Une constellation de styles
Comme de nombreuses cultures alternatives, le metal offre un espace d’intégration à ses fans. Il permet d’édifier “une montagne sonore pour se protéger du monde réel”, estime le sociologue des musiques populaires Gérôme Guibert. Led Zeppelin et Black Sabbath ont ouvert la voie dans les 70’s en Grande-Bretagne avec leur son peuplé de solos de guitare. Cheveux longs, veste en cuir et pendentif en forme de croix, ces groupes mettent les conservateurs en état de panique en évoquant dans leurs chansons des mondes épiques et des fantasmes guerriers, souvent assimilés à un discours belliqueux alors qu’ils prônent la solidarité.
Le succès grandissant, les groupes se multiplient et le metal fait l’objet de nombreuses relectures. Les sous-genres pullulent, dessinant une constellation underground à mille facettes. Difficile de s’y retrouver entre le glam metal et ses paillettes, les longues robes victoriennes du metal symphonique ou les chemises à carreaux arborées par les mecs à lunettes du nu metal, popularisé par Linkin Park.
“S’il est difficile d’extraire des règles vestimentaires communes, le rapport au style est secondaire, devancé par la musique, et se définit implicitement par une liste des choses à ne pas faire”, indique Charlène Benard, doctorante spécialiste du metal. Selon elle, l’esthétisation par le vêtement s’accentue dans les années 1990 sous l’influence du mouvement gothique, dont l’hybridation avec le metal donne le sous-genre goth metal. “Chez les goths, le temps passé sur soi est central. C’est une forme de protestation qualifiée de douce – car passant essentiellement par l’esthétique du moi plutôt qu’un dire littéral. Du vêtement à la typographie de l’écriture d’une page de blog, toute forme de prolongement du moi est métonymie de l’appartenance sous-culturelle. Tout est résistance.”
Les jeans noirs et manteaux de cuir cloutés s’imposent et enrichissent la panoplie t-shirt de groupe/jean large usuelle. New Rock, bandana militaire et mitaines de cuir dessinent la silhouette hybride du goth metal. Ainsi, au début des années 1990, le goût de la fringue s’inscrit à l’agenda des pratiques de combativité, dans une ère où l’industrie de la mode pioche de plus en plus dans ces scènes alternatives. Marc Jacobs s’approprie le grunge dès 1992 chez Perry Ellis, tandis que les soubresauts des cultures postromantiques et techno se devinent dans les premiers défilés de Raf Simons en 1997. Quant au metal gothique, il s’inscrit dans la relecture futuriste de Nicolas Ghesquière pour Balenciaga en 2013. Son legging métallique façon cyborg et son t-shirt noir orné de logos rappelant ceux d’Iron Maiden sont autant d’allusions à la fantasy, peignant un paysage underground de plus en plus complexe. Quelque temps après, H&M reprend le modèle. Les t-shirts goth metal sont partout. L’heure des représailles va sonner.