Une mode faussement sérieuse
Cette saison à Paris a clairement montré que les créateur.ices en général sont passé.e.s à autre chose que la mode meme, et que la priorité était de regarder à nouveau les vêtements eux-mêmes, et ce sans pour autant négliger une touche humoristique et décalée. Jonathan Anderson est d’ailleurs l’un des maîtres de l’art de penser la mode d’une manière décalée, tout en restant tout à fait portable et désirable. Chez Loewe, il a présenté une collection un peu plus mature que les saisons précédentes, mais toujours très ludique et pleine de sens. Les cardigans tricotés de la tête aux pieds avec des boutons surdimensionnés, les pantalons extrêmement hauts — déjà vus sur le défilé homme de Loewe en juin dernier – et les shorts et robes retenus par une épingle surdimensionnée ont fait passer le message : la mode est une affaire sérieuse, oui, mais pas si sérieuse que ça ! La même chose s’est produite dans l’esprit de Dries Van Noten qui a également joué avec ses propres codes cette saison, mais en ramenant un sentiment de nostalgie du côté ludique de la mode des années 2010 avec des polos surdimensionnés, des bermudas en denim brut, des paillettes et des couleurs vives.
Pour sa première fois à Paris, Peter Do s’est concentré sur la présentation de ce en quoi sa marque excelle le plus : des vêtements très bien coupés, des tailleurs sérieux, des juxtapositions toujours accompagnées d’éléments ludiques qui rendent ses collections si attrayantes. Marie Adam-Leenaerdt, qui a ouvert le calendrier des défilés parisiens de cette saison, a également misé sur une collection dévoilant un savoir-faire qui lui est propre : de coupes audacieuses ornées d’éléments ludiques ; de la robe cocon à la fin du défilé aux sacs XXL qui semblaient presque devenir de plus en plus grands à chaque coup d’œil. Pour ce qui est de jouer avec le côté trop sérieux de la mode et de lui ôter complètement son sérieux, Christian Cowan a su donner le ton comme personne d’autre. Pour son premier défilé dans la capitale française, le créateur britannique basé aux États-Unis, a emmené ses invité.es à l’église — la cathédrale américaine de Paris pour être plus exact. Ce n’était non pas pour prier mais pour assister à un spectacle de mode joyeusement chaotique, le tout orné d’une performance spéciale de Sam Smith sur une plateforme rotative en fourrure noire, accompagnée par des mannequins qui ont défilé dans des robes en forme de boules géantes. Bravo également à Cowan pour le casting body inclusive, une denrée rare cette saison à Paris.
Duran Lantink, qui a remporté le prix spécial de l’ANDAM cette année, a clôturé la semaine de la mode avec une collection qui s’est démarquée et dont tu te souviendras certainement !. L’accent a été mis sur des volumes scandaleux qui ont recréé des silhouettes de la vie quotidienne d’une manière si inattendue qu’elles étaient in fine étonnamment flatteuses. Qui aurait pensé qu’un sac fourre-tout pourrait se transformer en une veste aussi géniale? Rei Kawakubo de Comme des Garçons, la grande prêtresse de la mode tout aussi luxueuse que conceptuelle, a une fois de plus créé la surprise. Et alors que la plupart du temps, les collections de Comme des Garçons peuvent parfois sembler trop conceptuelles pour les foules, cette fois Kawakubo a surpris avec une collection qui était tout simplement amusante et accessible et qui a donc donné une toute nouvelle tournure au thème de la saison « Florals for Spring ». Bien sûr, elle n’a pas négligé sa créativité hors du commun, mais cette fois-ci, ses robes colorées en forme de boule ont insufflé un sentiment de légèreté accessible par tous.tes. Une envie d’aller à contre-courant de la frénésie de la Fashion Week qui nous a tous fait un bien fou !
La surprise de la saison est venue de Rochas qui n’a pas fait de défilé mais a présenté sa collection par le biais d’une vidéo numérique et d’un lookbook dévoilant une collection tout aussi sérieuse que ludique. Des looks full denim, des volumes exagérés sur les tops des robes, un côté ludique avec des jupes portées sur des pantalons de tailleur, des applications de plumes et du tailoring impeccable ; la collection de cette saison a été conçue par l’atelier de la Maison. Chez Yohji Yamamoto, l’ambiance s’est également éclaircie puisque cette saison, le maître de la construction a fait défiler une collection qui semblait optimiste, amusante et, si j’ose dire, même un peu sexy ! Tout cela sans laisser de côté la poésie qui fait que ce que fait Yohji Yamamoto est si grand et si important. Les minutes d’applaudissements non-stop à la fin du défilé parlaient d’elles-mêmes.