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Je n’ai pas de disque de Rammstein mais je veux des New Rock

Dans un monde hyperconnecté, l’esthétique metal goth, autrefois underground, se partage, s’hybride et s’échappe des cercles d’initié.e.s pour habiller les sœurs Kardashian ou Miley Cyrus. Un sacrilège ?

Des souliers aux semelles épaisses surmontés d’une plaque métallique Balenciaga aux ras-de-cou ornés de clous Celine en passant par les larges pantalons en jean cadenassés de Vetements, l’esthétique goth metal envahit les podiums des maisons de luxe, bien loin des festivals et conventions de fans. Hier adopté dans les sous-cultures, les relectures de ce style fleurissent sur Instagram, habillant un star-system en quête de zèle – à l’instar de Kourtney Kardashian se baladant en corset ou hoodie oversize Rammstein, assortie à son fiancé punk rocker Travis Barker – mais non-praticien de mélodies metal… Le goth metal serait-il donc réduit à une esthétique ?

Je ne suis pas fan de metal. Autant être franche, je n’y connais rien. Je confonds les groupes, et le headbang – danse impliquant des mouvements de tête violents – m’effraie. Fredonner “Lonely Day”une ballade du groupe mainstream System Of A Down datant de 2005 –, c’est le mieux que j’ai en réserve.

Si je ne suis jamais allée pogoter au Hellfest, je me suis aventurée à plusieurs reprises rue Keller. Dans l’ombre du quartier de Bastille, un univers de boutiques articulant manga, skateboard et costume cosplay s’offre à vous. Adolescente, j’y avais accompagné ma petite-cousine aux cheveux bleus, corset de velours et rangers, qui rêvait d’acquérir une paire de New Rock. Dépeintes comme le Saint Graal, ces bottes épaisses validaient son appartenance à une culture marginale protectrice. La gamine timide au corps préado complexé était à la fois en quête d’évasion et d’intégration à un monde alternatif non érigé par un regard patriarcal.

Pour elle, ces chaussures l’invisibilisaient dans une galaxie utopique goth metal qui mélange univers de science-fiction et mythologie païenne. Pour moi, elles représentaient un outil nihiliste de démarcation face à l’armée de baby rockeuses en bottines qui m’entourait au lycée. Caprice pour m’individualiser, la New Rock était l’élément essentiel de la socialisation de ma cousine au regard bleu chargé d’eye-liner noir.

Envie nihiliste d’une grande blonde privilégiée et besoin d’intégration d’une ultrasensible se conjuguent dans ce rêve d’acquérir ces godillots aux plaques évoquant l’univers industriel des classes laborieuses.

Je n’ai jamais franchi le pas. J’ai regardé et laissé les New Rock, cédant à un t-shirt Iron Maiden. Près de vingt années ont passé, et je les regarde encore, derrière les vitrines rue Keller alors que le monde de la mode les remet sur le devant de la scène. La vie a changé, le sens de la marge également. Quel sens ont les New Rock, le bracelet de force clouté ou le pantalon vinyle dans un monde en manque d’utopie ?

Une constellation de styles

Comme de nombreuses cultures alternatives, le metal offre un espace d’intégration à ses fans. Il permet d’édifier “une montagne sonore pour se protéger du monde réel”, estime le sociologue des musiques populaires Gérôme Guibert. Led Zeppelin et Black Sabbath ont ouvert la voie dans les 70’s en Grande-Bretagne avec leur son peuplé de solos de guitare. Cheveux longs, veste en cuir et pendentif en forme de croix, ces groupes mettent les conservateurs en état de panique en évoquant dans leurs chansons des mondes épiques et des fantasmes guerriers, souvent assimilés à un discours belliqueux alors qu’ils prônent la solidarité.

Le succès grandissant, les groupes se multiplient et le metal fait l’objet de nombreuses relectures. Les sous-genres pullulent, dessinant une constellation underground à mille facettes. Difficile de s’y retrouver entre le glam metal et ses paillettes, les longues robes victoriennes du metal symphonique ou les chemises à carreaux arborées par les mecs à lunettes du nu metal, popularisé par Linkin Park.

“S’il est difficile d’extraire des règles vestimentaires communes, le rapport au style est secondaire, devancé par la musique, et se définit implicitement par une liste des choses à ne pas faire”, indique Charlène Benard, doctorante spécialiste du metal. Selon elle, l’esthétisation par le vêtement s’accentue dans les années 1990 sous l’influence du mouvement gothique, dont l’hybridation avec le metal donne le sous-genre goth metal. “Chez les goths, le temps passé sur soi est central. C’est une forme de protestation qualifiée de douce – car passant essentiellement par l’esthétique du moi plutôt qu’un dire littéral. Du vêtement à la typographie de l’écriture d’une page de blog, toute forme de prolongement du moi est métonymie de l’appartenance sous-culturelle. Tout est résistance.”

Les jeans noirs et manteaux de cuir cloutés s’imposent et enrichissent la panoplie t-shirt de groupe/jean large usuelle. New Rock, bandana militaire et mitaines de cuir dessinent la silhouette hybride du goth metal. Ainsi, au début des années 1990, le goût de la fringue s’inscrit à l’agenda des pratiques de combativité, dans une ère où l’industrie de la mode pioche de plus en plus dans ces scènes alternatives. Marc Jacobs s’approprie le grunge dès 1992 chez Perry Ellis, tandis que les soubresauts des cultures postromantiques et techno se devinent dans les premiers défilés de Raf Simons en 1997. Quant au metal gothique, il s’inscrit dans la relecture futuriste de Nicolas Ghesquière pour Balenciaga en 2013. Son legging métallique façon cyborg et son t-shirt noir orné de logos rappelant ceux d’Iron Maiden sont autant d’allusions à la fantasy, peignant un paysage underground de plus en plus complexe. Quelque temps après, H&M reprend le modèle. Les t-shirts goth metal sont partout. L’heure des représailles va sonner.

Chez les goths, le temps passé sur soi est central. C’est une forme de protestation qualifiée de douce.

La menace du poseur

L’ouverture du metal au grand public n’a pas été sans conséquences, détaille Charlène Benard. “‘Mort aux poseurs’ devient un slogan et les tests de crédibilité se multiplient, touchant plus particulièrement les filles. Si j’achète un t-shirt Metallica H&M, je devrais subir un questionnaire pour prouver que je fais bien partie de la scène. Pourtant, cette mise à disposition des t-shirts par les grands magasins permet un accès plus facile à certains fans.” La guérilla anti-poseurs – ceux qui adoptent l’esthétique sans connaître l’histoire de la sous-culture – se traduit par une véritable chasse aux sorcières. Les vannes sont ouvertes en 2015 : H&M, Topshop mais aussi Primark proposent des t-shirts noirs ou affichant des noms de groupes comme Black Sabbath, Motörhead ou AC/DC. Distribué massivement, un t-shirt du groupe Slayer sera porté par Kendall Jenner en 2015. Le guitariste du groupe, Gary Holt, riposte en arborant un t-shirt “Kill the Kardashian” le temps d’une tournée. Comment réagir face à ce plongeon dans le mainstream ? “Tous les membres de la communauté n’ont pas la même position. Les plus jeunes sont plus ouverts. Il existe un effet générationnel”, selon la sociologue Maria Mackinney-Valentin.

La nouvelle génération de fans, qui a grandi avec le web, dessine de nouvelles frontières entre les marges et le mainstream, mais également à l’intérieur de l’underground, où les hybridations se multiplient. Les goths écoutent du metal et les metalleux se baladent avec des looks vampires. Pastel goth, funk metal, black metal sont reliés dans le cyberworld et bientôt, la techwear imprègne les groupes à l’instar des cybergoths. Corset en matière brillante, short néon et manteau de fourrure orangés – ils n’écoutent plus de metal mais de la techno industrielle.

Simultanément fenêtre sur le monde et moyen d’expression, l’accès à l’ordinateur personnel a changé les modes de participation aux sous-cultures. Pour l’anthropologue Ted Polhemus, cette nouvelle génération nourrie par Internet pratique le style surfing. En quelques pas de danse et quelques clics, les jeunes passent du style raveur au biker ou au glam rock. Les identités sont cumulables et interchangeables. Rien n’est fixe. “Qui est authentique, qui est un copieur ? Qui s’en préoccupe ? La vie devrait être une grande fête costumée”, écrivait Ted Polhemus dans son livre Style Surfing. Pour lui, la possibilité d’être multiple casse le schéma traditionnel d’une vie vécue avec un unique costume. “C’est une véritable révolution et rébellion.”

 

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Famille élargie

Dans un monde numérique devenu un grand bal masqué, luxe et metal ont appris à s’associer. En avril dernier, Balenciaga collaborait avec le groupe de metal berlinois Rammstein à travers la composition d’une playlist et d’une collection de merch mêlant hoodies, sacoches et t-shirts. Pour donner vie à la campagne, des fans, hommes et femmes, appartenant à des générations plurielles, ont posé dans leurs chambres, entourés de posters et de produits dérivés. Dans cet espace intime, portfolio et laboratoire de soi, se prolonge leur dévouement pour un groupe. En plein confinement, cette célébration des fans préservant leur chambre contraste avec nos modes de vies, où, d’une réunion Zoom à l’autre, chambre et bureau s’entremêlent. Avec cette campagne, Balenciaga revient au point de départ : la chambre comme coulisse de la construction de soi, un espace qui résiste aux pandémies et aux tendances éphémères. 

La popularisation du metal, ou plutôt de son esthétique – des Kardashian à Miley Cyrus en passant par les déclarations de Lady Gaga –, n’est donc pas synonyme de la mort des fans. Bien au contraire. Toujours maquillés, les doigts ornés de bagues, ils peuplent la rue Keller, entourés de gamers, de fluo kids en Vans et de cyberpunks en bottines. D’un trottoir à l’autre, on se balade dans des utopies aux couleurs variées, comme dans un jeu vidéo. Je n’ai toujours pas de New Rock. Ma cousine a usé les siennes. Mais à l’heure où la mode a besoin de récits utopiques intégrant le plus grand nombre, la New Rock est un symbole qui a de plus en plus de sens.

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