Stress et strass : quels liens entre pop culture et santé mentale ?
NYLON France a rencontré le psychiatre spécialisé dans les questions pop et psychiques, Jean-Victor Blanc, pour discuter des maux propres à l’époque.
NYLON France a rencontré le psychiatre spécialisé dans les questions pop et psychiques, Jean-Victor Blanc, pour discuter des maux propres à l’époque.
Fame, followers, paillettes mais aussi écoanxiété, culture porn, chemsex : quels troubles surgissent, mutent et reflètent 2022, ses spécificités et les maux qui s’y croisent ? Le psychiatre Jean-Victor Blanc, fondateur du festival Pop & Psy et auteur de l’ouvrage du même nom, a discuté avec NYLON des liens entre santé mentale, pop culture et climat actuel.
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Aujourd’hui, on parle d’écoanxiété. Comment l’état actuel de l’environnement affecte-t-il la santé mentale de la population ?
Toutes ces émotions négatives ne sont souvent pas considérées comme pathologiques mais comme des réactions au climat actuel. Il ne s’agit donc pas de les transformer en maladies mentales, de les traiter comme telles et de prendre des antidépresseurs, mais de penser cette réaction comme sociétale, écologique et non purement pathologique. Du côté de la psychiatrie, une dépression peut néanmoins être teintée de thématiques écoanxieuses et il peut être difficile de prendre du recul, de réussir à se concentrer, dormir, manger. Au cœur de ces préoccupations, il y aura la planète. Aux urgences, tout le monde parlait à une époque du Covid, à une autre des attentats ; ces événements génèrent des stress post-traumatiques et de nouveaux troubles.
Historiquement, on a tendance à associer folie avec créativité ou génie. D’où vient cette proximité et dans quelle mesure est-elle fantasmée ?
Il y a beaucoup d’idées reçues autour du fait que tout artiste doit avoir un trouble psychique, que souffrance et créativité iraient ensemble. D’un aspect sociologique, l’idée de marginalité, de trouble, est associée à une pensée disruptive, qui questionne l’ordre établi. Ce sont des idées reçues présentes dans le milieu de l’art, de la mode, où beaucoup de personnes vont être potentiellement fragiles. Ce sont des environnements moins classiques, plus avant-gardistes, plus tolérants dans certains aspects. On y trouve donc des jeunes adultes attiré.e.s par l’ambiance sex, drugs and rock’n’roll alors qu’ils ont des vulnérabilités ; il y a cet aspect de double peine, croisant le côté romantique à la créativité.
Quel est l’impact des réseaux sociaux sur la santé mentale ?
Les réseaux sociaux sont à la fois des lieux de rencontre, d’échange, de soutien autour de sujets de stigmatisation qui ont constitué des communautés ; mais aussi les outils de multinationales usant de techniques rendant captif par leurs usages inédits dans l’histoire. On n’a pas le recul, mais on remarque que certain.e.s développent un rapport problématique à ça et c’est encore compliqué de placer une norme et une pathologie. Les réseaux sociaux agitent le circuit de la récompense, comparable à celle présente dans certains circuits d’addiction, ainsi qu’une peur du manque. On est récemment passé de quelque chose d’assez littéraire et monotone sur Facebook à un TikTok sans début ni fin, avec un format vidéo assez hypnotisant.
Quelle place occupent les médicaments ?
L’idée de prendre un médicament pour aller mieux a un côté presque transhumaniste : tout est bon pour devenir la meilleure version de soi-même. Cependant, les préjugés autour des traitements sont lourds, et dire à visage découvert que l’on prend par exemple un antidépresseur peut donner lieu à un grand sentiment de rejet. Il y a également un rapport genré face au traitement, des injonctions, une vision féminisante du soin, de la pathologie, de la faiblesse.
Et last but not least, qu’en est-il de l’amour à l’heure actuelle ?
Nous sommes à une heure de surconsommation sexuelle avec un climat pas toujours très accueillant. Derrière une idée de libération, on trouve une hiérarchisation autour de dimensions raciales, de normes corporelles, le tout facilité par du chemsex qui potentialise certaines choses et en rend d’autres très violentes par l’effet même des produits. Avec ces produits de synthèse, on peut ressentir des émotions qui ressemblent à de l’amour et à la fusion complète entre deux personnes à travers une alchimie artificielle déclenchée mais traitée comme des sentiments et une perte néanmoins. J’entends beaucoup de personnes racisées qui ne se voient que comme un corps, un sexe, uniquement là pour rejouer des clichés. Il y a des performances très dichotomiques, qui peuvent être très difficiles à gérer et qui ouvrent sur la question du désir et de l’objectification.