tendance d’époque qui poussait vers l’hypersexualisation les plus jeunes femmes de ma génération, lesquelles, pour la plupart, n’en avaient pas conscience.
Un regard sur l’histoire du rouge à lèvres nous informe de la complexité de la symbolique d’une bouche maquillée à travers les époques. Bannie par différents régimes à travers le temps, associée à la prostitution et à la femme outrageuse, la pratique a pendant longtemps évoqué les “autres lèvres”. Ouch. C’est là que le bât blesse : que penser, dans le cadre de cet imaginaire inconscient mais omniprésent, d’une bouche aqueuse sur une préadolescente?
“Le gloss est ambigu, il fait à la fois penser aux résidus de salive, de sperme, avec une réelle allusion à la fellation, mais peut aussi plus innocemment évoquer la rosée du matin, la fraîcheur. Le gloss est vraiment l’attribut d’une féminité de Lolita et d’une dichotomie entre vierge et catin, et bizarrement affublé au marché de l’enfance à l’époque”, estime Carole Boinet, rédactrice en chef du numéro Sexe des Inrockuptibles, qui se souvient en avoir porté toute son adolescence.
Non pas que je sois contre dans l’absolu, bien sûr, mais il me semble que le gloss des années 2000 agissait comme un rappel de la toxicité de l’époque, dont son revival contemporain s’est dissocié. Cette période, écourtée en 2008 par le rappel glaçant à la réalité du krash boursier, voit le jet en pâture de corps féminins comme ceux de Britney Spears, Hilary Duff ou Christina Aguilera, encore adolescentes et se disant pour la plupart vierges, amenées à chanter des textes dont elles ne cernent pas les connotations. Fat shaming, slut-shaming, injonctions contradictoires à la sexualité, provoc sans crainte de représailles… C’est l’époque de l’éclosion de Terry Richardson, d’American Apparel et d’un YouPorn chic normalisant une esthétique et une pratique d’oppression.
Cette période, dictée par un regard hétéro-sexiste et cisgenre, est également celle d’un nouveau voyeurisme avec l’arrivée des shows de télé-réalité, entre Loana qui subira l’acharnement puritain médiatique après la piscine du Loft, et Kim Kardashian et sa sextape. Et tout ça est bien sûr majoritairement blanc dans une industrie de la pop très peu métissée et sans offre inclusive, où le brassage culturel était incarné par Gwen Stefani portant des bindis et s’entourant des Harajuku Girls, quatre Japonaises qui lui servaient essentiellement d’accessoires de mode. Quels enjeux de pouvoir se rejouent sur ce corps, érigé en modèle d’une époque, d’une Lolita caucasienne, vierge mais lubrique, enfantine mais musclée, dépassée par les récits qu’elle convoque ?