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Mode

Vincent Frédéric Colombo veut ouvrir les consciences sur la créolité

Vincent Frédéric Colombo, directeur artistique et cofondateur des soirées LA CRÉOLE, dévoile sa première collection de vêtements intitulée Rhizome and Dystopia. Profondément ancrée dans la créolité, sa collection brise le mythe folklorique en dépeignant une masculinité créole queer et fluide. Rencontre avec ce jeune créateur prêt à déconstruire les clichés.

Photographe : Fanny Viguier

On ne présente plus LA CREOLE, qui est devenue une des soirées les plus emblématiques de la capitale, et pas que. Aujourd’hui, tu lances C.R.E.O.L.E., ta propre marque de vêtements. Pourrais-tu nous la raconter ?

C.R.E.O.L.E est un acronyme pour “Conscience relative à l’émancipation outrepassant les entraves”, et cette première collection s’intitule Rhizome and Dystopia. J’entrevois la garde-robe d’un homme aux influences diverses et fluides : un souci de la ligne aux accents un peu rétro qui se raconte à travers des imprimés, matières, techniques qui résument une identité rhizome. Je cherche à me positionner à travers cette complexité manifeste pour ouvrir un nouveau champ d’expression autour de la créolité et la créolisation d’un monde méconnu – le but n’étant surtout pas de rester enfermé dans le mythe tropical suranné d’un folklore ou d’une diversité fantasmée. À travers LA CREOLE et antérieurement le projet photographique CREOLE SOUL (mené en duo et en collectif avec mon associée, la photographe et plasticienne Fanny Viguier), nous évoluons dans une dynamique créative et festive dans l’exploration de cet univers à travers nos regards croisés. Nous souhaitons avant tout briser les clichés d’une imagerie un peu figée dans l’histoire et son incarnation.

La notion d’identité est au cœur de ta collection. Comment définis-tu la créolité d’un point de vue stylistique ?

Stylistiquement, je prends le contre-pied du doudouisme, qui cristallise le folklore. C’est un grand pan de l’imagerie créole antillaise, héritage de la résilience coloniale, très largement dédié à la femme créole. L’homme étant relégué à un style vestimentaire plus occidental, on identifie très peu son esthétique en dehors du danseur de biguine ou de l’ouvrier dans les plantations. Par la suite, les influences américaines sont venues avec les débuts de la globalisation pour finir par l’apport stylistique des Jamaïcains à travers le reggae et le dancehall. Stylistiquement, la créolité est par essence rhizome, comme la composition des sociétés créoles qui regroupent des communautés venues d’Europe, d’Afrique, d’Asie du Sud, du Moyen-Orient, sans oublier les populations natives. La créolité est née dans le chaos, la douleur, la résilience des peuples qui n’ont pas tous demandé à être là, et ce dans des conditions difficiles et d’une complexité sans précédent.

Tu as grandi à Saint-Claude en Guadeloupe, où vestimentairement parlant, tu pouvais te sentir parfois incompris. Comment est-ce que tu as vécu cette incompréhension ? Est-ce que le fait d’être confronté à ta différence t’a rendu plus fort ?

L’insularité de la plupart des territoires d’outre-mer engendre souvent une forme de frustration dans la quête d’émancipation identitaire. Une certaine homogénéité vestimentaire en découle, ce qui est souvent lié au manque de choix, ou bien pour se protéger des moqueries. Quand on a un style qui sort de la norme, on peut parfois se voir assigner letitre de “bounty” en référence à la marque d’une certaine barre de coco chocolatée, voire de “négropolitain” si ce n’est d’“Oreo” dans la version anglophone. La norme vestimentaire rassure les sociétés conservatrices et peut engendrer, par ignorance ou méfiance, des réactions hostiles à certaines formes d’excentricité vestimentaire. En ce qui me concerne, certains commentaires désagréables de proches, connaissances, voire d’inconnus ont renforcé mon caractère, ma volonté de me faire accepter pour ma singularité, et celle de devenir l’acteur d’un changement familial, amical, local pour ouvrir les consciences. C’est un combat de tous les instants, qui crée des débats, rencontres, amitiés, et qui permet, d’autant plus à l’ère des réseaux sociaux, de constituer une communauté qui renforce notre estime de nous-mêmes face au monde dans lequel on se construit.

Tu étudiais le design de produit, puis tu t’es dirigé vers le design de mode. Comment est venu le déclic ?

Je pense que mon premier déclic est venu en terminale, lors d’un projet upcycling de vêtements pour un défilé – j’étais alors en filière arts appliqués au lycée Rivière des Pères. J’ai toujours observé mes grands-mères ou tantes faire de la couture pour mes costumes de carnaval ou pour certaines de leurs amies qui leur commandaient des vêtements. J’ai pu mettre en pratique face à une machine à coudre tout ce que j’avais appris d’elles. Mais à l’époque, je ne m’autorisais même pas l’idée de poursuivre des études dans ce domaine. Pourtant, adolescent, je regardais déjà avec curiosité Habillé(e)s pour l’hiver sur Canal+ avec Mademoiselle Agnès, produit par Loïc Prigent. Quelques jours après l’obtention de mon BTS design produit, j’ai retrouvé une amie à un évènement chez Colette en juin 2010. Pharrell Williams était de passage dans la boutique durant la Fashion Week à Paris. Nous y avons rejoint une de ses amies, qui nous a demandé si nous souhaitions venirau défilé Yohji Yamamoto. Nous nous y sommes rendus et, par miracle, nous avons réussi à rentrer. C’est un souvenir incroyable, une révélation… Cette journée a changé ma vie car je me suis enfin senti à ma place, entouré de personnes qui me comprennent. S’en est suivie une curiosité chronique pour la mode, avec mon incursion progressive dans les défilés des Fashion Weeks en espérant me faire inviter ou infiltrer les shows.

Quelle expérience t’a le plus servi afin de devenir directeur artistique et créateur de ta propre marque ?

Le projet CREOLE SOUL ! C’est le premier que j’ai pu mener en codirection artistique : à quatre mains, j’y explorais une liberté narrative d’un univers qui me parle, me passionne, me raconte aussi d’une certaine manière. Le parti pris dans ce projet était de déconstruire un univers visuel saturé afin de se concentrer sur des individus qui incarnent une réalité qui ne fait pas assez écho dans l’imaginaire métropolitain. Ce fil conducteur du noir et blanc dans l’imagerie aide à structurer le fond et la forme, le but étant de supprimer le filtre de l’exotisme du sujet dans lequel le public peut se complaire. Le tout via un prisme esthétique à la croisée de l’artistique, du documentaire, de l’anthropologie et de la mode.

En quoi cette expérience a-t-elle façonné ta manière de concevoir la mode ?

À force d’expérimentations, de productions, de rencontres, de défis personnels, j’ai commencé à songer plus sérieusement à créer ma propre marque en 2017. LA CREOLE est arrivée et a mis en sommeil ce projet face au succès et aux sollicitations croissantes dansl’évènementiel. Mes autres activités comme celle de directeur de casting et celle de styliste photo ont pris un peu le dessus, sans compter mon travail à mi-temps dans la vente. Dur de composer ce projet avec pour seule option l’autofinancement… Pendant le confinement, j’ai utilisé ce temps pour me recentrer sur ce projet en sommeil depuis trop de temps afin de définir l’essence même de C.R.E.O.L.E.

Quelles sont, selon toi, les pièces de ta première collection qui représentent le mieux le style de C.R.E.O.L.E ?

L’ensemble workwear en denim, façon tie and dye. La construction de cet ensemble est inspirée d’un uniforme d’ouvrier ayant bâti les tunnels du métro parisien. C’est ma manière de faire un parallèle avec une des corporations de métiers assignées à la diaspora des outre-mer venue en France par le programme du Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) de 1963 jusqu’en 1981. Il y a aussi un autre ensemble crochet qui représente bien le style de ma collection. Il a été conçu avec un fil effet denim chiné et se compose d’un bermuda long, type baggy, assorti avec un pull oversize. Cet ensemble s’inspire des napperons de nos grands-mères, mais aussi des édifices architecturaux que l’on retrouve en Guadeloupe, dont l’œuvre de l’architecte Ali Tur qui a reconstruit de nombreux bâtiments municipaux, religieux et privés, à la suite d’un cyclone dévastateur en 1928. Certains de ces bâtiments me sont familiers, car des membres de ma famille y travaillent ou y ont travaillé. Le jockstrap en crochet avec son jupon, quant à lui, s’inspire des lambrequins ou frises présentes sur les toits dans l’ornementation des maisons créoles. Mon monogramme avec ces 6 C en référence aux six lettres du mot et sigle C.R.E.O.L.E cache discrètement en son centre un effet de soleil créé par Diplomatie Studio. Plusieurs pièces de la collection l’arborent et il se trouve également en all over print sur des t-shirts, bobs et des maillots de bain.

Quel message souhaites-tu faire passer avec cette première collection ?

Celui qu’une collection peut avoir une dimension aussi politique qu’esthétique. Mon approche est personnelle, queer et basée sur des souvenirs familiaux, ainsi que des faits historiques, sociologiques et techniques auxquels je souhaite rendre hommage. J’ai souvent été déçu d’un manque d’incarnation plus édifiante qu’un simple tissu madras pour aborder l’identité créole chez mes confrères créatifs antillais. L’émancipation créole passe aussi par une remise en question qui déconstruit l’assignation folklorique afin de surprendre le public et les futurs clients. Dans cette première collection, j’aborde diverses thématiques comme la chlordécone, le Bumidom, les icônes populaires créoles comme Christiane Taubira ou des sponsoring fictifs comme on en retrouve dans les évènements sportifs – une créolisation stylistique et philosophique, en somme.

As-tu un conseil pour encourager les jeunes créateurs qui souhaitent se lancer dans la cour des grands ?

Le plus important est de se sentir habité par ce que l’on souhaite dépeindre. Les épreuves sont formatrices ; la patience est finalement la plus grande qualité à avoir. L’objectif final est de devenir acteur de nos propres rêves avec l’appui de ceux qui nous soutiennent et croient en nous. Je commence tout juste, après des années de réflexion, à me pousser hors du nid pour prendre mon envol concrètement, et je sais que j’ai encore tout à construire. La vie est pleine de surprises, surtout quand on s’y attend le moins.

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