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Buffy : Comment Willow a révolutionné la télévision

Sous ses airs de girl next door, Willow s’est affirmée comme l’un des personnages secondaires de Buffy les plus puissants et les plus cultes, transformant à jamais l’histoire de la télévision et ouvrant la voie à des personnages féminins plus complexes, humains et queers.

Diffusée pendant six années consécutives, la série Buffy contre les vampires a marqué la pop culture de façon durable. Si l’on se souvient aujourd’hui surtout de son héroïne principale et des masques démoniaques peu crédibles des vampires, le personnage de Willow a également marqué les esprits. Lesbienne, sorcière, bad girl : en refusant de s’en tenir à son rôle de copine sympa, elle s’est affirmée comme l’un des personnages secondaires les plus puissants et les plus cultes, transformant à jamais l’histoire de la télévision et ouvrant la voie à des personnages féminins plus complexes, humains et queer.

Icône LGBTQ+ avant l’heure

La popularité latente de Willow et son héritage culturel reposent en grande partie sur le fait qu’elle a été l’une des premières icônes queer mainstream, par le biais de sa relation avec Tara, qui a définitivement bouleversé la représentation du lesbianisme et de la bisexualité à l’écran. “Lorsque l’on regarde en arrière, Buffy est le programme télévisé qui a le plus œuvré pour initier une large audience américaine à l’esthétique queer”, note Cael M. Keegan dans Emptying the Future: Queer Melodramatics and Negative Utopia on Buffy the Vampire Slayer. 

L’innovation de Buffy repose en grande partie sur sa capacité à présenter une relation lesbienne de long terme (presque trois saisons), qui, loin de servir de plot twist opportuniste, vient couronner plusieurs années d’interrogations subtiles de la part de Willow à propos de son orientation sexuelle – “Je crois que je suis un peu gay”, chuchote-t-elle face à son double vampiresque et prophétique (3×16). Joliment amenée durant de nombreux épisodes, leur histoire permet également d’aborder des problématiques très concrètes de coming out et parvient à déjouer le male gaze (incarné dans la série par Xander), qui érotise systématiquement tous les couples lesbiens. Ainsi, si Tara et Willow partagent une complicité sensuelle (“Je préfère la poitrine, mais ça, vous le saviez déjà”, glisse malicieusement Willow au moment de se servir de la dinde de Thanksgiving en regardant sa petite amie (6×05)) et qu’elles sont transparentes concernant leur orientation sexuelle (“Hello ! Gay now !”, s’exclame-t-elle (5×16)), aucune scène de sexe explicite ne ponctue leur histoire et il faudra attendre presque une saison entière pour les voir s’embrasser devant la caméra. 

Une pudeur due à la censure de l’époque, mais qui s’efface petit à petit et permet aux personnages de mettre en avant (et parfois en chanson) leur amour l’une pour l’autre. Son aventure avec Kennedy dans la saison 7 permet aussi d’écarter la possibilité d’un crush passager et assied la bisexualité de son personnage, qui ne se tourne pas vers un homme après la perte de Tara mais continue à explorer son homosexualité. Certes, la mort brutale de cette dernière vient confirmer la tendance des contenus culturels à sacrifier les personnages lesbiens en premier ; mais leur histoire, encore célèbre aujourd’hui, a sans conteste contribué à normaliser les couples et les personnages gays à une époque où ils étaient encore tabous ou soumis à des clichés extrêmement réducteurs.

Willow contribue à ancrer la sorcellerie dans le discours féministe et queer. Tout en permettant au personnage de prendre confiance en elle.

Magie blanche ou magie noire ?

Mais Willow n’est pas seulement une icône de la communauté LGBTQI+ ; elle a aussi révolutionné la représentation de la sorcellerie. Alors qu’elle débute le show dans l’ombre de Buffy, elle s’impose progressivement comme l’une des sorcières incontournables de la télévision des années 90, une époque marquée par un regain d’intérêt de la pop culture pour l’occulte. À la différence de Charmed, Sabrina, l’apprentie sorcière ou de The Craft, qui rencontrent un succès phénoménal au même moment, le parcours magique de Willow échappe à la lecture moralisatrice de la décennie ; tandis que les sorcières sont généralement encouragées à utiliser leur pouvoir pour faire le bien et se divisent en deux camps – les bonnes et les mauvaises –, Willow est plus chaotique. 

Le discours moral à propos d’un usage éclairé de la magie n’est pas absent de la série, et la fin de la saison 6, durant laquelle Willow succombe au pouvoir de la magie noire et devient franchement evil, est ancrée dans un contexte éthique qui articule de manière classique les notions de bien et de mal. La série innove cependant en ce qu’elle refuse de punir Willow pour sa déviance et lui offre une réelle possibilité de rédemption, à la différence d’autres sorcières maléfiques, comme Nancy dans The Craft, qui paye le prix fort pour avoir voulu être trop puissante. 

Dans son article The Rage of Willow : Malefic Witchcraft Fantasy in Buffy the Vampire Slayer, Lisa M. Vetere analyse les enjeux de cette dualité : “La série met en scène la pression sociale à être une good witch, qui retranscrit les normes de genre traditionnelles et force les femmes à jouer le rôle de la good girl.” Cette trajectoire non linéaire permet en fait de dépasser l’antagonisme magie blanche/magie noire à l’écran et de rappeler que la sorcellerie, comme la vie, n’est jamais manichéenne. Synonyme dans la série d’homosexualité – la magie est présentée comme exclusivement féminine et le terme “witch” est régulièrement utilisé comme un nom de code pour “lesbienne” –, Willow contribue à ancrer la sorcellerie dans le discours féministe et queer. Tout en permettant au personnage de prendre confiance en elle, son parcours de sorcière annonce, au début des années 2000, la renaissance de cette dernière comme figure empowering, capable de faire usage de sa puissance de manière décomplexée.

Good girl gone bad

“Peut-être que je n’ai pas envie d’être tout le temps fiable”, réplique Willow à Buffy dans l’épisode 16 de la saison 3, lorsque celle-ci vante ses qualités d’enfant sage. “Peut-être que je ne suis pas qu’un paillasson. Ou la fille qui fait ses devoirs.” Ces paroles, qui semblent avoir valeur de prophétie, illustrent la complexité de la jeune fille, lassée du rôle de copine sympa et prévisible qu’elle campe depuis trois saisons. Car si Willow incarne à la perfection la good girl, elle est aussi l’un des villains les plus cultes de l’histoire de la télé et sa version dark est indissociable de son personnage. Bien que particulièrement sombre, la métamorphose de Willow en sa dark version est aussi satisfaisante à bien des égards : c’est le récit d’une revanche, celle de la jeune fille timide qui n’osait pas s’exprimer et qui fait désormais taire ses ennemis d’un “Je suis en train de parler” quand on tente de l’interrompre. 

Loin de surgir brutalement, le revirement de Willow est savamment (mais aussi capillairement) amené au cours des saisons 4, 5 et 6, qui voient le personnage évoluer et mûrir (et afficher une coupe de cheveux de plus en plus audacieuse). On sait aussi depuis la saison 2, lorsqu’elle qualifie Cordelia de “skanky hoe” (on vous laisse googler la traduction), qu’elle n’est pas toujours un ange. “Dark Willow lui offre le pouvoir d’exprimer des sentiments que la Willow ordinaire ne peut pas exprimer”, note Lisa M. Vetere. “Malgré tout, ses proches insistent de manière répétitive pour qu’elle restreigne son pouvoir. […] Arrivée à la saison 6, Willow en a assez de ce rejet de son côté sombre.” 

Plus qu’une villain origin story, l’arc narratif de Willow illustre tout simplement ce qu’il se passe lorsque quelqu’un n’est pas autorisé à faire des erreurs. Il vient déjouer l’évolution classique de la girl next door de l’époque (Monica dans Friends, Joey dans Dawson ou encore Haley dans One Tree Hill), généralement caractérisée par le mariage, la maternité et une vie bien rangée. À rebours de ces codes, Willow sacrifie sa scolarité à Oxford, se tourne vers une pratique de sorcellerie de plus en plus dangereuse et tombe dans un schéma d’addiction digne d’une véritable toxicomane, qui la transforme en une personne arrogante et irresponsable et lui vaut une rehab en Angleterre. Bien que son parcours de sorcière ancre le récit dans le genre du fantastique, les ruptures, les deuils et les phases d’addiction qu’elle traverse, elles, sont bien réelles et rendent sa trajectoire relatable.

Inconsistance, comportements à risque, mensonges à son ou sa partenaire amoureux.se : quel adolescent.e n’a pas connu ces moments difficiles ? Willow offre à la good girl une évolution peu commune mais plus humaine, marquée par le droit de grandir et de se tromper – un parcours imparfait qui ouvre la voie aux bonnes élèves des générations suivantes, aux personnalités moins lisses et plus complexes, comme Rory dans Gilmore Girls, Blair dans Gossip Girl ou Betty dans Riverdale.

La véritable magie de Willow, dont le surnom, Will, signifie en anglais volonté, réside peut-être dans la façon dont elle a su faire plier les normes et les réécrire à son avantage.

Not your sidekick

Outre ses intrigues surnaturelles et ses créatures démoniaques, la force de Buffy contre les vampires réside dans l’écriture de ses personnages et son réalisme psychologique – un pari risqué pour une série qui parle essentiellement de vampires. Loin d’être simplement des marionnettes destinées à meubler les journées de l’héroïne principale, ils bénéficient au contraire d’un réel effort de profondeur de la part des scénaristes et sont les acteurs d’intrigues secondaires tout aussi importantes que celle du Slayer. La versatile et ambivalente Willow est probablement le personnage le plus emblématique de cette écriture soignée ; elle échappe aux stéréotypes habituels des œuvres américaines pour adolescents – le nerd, la good girl, le jock, la gothique –, qui ont été soigneusement construits par des teen movies comme The Breakfast Club ou Mean Girls. En les incarnant tour à tour, Willow, tantôt geek, tantôt néopaïenne, démontre qu’un personnage de fiction n’est pas condamné à rentrer dans une seule case et peut, à l’instar des personnes réelles, se réinventer. 

Plus encore, en refusant de se contenter d’aider gentiment Buffy et en écrivant sa propre histoire, elle ouvre la voie à des personnages de BFF plus complexes et consistants. À plusieurs reprises, elle exprime ainsi son désaccord avec Buffy et la met face aux conséquences de ses actes, refusant d’encaisser son “main character syndrom” et lui demandant d’être à la hauteur en tant qu’amie. “Je sais que tu traverses des choses difficiles, Buffy”, réplique-t-elle dans l’épisode 2 de la saison 3. “Mais moi aussi. J’ai une vie.” “Je ne suis pas ton sidekick !”, lui balance-t-elle plus tard (4×4). On est loin de la dynamique jeune première blonde/meilleure amie au second plan qui caractérise d’autres œuvres à succès de l’époque, comme Lizzie McGuire ou Clueless. Fluide dans sa sexualité, dans sa pratique de la magie mais également dans sa caractérisation et sa personnalité, la véritable magie de Willow, dont le surnom, Will, signifie en anglais volonté, réside peut-être dans la façon dont elle a su faire plier les normes et les réécrire à son avantage. 

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