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Musique

Joanna : sérotonine et cœur ouvert

Alors qu’elle vient de lever le voile sur un premier album intitulé Sérotonine, c’est dans son appartement parisien que Joanna nous a donné rendez-vous, au lendemain d’une superlune rose aux rayons mystiques.

Joanna est une artiste riche des contraires qui la traversent : depuis trois ans, la jeune femme distille une musique en clair-obscur injectant, par-delà le mystère qui l’entoure, une fièvre pop inattendue et contagieuse. Sur le canapé qui fait face à son home studio, Joanna dégage, derrière de longues mèches écarlates, l’humilité presque anxieuse d’un être qui se découvre artiste. En mars 2018, la sortie de son premier clip a fait l’effet d’une bombe. Mêlant des influences synthpop et urbaines, la chaleur d’une voix soul et la profondeur d’un texte aussi politique que poétique, “Séduction” contredit toutes les mauvaises langues qui n’attendaient plus grand-chose de la scène française. Le teint hâlé, tresses collées et déhanché, une sucette en cœur au bout des lèvres, Joanna s’impose sur un refrain : “J’suis une femme qui d’habitude n’aime pas les femmes, mais ta beauté est ineffable / Moi j’suis folle et toi t’es sage / Les démons n’t’ont pas encore souillée.“

Joanna ne vient ni de Marseille, ni de la capitale. Elle n’est pas Belge mais Bretonne, élevée dans un “bled de campagne” à quelques kilomètres de Rennes. “Là-bas, j’ai toujours eu la sensation d’être différente et de n’avoir aucune perspective”, se souvient-elle. Après “Séduction” ont suivi “Vénus”, “Pétasse” puis “Ocytocine” : des manifestes féministes impénitents que Joanna délivre sans brandir d’étendard. Son univers, qui se charge d’effluves trap, R&B et trip hop, s’étend à mesure qu’elle se réincarne. En 2020, “Démons” – titre épique qu’elle partage avec le rappeur Laylow – attire à nouveau les regards sur la musicienne qui, métamorphosée, embrasse l’orange mécanique et annonce la sortie d’un premier album : Sérotonine.

Entre ténèbres et lumière aveuglante, Sérotonine est un premier essai percutant qui confirme la nécessité de voir émerger Joanna. En 14 titres, la musicienne dessine les contours d’un cycle infini : celui qui nous entraîne sans cesse sur les mêmes sentiers amoureux, d’une rencontre fortuite à la passion, puis de la colère à la révolte, menant à l’inévitable renaissance. À mesure qu’elle relate ce mythe éternel, Joanna se balade d’une couleur musicale à l’autre – confirmant son envie de titiller la bienséance, les codes et les étiquettes de l’industrie musicale. De Sérotonine, on garde une expérience auditive jouissive et quelques tubes en devenir comme “Viseur”, “Sérotonine”, “Nymphe solitaire” – une ode à la sexualité féminine et aux plaisirs en solo – ou encore “Alerte rouge”. Serait-elle l’héritière tant attendue de cette pop française qui tarde à renaître ?

La lune rose ce week-end, la sortie de Sérotonine… Ça va Joanna, pas trop secouée ?

Un peu j’avoue… Je ne sais pas si c’est la lune ou l’album, mais il y a une partie de moi surexcitée et l’autre qui n’est plus si sûre d’elle. En vérité, je ne sais pas si je sais dans quoi je mets les pieds. (Rire.)

La fameuse angoisse du premier album… Parle-nous de l’enregistrement, tu étais dans quel mood ?

J’ai commencé l’écriture avec plein de beatmakers puis, entre décembre 2019 et mai 2020, je me suis isolée et mise en mode autoroute. Le confinement m’a aidée à me mettre à fond dedans mais aussi à tester de nouvelles choses, à aller plus loin dans ma musique. J’ai fini par trouver le fil conducteur et j’ai compris que Sérotonine serait mon premier album.

Avec cette idée de raconter, en filigrane, l’éternel cycle amoureux, de la rencontre à la jalousie jusqu’à la renaissance finale ?

Cette idée a pris forme au fil de l’écriture. L’amour occupe une grande place dans ma vie. Je suis romantique, amoureuse… En composant Sérotonine, je me questionnais par rapport à mes relations passées. Je me demandais pourquoi ceci, pourquoi tout le monde fait cela ? J’avais besoin de comprendre pourquoi les histoires d’amour se déroulent toujours plus ou moins de la même manière. Comme si personne ne parvenait à briser le cycle : tout se passe bien jusqu’à ce qu’un acte, un événement ou une parole fasse tout vriller. On dit que l’amour fait mal mais je crois que l’on en sort à chaque fois plus grand. La fin d’un amour, c’est en quelque sorte la promesse d’une renaissance.

Que t’inspire la représentation traditionnelle des histoires d’amour dans la musique ?

J’ai l’impression que l’ombre du patriarcat flotte toujours un peu au-dessus. Avec cet album, j’essaie de mettre les lunettes d’une fille qui découvre le monde, les gens et qui comprend que tout le monde a ses névroses, qu’il faut apprendre à communiquer mais que l’on a aussi le droit de choisir de ne plus aimer quelqu’un, que les femmes sont libres et qu’elles ne sont pas condamnées à être victimes de leurs relations amoureuses.

Dans ton disque, tu parles d’amour, de féminité mais aussi beaucoup de sexualité. C’est quelque chose qui te vient naturellement ?

Je n’ai jamais compris le tabou du sexe. C’est hypocrite : on a tous les mêmes corps, les mêmes désirs… Quand on observe le monde, on voit vite que tout tourne autour de ça. Pourquoi devrait-on faire comme si ça n’existait pas ? En tant que femme, c’est important pour moi de m’exprimer sur ce sujet. Les hommes se sont toujours approprié notre sexualité et n’ont pourtant rien compris à notre plaisir. Beaucoup de femmes vivent sans n’avoir jamais joui, et se persuadent encore que leur sexualité ne peut pas prendre d’autres formes – d’où mon morceau “Nymphe solitaire“. On peut être pudique mais je n’ai pas envie de me taire sur un sujet qui concerne tout le monde.

Lever les tabous jusqu’à inviter Leolulu, couple star du porno amateur, pour la lyric vidéo de “Sur ton corps”. Comment t’est venue l’idée d’une telle collaboration ?

Il y a deux ans, ils ont joué “Séduction” en intro d’une de leurs vidéos. C’était le morceau de mon premier clip, et ils m’ont apporté une visibilité mondiale. Il y avait des centaines de commentaires genre “Who came from PornHub?”. Quand on a composé la prod de “Sur ton corps”, j’ai voulu me mettre au défi de raconter un acte sexuel. Le son terminé, j’ai tout de suite pensé à eux. Je les ai appelés et on a réalisé la vidéo avec une amie – ils sont adorables.

Le porno fait débat chez les féministes. Tu en penses quoi, toi ?

Ce qui me dérange dans le porno, c’est qu’il est réalisé d’un point de vue purement masculin. Et malheureusement, c’est la seule éducation sexuelle à laquelle les jeunes sont exposés. Moi la première, je me suis longtemps persuadée qu’un rapport devait se dérouler comme ceux que je voyais dans le porno ; et j’ai passé des années à rater le truc. Le problème, c’est que le porno apprend aux hommes à se faire kiffer, et qu’il occulte complètement le plaisir des femmes. Ce qu’on y voit n’est que de la virilité exacerbée et personnellement, la virilité, ça me dégoûte. Quand je pense virilité, j’imagine un gars sans aucune empathie, hyper égocentrique et qui va faire des trucs insensés genre la guerre.

Quelles sont les figures féminines qui t’inspirent ?

Beaucoup de musiciennes m’inspirent. La musique de Mylène Farmer a bercé mon enfance – ma mère était fan. À 5 ans, je chantais déjà “Déshabillez-moi” dans ma chambre. On voit qu’elle sait ce qu’elle fait. La production musicale est toujours incroyable et ses images sont fortes. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis replongée dans ses textes. Je me suis rendu compte de leur qualité et de tous les différents niveaux de lecture… Elle m’inspire énormément. La sensibilité et la créativité de Björk m’attirent beaucoup. Quand je suis dans le flou, je regarde des documentaires qui parlent d’elle. Tu la vois passer d’un poste à l’autre, s’amuser avec des boîtes à rythmes, des effets… J’admire aussi FKA twigs pour son travail. Ces trois femmes m’impressionnent par leur capacité à savoir très précisément où elles vont.

De l’écriture de Mylène Farmer, tu gardes un goût pour la métaphore. Dans quelles conditions préfères-tu écrire ?

J’ai du mal lorsqu’il y a des gens autour de moi, je préfère écrire seule. J’ai un rapport très intime à mes textes. Ils me viennent souvent de manière instinctive, un peu comme quand tu montes sur scène et que tu te mets en mode automatique. Dans ma musique, je suis une Joanna fière, posée, en contrôle. Dans la vie, je suis plutôt réservée, du coup, j’ai plus de mal avec l’ego trip. J’ai du mal à me regarder dans le miroir pour faire la belle, je préfère parler de ce que je vis, de ce que je vois. Pour cet album, je me suis inspirée des gens autour de moi, mais surtout de ce que j’ai vécu moi-même. J’ai hâte de voir comment les gens vont s’identifier aux morceaux.

Qui sont les producteurs qui t’entourent ?

Pour les beatmakers, je travaille principalement avec des Rennais comme KCIV, Skuna ou Savane – qui faisait les intrus de Columbine. À la fac, j’ai rencontré Sutus avec qui j’ai eu une connexion musicale hyper forte. On avait tous les deux l’impression que les gens ne nous comprenaient pas vraiment.. Notre rencontre m’a aidée à savoir où je voulais aller en termes de musicalité.

Aujourd’hui, tu as l’impression d’être entendue par tes collaborateurs ?

Oui parce que je mets tout de suite les choses sur la table : je ne suis pas là pour que l’on projette ses fantasmes sur moi, j’ai des idées, on ne peut pas me modeler ou me forcer à faire quelque chose. Je suis plutôt fière d’avoir créé une base saine – qui m’assure une certaine indépendance – avec les maisons de disques, managers et chefs de projet. Les artistes féminines ne sont pas des poupées.

C’est pour t’assurer cette indépendance que tu as monté ton label, Joanna Club ?

On m’a avertie de ce qui pouvait arriver lorsque l’on signe en maison de disques. Au début, tout le monde est content jusqu’à ce que quelqu’un se barre et que tu te retrouves avec une nouvelle équipe qui ne s’intéresse pas à ton projet. Je n’avais aucune envie de ressentir une dépendance envers des gens que je ne connais, a priori, pas du tout. Je suis coproductrice et coéditrice, je partage les responsabilités mais j’ai le regard sur tout et je garde la main sur les décisions artistiques et financières.

Tu es apparue récemment aux côtés de Sally et cinq autres artistes féminines dans le clip de “Shoot”. Comment as-tu vécu cette expérience ?

Ça m’a fait un bien fou de me retrouver avec d’autres filles. Quand tu ne rentres pas dans les cases de la variété française, tu te sens seule, on dirait que les gens ne te voient pas. Même pour les rappeuses, ce n’est pas facile en France. Il y a une compétitivité latente entre les femmes dans l’industrie musicale, qui nous pousse à croire que l’on ne peut pas se faire confiance. “Shoot” a prouvé le contraire, qu’on avait envie de se marrer, faire du son ensemble, raconter nos histoires…

Ton personnage, ta musique, ton discours : tu incarnes l’un des multiples visages de la Gen Z. Tu les vois comment les gens de ton âge ?

On est complètement accros aux réseaux sociaux – c’est dommage – mais je suis admirative de ma génération. On a conscience que le monde part en couille, qu’il faut en finir avec le patriarcat, l’homophobie, le racisme, et on est déterminés à être entendus.

C’est quoi le problème avec les réseaux sociaux ?

On oublie de vivre nos vies. J’ai toujours eu un ordinateur et un téléphone, et ça finit par prendre trop de place. Au lieu de te lever et sortir te balader, tu restes dans ton lit à scroller. On oublie de regarder ce qu’il se passe autour de nous. Et on poste pour être validés, comme pour combler un vide, répondre à des besoins qui reposent sur un truc virtuel.

Comment vis-tu ta relation avec tes fans sur les réseaux ?

J’ai toujours du mal avec les compliments, genre “t’es trop belle” ou quoi. L’attention des gens sur les réseaux me touche, mais j’évite de m’enflammer. Je reçois des messages mignons auxquels j’essaie de répondre mais j’ai parfois peur que ça prenne trop de place. J’ai envie de protéger mes instants de vie privée autant que possible.

 

On attend tous de découvrir Sérotonine sur scène. Est-ce que tu te prépares à présenter l’album en live ?

C’est un peu la guerre, j’avoue. J’ai envie de faire plein de trucs mais il y a tellement de questions qui restent sans réponse : quand est-ce que les tournées vont reprendre ? Assis ou debout ? Ce dont je suis sûre, c’est que je veux concevoir un spectacle, m’entourer d’un.e claviériste et d’un.e batteur.se, avec un danseur, une danseuse, et une belle mise en scène qui permette au public de s’immerger dans mon univers.

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