La notion d’identité est au cœur de ta collection. Comment définis-tu la créolité d’un point de vue stylistique ?
Stylistiquement, je prends le contre-pied du doudouisme, qui cristallise le folklore. C’est un grand pan de l’imagerie créole antillaise, héritage de la résilience coloniale, très largement dédié à la femme créole. L’homme étant relégué à un style vestimentaire plus occidental, on identifie très peu son esthétique en dehors du danseur de biguine ou de l’ouvrier dans les plantations. Par la suite, les influences américaines sont venues avec les débuts de la globalisation pour finir par l’apport stylistique des Jamaïcains à travers le reggae et le dancehall. Stylistiquement, la créolité est par essence rhizome, comme la composition des sociétés créoles qui regroupent des communautés venues d’Europe, d’Afrique, d’Asie du Sud, du Moyen-Orient, sans oublier les populations natives. La créolité est née dans le chaos, la douleur, la résilience des peuples qui n’ont pas tous demandé à être là, et ce dans des conditions difficiles et d’une complexité sans précédent.
Tu as grandi à Saint-Claude en Guadeloupe, où vestimentairement parlant, tu pouvais te sentir parfois incompris. Comment est-ce que tu as vécu cette incompréhension ? Est-ce que le fait d’être confronté à ta différence t’a rendu plus fort ?
L’insularité de la plupart des territoires d’outre-mer engendre souvent une forme de frustration dans la quête d’émancipation identitaire. Une certaine homogénéité vestimentaire en découle, ce qui est souvent lié au manque de choix, ou bien pour se protéger des moqueries. Quand on a un style qui sort de la norme, on peut parfois se voir assigner letitre de “bounty” en référence à la marque d’une certaine barre de coco chocolatée, voire de “négropolitain” si ce n’est d’“Oreo” dans la version anglophone. La norme vestimentaire rassure les sociétés conservatrices et peut engendrer, par ignorance ou méfiance, des réactions hostiles à certaines formes d’excentricité vestimentaire. En ce qui me concerne, certains commentaires désagréables de proches, connaissances, voire d’inconnus ont renforcé mon caractère, ma volonté de me faire accepter pour ma singularité, et celle de devenir l’acteur d’un changement familial, amical, local pour ouvrir les consciences. C’est un combat de tous les instants, qui crée des débats, rencontres, amitiés, et qui permet, d’autant plus à l’ère des réseaux sociaux, de constituer une communauté qui renforce notre estime de nous-mêmes face au monde dans lequel on se construit.