IRL et URL : comment le safe space a-t-il évolué avec la technologie ?
On le sait, Internet et les réseaux sociaux ont révolutionné le concept de safe space pour la communauté queer. Avant, les safe spaces n’étaient pas que des lieux physiques mais ils étaient concentrés dans les grands centres urbains des pays, où les LGBTQIA+ étaient moins rejeté.e.s. et discriminé.e.s. Des forums des années 2000 à l’avènement des apps de rencontre et des réseaux sociaux, le changement a été énorme pour la communauté. Pour la première fois dans l’histoire, les safe spaces sont devenus en quelque sorte plus sûrs, car ils n’avaient pas besoin d’un lieu physique pour exister mais en même temps, les interactions dans la vie réelle se sont réduites, et ces spaces sont devenus moins sélectifs dans une ère digitale où n’importe qui peut devenir n’importe qui.
On a malheureusement vu des apps LGBTQIA+ comme Grindr devenir un outil de persécution dans les pays les plus stricts et un espace pas très safe pour les jeunes.
Vient ensuite la question du consentement automatique. Ce qui était déjà un problème dans les espaces physiques est devenu un problème encore plus grand dans les espaces numériques. Je veux dire, lève la main si tu as déjà reçu une photo ou un message non sollicité avant même un bonjour sur ces applications… Ou pire, reçu un commentaire non sollicité, carrément raciste ou grossophobe, sur ton corps, ta couleur de peau, ton ethnicité ou ton expression de genre avant même d’avoir pu te présenter. Oui, former des espaces sex-positifs, c’est le grand truc des safe spaces. Avoir un espace où je peux explorer et m’exprimer sexuellement librement est essentiel, mais c’est complexe : il y a un niveau de consentement qui semble automatiquement accordé par le simple fait d’être présent dans ces espaces, et la ligne est devenue de plus en plus floue.
Lorsque j’en parle avec mes pairs, le consensus général est que les safe spaces en ligne sont devenus épuisants.
Quand tu es single ou que tu cherches simplement des gens avec qui connecter, on dirait qu’il n’y a pas d’autre choix que d’aller sur ces apps et qu’il faut absolument que tu t’y mettes, même si tu n’es pas du tout dans ce mood – et même si tu penses que ton corps n’est pas assez désirable pour y aller.
Culturellement, c’est pareil : alors qu’il était plus facile de trouver son crew dans un endroit physique dans le bon vieux temps (lol), aujourd’hui, il y a une tonne d’étapes à franchir avant de pouvoir trouver un date ou juste une petite fête. Dans le même temps, on voit que les thèmes LGBTQIA+ sont plus acceptés et même devenus cool dans la pop culture. Et pour survivre, les safe spaces traditionnels sont parfois obligés d’ouvrir leurs portes au grand public et à des gens qui ne font pas partie de notre communauté, dont certain.e.s – une minorité je dois dire – ne nous comprennent et ne nous respectent pas. Et ça gêne certain.e.s d’entre nous qui ne se sentent tout simplement plus en sécurité.
Paradoxalement, alors que les possibilités de se connecter en ligne sont toujours plus nombreuses, les safe spaces numériques semblent devenir de plus en plus exclusifs et segmentés tandis que les safe space physiques semblent de plus en plus difficiles à trouver.