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TikTok est-il le safe space queer que je n’ai jamais eu ?

Ta plateforme digitale pref’ n’est pas que la go-to place pour des challenges et des vidéos virales : elle fait également office de terrain de jeu virtuel pour la communauté queer qui y crée un contenu à la fois divertissant, inclusif et bienveillant.

Je ne suis pas né avec les réseaux sociaux. J’ai reçu mon premier téléphone portable à l’âge de 10 ans mais à ce moment-là, il ne fallait pas espérer pouvoir prendre des photos de qualité potable (sans compter que le selfie n’était pas encore démocratisé) ou utiliser son mobile pour autre chose que des appels ou des textos (qui n’étaient pas encore illimités). J’avais un ordinateur, certes, mais il me servait surtout à lire des spoilers de mes séries préférées en direct des Etats-Unis ou à regarder des interviews de Britney Spears jamais diffusées à la télévision française. J’ai grandi dans un petit village en banlieue parisienne. Sur la place du marché, aucune chance de trouver un bar ou un café queer-friendly. Sans voiture, impossible de rejoindre les lieux de divertissement salvateurs comme les cinémas, les musées ou les magasins de disques. Bien sûr, notre marchand de journaux vendait Têtu mais, dans une commune où tout le monde se connaît, il était de toute façon trop effrayant d’afficher sa différence au grand jour en achetant ce magazine.

Alors ma chambre était mon repaire. L’année de ma terminale, j’ai même hérité d’un espace au premier étage de la maison de mes parents, deux fois plus grand que ma chambre d’enfant du rez-de-chaussée que j’occupais jusqu’alors. Bien sûr, j’ai pris la déco de cette pièce très au sérieux (je voulais absolument des murs rouges comme Peyton dans Les Frères Scott) et même si je vivais toujours au sein du domicile familial, quelque chose en moi avait changé. Enfin, j’étais chez moi. A l’abri de tout. Libre de me coucher à l’heure que je voulais, d’inviter mes amis sans investir la salle à manger et son grand canapé, de passer des heures au téléphone en toute discrétion…

Au lycée, je connaissais du monde mais je n’étais pas vraiment extraverti. Depuis le collège, j’entretenais l’habitude de compter sur Internet pour faire partie de communautés rassemblant des personnes aux mêmes appétences que moi. Musique pop, séries américaines… Les forums de discussion français et anglo-saxons étaient mon terrain de jeu, où je me sentais à l’aise pour discuter de mes sensibilités qui pouvaient paraître tantôt ennuyantes, tantôt étranges en société (du moins dans ma campagne francilienne). Ces espaces numériques avaient leurs limites car je pouvais y parler de mes goûts mais pas de mon identité et des questions existentielles qui me taraudaient. J’aurais aimé pouvoir me tourner vers des pairs et me confronter à des expériences de vie réelles, non seulement pour me rassurer sur mes questionnements mais surtout pour réussir à être moi-même sans concession.

Bien sûr, la solitude est un sentiment universel, mais avoir 17 ans et cacher un secret isole inévitablement ; et malgré ma nouvelle chambre, je me sentais trop souvent démuni après des journées à faire semblant d’être ce que je n’étais pas.

A l’époque, l’une de mes lucarnes sur le monde s’appelle YouTube. Même si les créateur.rice.s de contenus que j’aimais regarder à l’époque me donnaient un peu d’espoir (d’ailleurs, nombreux sont ceux qui ont aujourd’hui un compte TikTok), il m’était beaucoup plus difficile de devenir acteur à mon tour et d’exprimer ma créativité sur cette plateforme (j’ai bien tenté de lancer ma chaîne après un excès de confiance mais elle n’a bien sûr jamais décollé – et ne cherche pas, toutes les vidéos sont aujourd’hui masquées). Montage compliqué, matériel son et vidéo à prix exorbitant…, autant d’obstacles m’empêchant de créer de manière qualitative et de partager mes passions au plus grand nombre.

Mais sur TikTok, la création et l’expression individuelle n’ont jamais été aussi simples. Un téléphone, une connexion Internet et un peu d’envie suffisent. Mieux encore, la plateforme digitale se révèle comme un véritable outil d’émancipation et d’affirmation pour la communauté queer, ce qui, je l’avoue, m’aurait bien aidé il y a quelques années.

Créer sa prope représentation

Dans le fond comme dans la forme, TikTok est une plateforme représentative de son époque et de ses usages bien particuliers.

L’accessibilité est devenue essentielle : les contenus aspirationnels existent toujours mais la proximité avec les artistes et celleux qu’on appelle aujourd’hui les créateur.rice.s de contenus facilite l’identification. Au lieu de voir les choses qui nous séparent des personnes qui nous inspirent, on voit les choses qui nous rapprochent d’elles : les habitudes alimentaires, le style vestimentaire, les goûts musicaux… Les réseaux sociaux nous poussent à être relatable, c’est-à-dire à incarner des personnes auxquelles il est facile de s’identifier.

Avec ses trends make-up, ses challenges et ses vidéos humoristiques, TikTok pousse le curseur encore plus loin et montre que les réseaux sociaux ne servent pas seulement à vendre une vie idéalisée à tes followers mais aussi à exprimer ta créativité et, parfois, à montrer tes failles. Nombreux sont les témoignages postés sur la plateforme ou les Q&A détaillant les expériences des minorités, dont la communauté LGBTQIA+. Sur TikTok, 45 % des utilisateur.rice.s français.es sont intéressé.e.s par les questions LGBTQIA+ et 63 % trouvent que l’application est un lieu pertinent pour en parler.

Plus besoin des médias “traditionnels” pour voir des personnes qui nous ressemblent. Sur Internet, on peut créer une vraie représentation inclusive et montrer de manière beaucoup plus facile la diversité des vécus, des corps, des identités de genre, car il n’y a plus d’intermédiaire : chacun est libre de s’exprimer comme il le souhaite à travers son contenu. Pour le meilleur et pour le pire. D’où la nécessité de créer des communautés où l’individualité de chacun.e peut être célébrée.

Mieux encore, la plateforme digitale se révèle comme un véritable outil d’émancipation et d’affirmation pour la communauté queer, ce qui, je l’avoue, m’aurait bien aidé il y a quelques années.

Mais tout comme dans la vie réelle, ces espaces et ces acquis peuvent être menacés. On se souvient du bras de fer engagé par Donald Trump, alors président des Etats-Unis, contre TikTok, qu’il souhaitait purement et simplement bannir du territoire américain. A l’époque, les créateur.rice.s de contenus et utilisateur.rice.s LGBTQIA+ de la plateforme risquaient purement et simplement de perdre une safe place devenue essentielle à leur quotidien et, pour certain.e.s, à leur santé mentale.

Il est donc essentiel de trouver une synergie entre communauté virtuelle et défense des droits dans notre réalité. Alors les utilisateur.rice.s et créateur.rice.s de contenus peuvent devenir porte-parole et ouvrir le dialogue sur des problématiques bien précises qu’ils ou elles maîtrisent.

Plus qu’un nid à vidéos divertissantes, TikTok devient un véritable outil pédagogique. En plus de donner accès à des recommandations culturelles (livres, podcasts, articles…) permettant de mieux comprendre certains sujets, la plateforme permet de partager son vécu et de répondre directement aux questions posées par ses followers (et par certains détracteurs par la même occasion) comme le fait par exemple @jade.cve, jeune femme transgenre qui compte plus de 300 000 abonné.e.s. De quoi éduquer une partie de la population qui, même si elle peut être sensible à ces problématiques, n’est pas forcément au fait de leurs subtilités. Rappelons également qu’il existe un large éventail d’identités de genre et d’orientations sexuelles et que chaque vécu est différent, ce qui rend parfois les choses plus complexes pour les non concerné.e.s.

Le pouvoir de la communauté

En 2020, alors que la pandémie de Covid-19 te contraint à rester confiné.e. chez toi, TikTok explose et devient un véritable phénomène. En juillet 2020, 14,9 millions de Français.es utilisent TikTok chaque mois contre 4,4 millions en juin 2019. C’est 10 millions de plus ! Hors gaming, la plateforme digitale est régulièrement en tête des téléchargements mobiles. Pendant cette période incertaine, beaucoup se tournent vers TikTok pour se sentir moins seul.e.s, comme une bouée de sauvetage pour garder la tête hors de l’eau lorsque les lieux de rencontre queers sont inaccessibles.

Au-delà de l’importance de la représentation, TikTok permet de créer des communautés salvatrices qui permettent d’être soi-même sans concession. Grâce aux hashtags #Pride, #PrideTogether, #Queer ou #LGBT, il est facile de trouver des vidéos parlant de sujets chers à la communauté LGBTQIA+ : témoignages, recommandations, questions-réponses, vidéos humoristiques, expression de la créativité à travers les vêtements ou le maquillage… Un savant mélange d’entertainment et de pédagogie qui permet de parler soit avec sérieux soit avec humour de thèmes tels que le trauma, la thérapie, le dating…

Comme Howard Thurman, l’un des leaders du mouvement des droits civiques américains, l’expliquait, “une communauté ne peut longtemps se suffire à elle-même ; elle ne peut se développer qu’avec des personnes provenant d’horizons différents et des frères encore inconnus”. D’où l’importance de se servir des outils contemporains à notre disposition pour mettre en valeur la diversité des expériences de nos communautés.

@raphaelsay Du 10 au 20 juin, on #fetelamour avec l’association AIDES ! @assoaides ❤️ faites un don via fetelamour.org pour que 2030 soit SIDAFREE 💖 #aides #love ♬ L O V E (Glee Cast Version) – Glee Cast

Cette année, pour le mois des fiertés, TikTok soutient une communication engagée : la plateforme prend la parole pour défendre la richesse de la communauté LGBTQIA+ tout en rappelant que la Pride n’est pas seulement une célébration mais aussi un moment de partage, d’échange et surtout de mise en lumière des réalités (parfois difficiles) de chacun.e. Au menu, pas seulement de jolis filtres mais une mise en valeur de l’énorme travail réalisé par les créateur.rice.s de contenus LGBTQIA+ sur l’application. Par exemple, celui des TikTokeuses @theoptical.goddess, une entrepreneuse américaine, et @thisisphenix, qui montre son quotidien sans filtre. Mais la campagne veille aussi à interpeller le plus grand nombre : des allié.e.s à la cause mais également celles et ceux qui pourraient avoir des questions sur ces sujets, comme le souligne @raphaelsay, mannequin qui officie également sur TikTok avec des vidéos en collaboration avec Jean Paul Gaultier ou l’association AIDES. “Créer du contenu queer sur les réseaux sociaux permet de toucher d’autres personnes qui ont une vision stéréotypée de certaines minorités, avec des idées préconçues. Mon travail tourne autour de la non toxic masculinity avec de la mode et de la beauté non genrées, pour casser les archétypes. Je sais que toute une époque se construit avec cette application et c’est pour cela qu’il faut aborder ces questions de manière positive, éducative et accessible. Pour ces jeunes qui se cherchent, les contenus doivent être une sorte de safe place pour les aider à mieux se comprendre.” A l’inverse de l’entre-soi, la communauté queer est un véritable vecteur de changement dans notre société qui pointe trop souvent du doigt les différences.

De mon côté, comme tu le sais peut-être, j’entretiens une relation amour/haine avec les réseaux sociaux. Leur impact sur notre santé mentale ne fait aucun doute, il faut apprendre à les utiliser à bon escient mais une chose est sûre : ces plateformes permettent aussi aux minorités de créer des espaces qui leur appartiennent avec des pairs qui leur ressemblent et de leur donner la parole pour raconter les multitudes de vécus qui existent. La richesse de notre histoire réside dans la diversité de ces différentes réalités. Comme dans la vie, rien n’est parfait : certains individus sont bienveillants, d’autres moins. Certains prônent l’acceptation et d’autres n’hésitent pas à cracher leur venin (en commentaire ou dans ton dos). TikTok, c’est aussi ça : une grande cour de récréation qui brasse tous types d’individus, où chacun.e peut s’exprimer et espérer trouver sa place. Quand tu ne trouves pas la force d’être toi-même, rappelle-toi que de ta chambre au monde extérieur, il n’y a qu’un pas.

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