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Musique

Mylène Farmer : pourquoi les jeunes artistes en sont-ils obsédés ?

Du retour de “Désenchantée” sur les dancefloors à l’émergence de plus en plus remarquée de jeunes artistes qui la citent en influence, Mylène Farmer semble être partout, à l’aube de la décennie 2020. Explications d’un succès pérenne.

Tout commence par “Libertine”. Enfin, pour moi, tout a commencé par là. On répétait cette rengaine dans la cour d’école, comme une provocation ultime, qu’on ne comprenait qu’à moitié : “Je suis libertine, je suis une catin.” J’ai l’impression que ce sont généralement les premiers mots de Mylène Farmer que l’on retient, que l’on se plaît à chantonner, symbolisant les premiers pas vers la rébellion préadolescente. Aujourd’hui, je n’entends plus cette rengaine. Elle a été remplacée par une autre, qui commence comme ça : “Tout est chaos, à côté / Tous mes idéaux, des mots abîmés.” C’est dingue : maintenant, “Désenchantée” squatte toutes les soirées. Exit “Freed from Desire”, bienvenue génération désenchantée. 

Au-delà du retour de ce tube des années 90, aujourd’hui, en plus de squatter les meilleurs DJ sets, Mylène Farmer s’est glissée au cœur de la nouvelle scène francophone. De Joanna à Regina Demina en passant par le duo Ascendant Vierge ou encore Muddy Monk : c’est toute une génération d’artistes qui la cite en influence. Mais d’où provient cet engouement ?

La recette Farmer pour un succès pérenne

Nevermore 2023. C’est le nom de la prochaine tournée de Mylène Farmer, qui aura lieu dans un an et demi. Si le délai semble long jusque-là, presque tous les billets sont déjà écoulés – dont 200 000 en huit heures lors des préventes, si l’on en croit TS Prod, la société qui s’occupe des concerts de l’artiste. Impressionnant pour une chanteuse qui célébrera bientôt ses 40 ans de carrière (son premier single, “Maman a tort”, voit le jour en 1984). Comment expliquer le succès commercial de Mylène Farmer, et surtout la fidélité de son public ? Avec plus de 30 millions d’albums vendus dans le monde entier, selon Franceinfo, elle détient encore de nombreux records. Son deuxième album, Ainsi soit je…, sorti en 1988, s’est arraché à 1,8 million d’exemplaires. Son premier disque de diamant. Sept autres de ses albums atteignent la même certification – la plus haute du genre, tandis que cinq dépassent le million de ventes. Aujourd’hui, il suffit de taper le nom de la chanteuse dans n’importe quel moteur de recherche pour voir apparaître des dizaines de sites Internet d’information tenus par des fans, regroupant photos, vidéos, interviews et coupures de presse de l’artiste.

S’il faut aimer Mylène, cet amour doit-il relever de l’obsession ? La chanteuse Joanna acquiesce : “Soit tu ne l’aimes pas, soit tu es fan. Il n’y a pas d’entre-deux. Elle dégage un truc tellement mystique qu’en fait, c’est soit tout noir, soit tout blanc.” Un propos que l’artiste multidisciplinaire Regina Demina complète : “Toutes ces personnes s’intéressent à la globalité de son travail. C’est-à-dire : sa musique, ses chorégraphies, ses clips, ses textes. Tout. De toute manière, un fan est obsessionnel par définition.” 

Si on n’est pas une génération désenchantée, je ne sais pas ce qu’on est !

Une obsession accentuée par les apparitions rarissimes de la chanteuse dans les médias. À ses débuts, Mylène Farmer n’est pas bonne dans l’exercice de l’interview, voire complètement mauvaise. Très vite, elle se fait plus discrète, jusqu’à adopter la stratégie du “marketing du silence”. Une technique de communication risquée, mais qui a prouvé ses bénéfices à plusieurs reprises. Beaucoup d’artistes la reprennent volontiers aujourd’hui, de The Blaze à PNL. En bref : créer le manque pour créer le désir. Mylène Farmer demeure encore aujourd’hui absente de tout réseau social, de Twitter à Instagram. Pourtant, cela ne l’empêche pas d’être partout. Lors du dernier Festival de Cannes, à l’été 2021, elle était membre du jury présidé par Spike Lee, aux côtés de la cinéaste Mati Diop ou de l’acteur Tahar Rahim. Un an plus tôt, elle marchait triomphante sur le podium du dernier défilé du couturier Jean-Paul Gaultier au théâtre du Châtelet à Paris. Un événement qui n’était pas inédit : Mylène avait déjà joué la mariée en clôture du défilé haute couture automne-hiver 2011/2012 du créateur, son ami de longue date.

Mais au-delà de ces quelques apparitions, c’est le dancefloor que la voix de Mylène Farmer squatte sans vergogne. Eh oui : “Désenchantée” se trouve être le morceau le plus streamé de l’artiste en 2020. Le titre a eu droit à son lot de reprises, comme avec la chanteuse Kate Ryan, mais aussi aux remixes, comme celui du DJ branché TRYM. Le tube serait-il devenu le “Lacs du Connemara” des soirées queers ? Difficile de le nier, d’abord du fait de ce retour en force sur les plateformes de streaming, mais aussi parce que, la même année, il a été repris par Pomme (pour CSTAR et Jack), qui l’a trouvé “très approprié à cette année 2020.” “Ce morceau est revenu parce qu’il est vraiment générationnel, complète Regina Demina. Si nous, on n’est pas une génération désenchantée, je ne sais pas ce qu’on est !”

 

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30 ans de générations désenchantées

Pomme n’est pas la seule à reprendre le répertoire de Mylène Farmer, tout en l’adaptant à son univers. Cette même année de confinement, Joseph Schiano di Lombo ne quitte plus son piano. En résultent deux reprises de “Sans contrefaçon”, très différentes du morceau original. Et pour cause : le pianiste s’amuse à réinterpréter le tube à la façon de musiciens issus d’époques bien antérieures à celle de Mylène : Erik Satie et Claude Debussy. Doucement, la “passion Mylène” crée des ponts : Regina Demina confesse avoir discuté de sa passion avec Joseph Schiano di Lombo, tandis que la chanteuse bruxelloise Mathilde Fernandez d’Ascendant Vierge évoque les échanges avec la plasticienne Cécile di Giovanni. Cette dernière parlait d’ailleurs de son amour pour Mylène Farmer au cours d’un entretien avec le magazine Antidote dès 2018 : “S’il fallait citer une artiste qui a eu un impact immense sur moi à ce niveau, ce serait Mylène Farmer. Je me souviens, à 12 ans, d’après-midis entiers passés à regarder ses clips et ses concerts en boucle. J’étais complètement obsédée. Il a fallu attendre mes 17 ans pour la voir enfin sur scène, en 2006 à Bercy, et le stage design était juste d’un autre monde.” Joanna aussi cite Mylène au rang de ses influences. Celle qui arbore une perruque orange et une robe de crinoline sur scène nie pourtant avoir voulu imiter son idole : “La perruque orange, ce n’est pas du tout fait exprès. Plus le temps passe, et plus les gens me font la réflexion. Peut-être que c’est inconscient…”

En réalité, si l’on veut trouver une référence précise à l’univers de Mylène Farmer dans le répertoire de Joanna, il faut se pencher surSérotonine”, où la chanteuse évoque les affres de la jalousie. “Au départ, le morceau n’était pas influencé par Mylène Farmer mais par 070 Shake. Rien à voir ! Quand j’ai posé la topline, j’ai eu un énorme déclic et j’ai réalisé à quel point elle était influencée par Mylène Farmer. J’ai alors pris le parti pris de l’assumer complètement.” D’autres artistes, de Mathilde Fernandez au Suisse Muddy Monk, s’en rapprochent à travers l’adoption d’un timbre haut perché, ou bien avec l’exploration d’un univers un peu dark, comme Regina Demina. Un univers forgé par les clips de Mylène Farmer, souvent réalisés par son binôme historique Laurent Boutonnat.

Les clips sont souvent la porte d’entrée des artistes dans l’univers de Mylène Farmer, et souvent à l’enfance. “La passion de Mylène a été transmise par ma mère vers mes 4 ans. C’est une des premières artistes que j’ai écoutée en boucle, sans même comprendre les paroles”, affirme Joanna, tandis que Regina Demina se souvient que “ses clips passaient à la télé en Russie quand j’étais encore toute petite”. Années 90 oblige, c’est par la télévision que la première rencontre se fait, comme un passage vers un univers presque enfantin : “Sa voix me rendait folle, mais l’aspect visuel racontait des histoires qui me propulsaient dans un imaginaire”, précise Mathilde Fernandez.

Le jour où tout ira super bien dans l’humanité, Mylène sera devenue complètement has been !

Lilith des temps modernes

“Ma liberté, c’est celle de faire ce que je veux au moment où je le veux”, déclarait Mylène Farmer lors d’une interview télévisée. S’il faut se souvenir d’elle, peut-être faut-il le faire avant tout comme d’une femme farouchement libre. Un fait assez rare pour être noté, quand on sait les contraintes que peuvent rencontrer les artistes féminines vis-à-vis de leurs maisons de disques ou de leurs managers – Pomme en avait d’ailleurs raconté la violence à Mediapart. Si Mylène Farmer ne s’est jamais présentée comme féministe, son œuvre l’est définitivement, tant elle incarne un horizon d’indépendance auquel rêvent de nombreux et de nombreuses artistes. “C’est l’artiste francophone féminine, féministe et LGBTQIA+ friendly qui a le plus cassé le game. Elle a tout niqué avec des chansons qui, aujourd’hui, feraient peur aux maisons de disques”, note Joanna, la voix pleine d’admiration.

Chevelure rousse et soif de liberté : Mylène Farmer n’incarnerait-elle pas une sorte de Lilith des temps modernes ? Prédécesseuse d’Ève, Lilith réveille les foudres d’Adam en affirmant son droit à l’indépendance. Entre les paroles saphiques qui hantent certains de ses morceaux et son image définitivement mystérieuse, on aurait presque envie d’y croire. Du côté de la recherche, le nom de Mylène ressort dans plusieurs articles universitaires dans le domaine des queer studies, bien qu’aucune étude française ne lui soit aujourd’hui dédiée. Rappelons que “Désenchantée” a vu le jour en plein pic de l’épidémie du sida, devenant un hymne pour toute une génération.

Icône queer, icône féministe, tête de file des bizarres et des désenchantés, Mylène Farmer ne cesse d’inspirer de nouvelles générations d’artistes en quête d’un monde un peu moins tordu. Une idée que Mathilde Fernandez résume parfaitement : “Le jour où tout ira super bien dans l’humanité, Mylène sera devenue complètement has been !”

 

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