Comment je me suis débarrassée de ma Cool Girl interne
Que révèle ce faux ultimate compliment du male gaze, martelant une auto-régulation au quotidien ?
Que révèle ce faux ultimate compliment du male gaze, martelant une auto-régulation au quotidien ?
La Cool Girl est une figure massivement entretenue par la pop culture. C’est le fantasme d’une femme toujours fun, détendue et pas prise de tête (ou si on traduit, dont les envies ne s’opposent jamais à celles des hommes qui l’entourent). Si le concept est flou pour toi, voici ses caractéristiques principales : elle a des centres d’intérêts considérés comme masculins selon les stéréotypes sexistes, ce qui la rend “différente des autres filles”. Elle ne questionne jamais les comportements de son mec, et ses désirs s’alignent parfaitement sur les fantasmes qu’il entretient. Enfin, sa personnalité valorisée pour sa ‘masculinité’ est contrebalancée par un physique ‘féminin’ attirant qui correspond aux normes de beauté patriarcales. La Cool Girl chez Hollywood, selon la chaîne Youtube The Take, c’est “essentiellement un mec déguisé en femme sexy”. Cet archétype, poussé à l’extrême sur les écrans, prend bien sûr des formes plus nuancées lorsqu’on le retrouve dans la vraie vie.
Car de nombreuses femmes ont des passions ‘masculines’ sans jouer à la Cool Girl et ne se soucient pas constamment du male gaze. Dans mon cas, des attitudes spontanées font que je peux être associée à cette figure : j’aime sortir, beaucoup, les jeux vidéos, le sport, et je privilégie les relations non sentimentales libres avec les hommes que je date (ce qui n’a en fait rien à voir avec une cool attitude : je m’attache juste rarement et j’ai une grande flemme de m’encombrer avec un couple hétérosexuel en pleine vingtaine), tout en ayant un physique assez hétéronormé et un style vestimentaire qui peut être considéré comme sexy selon des normes patriarcales.
Mais d’autres aspects de ce rôle endossé inconsciemment étaient en contradiction totale avec mon identité. En fréquentant des groupes majoritairement masculins – comprenant un crush ou mon copain -, j’ai parfois réprimé des intérêts et des réactions considérées comme typiquement “féminines”, validé des attitudes que je trouvais dégradantes avec un air détaché, et si j’ai quand même osé exprimer du mécontentement, c’était de façon plus soft que je l’aurais voulu.
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Mon assimilation de ces comportements a débuté collège, au moment où j’ai commencé à m’intéresser aux garçons. J’avais reçu le message que pour plaire, il valait mieux avoir un physique le plus genré possible et une personnalité qui ne les défiait pas. Ce qui amène la question : le syndrome de la Cool Girl affecte-t-il exclusivement les femmes hétérosexuelles ? Sûrement pas, car comme le décrit Juliet Drouar dans son essai Sortir de l’hétérosexualité, l’omniprésence des normes hétéros impacte aussi la conscience et le vécu des personnes queer, mais vouloir relationner avec des hommes cis en tant que femme ne doit pas aider à s’en sortir. Pourtant dès le lycée, j’ai développé une vive conscience féministe associée à ma personnalité que certain·e·s qualifieraient de grande gueule, mais ça n’a pas calmé ma tendance Cool Girl. Je croyais naïvement que mes idées et mon caractère me permettraient d’éviter tous les mécanismes patriarcaux dans un couple hétéro. Mais quand on sait que même Buffy, l’héroïne la plus badass des 90’s, a traversé des relations bien abusives, on a pourtant la preuve que personne n’est à l’abri.
Ironiquement, mon syndrome était à son apogée dans une période où mon féminisme se radicalisait, quand je me suis mise en couple avec mon dernier ex début 2019. Avant d’aller plus loin, je devrais préciser un truc : si en se baladant sur le web, cet ex tombait sur cet article, il tomberait aussi de sa chaise. “Quoi ? Toi une Cool Girl !?”. Car j’arrivais quand même à exprimer mes inconforts pendant cette relation. Mais par rapport à mon caractère et ses attitudes irrespectueuses, c’était presque comique. Je calculais assidûment les moments où il serait le plus opportun de discuter, choisissais mes mots avec l’angoisse qu’ils soient mal reçus… Des efforts certes sympas pour communiquer en couple, mais que lui ne faisait pas du tout. Pour te donner un exemple concret, après un an de relation, j’ai eu droit à quatre jours de ghosting sans prévention car, je cite, “j’ai hésité à te quitter”. Le culot, deux points, ouvrez les guillemets.
Ce genre d’attitudes qui m’auraient fait sortir de mes gonds en temps normal, je refusais de voir leur violence, parce que j’étais terrifiée d’incarner l’antithèse de la Cool Girl : la Needy Girl, que la pop culture adore caricaturer (How To Lose A Guy In Ten Days en fait une présentation assez décourageante). Cette crainte et mes sentiments rendaient la perspective d’une rupture plus dure à supporter qu’un couple ponctué d’abus psychologiques. En mars 2020, confinée et affalée devant Youtube, je tombe sur la vidéo de The Take que je m’empresse de partager en story Insta, en m’avouant à peine que mon admiration pour cette analyse est directement liée à mon inconfort personnel. Quelques mois plus tard, je me retrouve célibataire, lucide et soulagée, et pense que je ne croiserai plus de situation qui éveille ma Cool Girl.
Mais le patriarcat est coriace, et ses mécanismes ont l’habitude agaçante de se faufiler partout, même dans nos relations les plus légères. Au fil de mes fréquentations de célibataire, j’ai croisé des gars sympas et d’autres moins. Avec les derniers, j’ai développé un réflexe : si je n’avais aucun souci à partir quand je me sentais mal traitée, je le faisais l’air de rien, à la cool. Je pensais protéger mon estime de moi-même en ne montrant aucune sensibilité, en disant juste que je n’étais “plus dans le mood”, sans indiquer que mes besoins ou mes désirs avaient été violemment contrariés. Mais même sans sentiment amoureux, le manque de bienveillance ou de respect d’un·e partenaire, ça pique. Ne pas exprimer les douleurs qui en résultaient me laissait avec des petites blessures qui mettaient bien plus de temps à guérir que si j’avais revendiqué les raisons de mon départ. Plutôt que de nourrir une réelle confiance en moi, cette attitude était encore une fois régie par le regard de l’autre. Je faisais reposer ma self-esteem sur la perception cool que mes partenaires avaient de moi, et pas sur une légitimité que j’accordais à mes émotions.
Conscientiser ce phénomène s’est fait en plusieurs étapes. L’été dernier, un ami avec qui j’avais une histoire a eu un geste humiliant. Très agacée et en même temps ne voulant pas renoncer à notre amitié, j’ai rassemblé mon courage pour lui exprimer mon mécontentement. Surprise : malgré ce premier red flag, il a une réaction bienveillante qui donne lieu à une discussion constructive et à un grand soulagement pour moi.
Puis en novembre 2021, on se retrouve pour aller danser avec un mec que je fréquente depuis peu. Au milieu de la soirée, il fait l’étonnant choix stratégique de m’ignorer et d’embrasser une autre fille sous mon nez. Sur le coup, abasourdie et l’ego en miettes, je pars précipitamment et je m’effondre en larmes dans un Uber (ambiance au sommet pour le conducteur qui finissait sa nuit de travail). À l’abri dans mon appartement, la colère monte et j’envoie un message salé à mon date pour lui dire ses quatre vérités avant d’aller comater.
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Je faisais reposer ma self-esteem sur la perception cool que mes partenaires avaient de moi, et pas sur une légitimité que j’accordais à mes émotions.
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L’envoi de ce pavé est le déclic qu’il me fallait : c’est comme si je prenais la charge émotionnelle de la situation, que j’en faisais un paquet et que je lui balançais dans les bras. “Tiens, pas mon problème, tu t’es mal comporté et c’est toi qui va porter ce poids”. Je reçois une demi-excuse médiocre et je nexte. Mais la rapidité avec laquelle je me remets de cet incident me fait réaliser combien ce réflexe développé en pensant me protéger était pesant. On est peut-être pas loin de la leçon de vie cheesy digne de Lily dans How I Met Your Mother, mais promis ça s’oublie vite. D’ailleurs, pas obligé de tout finir en rupture : assumer ses besoins et ses désirs, même après l’attitude vraiment décourageante d’un·e partenaire, peut donner lieu à une nette amélioration de la relation, qu’elle soit romantique ou purement physique. On a tout à gagner en identifiant et en repoussant nos réflexes de Cool Girl : au mieux, notre partenaire se met à la hauteur, au pire on quitte sans regret une personne qui ne nous correspond pas.
Tout en étant fière de mon cheminement, je reste lucide : dans notre société patriarcale, c’est souvent difficile de mettre ses épiphanies féministes en œuvre. Le but est avant tout de se faciliter la vie, donc on ne se met pas la pression. Je n’ai pas rencontré de situation qui aurait pu activer ma Cool Girl depuis cet événement. Mais je crois que si ça arrivait, je saurais revendiquer mes sensibilités sans trop cringer. Je ne sais pas comment ça sera reçu, mais de mon côté je me sentirai certainement mieux.