Renate Reinsve est “The Worst Person in the World”
D'Oslo à Cannes, Renate Reinsve, révélation de Julie (en 12 chapitres), nous parle d’amour et de chaos.
D'Oslo à Cannes, Renate Reinsve, révélation de Julie (en 12 chapitres), nous parle d’amour et de chaos.
Renate Reinsve a été touchée par la magie du cinéma. Alors qu’elle venait de prendre la décision d’abandonner définitivement le métier d’actrice, elle a reçu un appel du réalisateur Joachim Trier. Il avait écrit un nouveau film sur une jeune femme d’une vingtaine d’années, sans but et indécise, en quête de sens et d’amour à Oslo, et surtout, il avait écrit le rôle spécialement pour elle.
Reinsve, qui s’est liée d’amitié avec Trier depuis qu’elle a travaillé dix ans plus tôt sur son film Oslo, 31 août, a sauté sur l’occasion. Le film est devenu Julie (en 12 chapitres), une rom-com norvégienne passionnée et sincère qui a fait passer Reinsve du statut de presque ancienne actrice à celui de lauréate du prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 2021. À un moment crucial du film, la Julie de Reinsve court à travers Oslo en été, tandis que tous les autres restent figés, comme des insectes suspendus dans l’ambre. Un moment surréaliste et étourdissant, tant pour Julie que pour le spectateur ; et pour Reinsve, j’imagine que la surréalité de son voyage ne fait que commencer.
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Non seulement c’est ton premier grand rôle, mais Joachim l’a écrit en pensant à toi. Ça a dû être surréaliste pour toi. Peux-tu m’en parler un peu ?
J’avais pris cette grande décision. J’étais allongée dans mon lit et j’ai décidé d’arrêter le métier d’actrice parce que je trouvais super frustrant de ne jamais pouvoir faire ce que je voulais vraiment. Et puis le lendemain, Joachim m’a appelée pour ce rôle. Et je pense que la vie a été assez surréaliste à partir de ce moment. Je me suis préparée pour le rôle, on a tourné le film et on a attendu qu’il sorte. Les gens ont commencé à en parler jusqu’à ce qu’il explose au Festival de Cannes.
Et tu as gagné le prix de la meilleure actrice.
Je n’arrive toujours pas à y croire. C’était vraiment incroyable.
Quelle a été ta première impression de Julie quand tu as lu le scénario ?
Je savais que Joachim l’avait écrit pour moi, mais il ne m’a pas présenté de scénario à ce moment-là. J’ai dit oui parce que je l’admire beaucoup et que j’aime tout son travail. Et j’ai eu une réplique phare dans Oslo, 31 août, son film il y a dix ans, donc je savais ce que ça faisait d’être sur son plateau. J’étais très nerveuse. Quatre mois plus tard, j’ai lu le scénario et je crois que j’ai pleuré trois fois avant la page sept, parce qu’elle était tellement badass. La première scène du script, c’est quand elle se faufile au mariage. Elle est triste et pense que c’est très inconfortable de vivre cette émotion, alors elle se faufile dans un mariage et flirte avec ce type et fout en l’air sa propre vie.
J’ai trouvé ça très intéressant et très cool de se faufiler dans un mariage. Mais elle essaie vraiment de trouver sa voie, elle se débat, elle est confuse et très vulnérable. J’aime vraiment la combinaison et la complexité de toutes les dynamiques qui l’entourent. Tu vas partout avec elle. Elle va au fond des questions existentielles mais elle est aussi très drôle et enjouée. C’est un très large éventail. J’avais vraiment peur de ne pas réussir à retranscrire cette complexité dans mon jeu. J’ai donc travaillé, je crois, pendant un an, car le tournage a été retardé deux fois. J’ai lu le scénario tous les jours et je me suis beaucoup préparée.
J’ai lu le scénario et je crois que j’ai pleuré trois fois avant la page sept, parce que Julie était tellement badass.
En parlant de préparation, j’ai lu que tu as été inspirée par la performance de Timothée Chalamet dans Call Me by Your Name. Qu’est-ce qui t’a frappée dans sa performance et comment as-tu essayé de l’incorporer dans le personnage de Julie ?
C’est toujours bien de chercher l’inspiration ailleurs. Je voulais quelqu’un qui, dans son personnage, aille très loin dans la légèreté, mais aussi très loin dans la profondeur existentielle de la douleur et du chagrin. Elio est mon animal totem pour Julie. Pour la rendre légère ou vraiment profonde. Mais je me suis aussi beaucoup inspirée d’Isabelle Huppert et de Charlotte Gainsbourg dans ma vie. J’adore leur façon d’aborder la douleur, la perte et le chagrin. Elles vont tellement loin dans ce domaine. Mais j’ai aussi vu beaucoup de Kristen Wiig, que j’adore – c’est un génie – et Will Ferrell. Les deux m’ont entourée toute ma vie. J’aime les trucs tragiques, profonds mais j’aime aussi la légèreté.
Julie a du mal à se défaire de son lien avec Aksel. Elle le quitte, mais à la fin, ils se retrouvent. Qu’est-ce qu’il y a dans leur relation qui fait que c’est si difficile pour elle de le laisser partir ?
C’est vraiment une relation parfaite parce qu’ils rient beaucoup ensemble et ont de très bonnes conversations. Il la comprend vraiment. Mais je pense que ce qui la pousse à vouloir partir, c’est qu’au début, c’était un peu romantique qu’il la comprenne, mais aussi qu’il la définisse, et elle en avait besoin parce qu’elle ne trouvait pas sa propre identité. Mais le paradoxe est qu’elle doit partir parce qu’elle ne veut plus être définie. Son développement consiste également à se détacher de la recherche de son identité à travers quelque chose d’extérieur. Elle doit rompre avec lui parce qu’il a aussi tellement le contrôle qu’il a l’impression d’être le plus fort dans la relation car il peut tout mettre en mots et tout analyser.
C’est comme dans leur dispute de rupture, quand elle lui reproche de se croire plus intelligent parce qu’il est si prompt à tout analyser.
Exactement. Et je me suis beaucoup battue pour ça avec Julie. Ça devrait être un bon moment pour être vulnérable, pour ne pas savoir quoi faire ni où se situer. Et je pense que c’est une bonne chose de partir de là, parce que si tu n’y arrives pas ou si tu n’oses pas aller dans cet état, alors tu ne pourras pas comprendre qui tu es ou ce que tu dois faire ni ce qui te rend vraiment heureux.se.
Tu as dit que Joachim et toi, vous vous voyez souvent à Oslo et que vous vous posez les mêmes questions sur l’amour et l’existence. Quelles sont ces questions que vous avez en commun ? Croyez-vous en l’amour ?
Ce sont des questions du genre qu’est-ce que l’amour, et pourquoi on tombe amoureux de la mauvaise personne ? As-tu entendu parler d’Alain de Botton ? C’est un philosophe britannique qui parle de la façon dont on peut tomber amoureux d’une seule personne parce que ce qui te pousse à aimer quelqu’un est lié à ce que tu as vécu, à la douleur que tu as ressentie dans ta vie jusqu’à ce moment-là. Qu’est-ce qui fait qu’une histoire fonctionne et qu’une autre ne fonctionne pas ? Peux-tu trouver quelqu’un qui te correspond ou dois-tu t’adapter à quelqu’un d’autre pour être heureux.se ?
Ce sont de grandes questions et tu ne peux pas savoir tant que tu n’essayes pas de les vivre. Je sais que je me suis retrouvée dans des relations vraiment mauvaises parce que je ne savais pas ce que j’aimais chez cette personne et ce qui me faisait mal chez elle. Il y a ce truc classique de courir après quelqu’un et de chercher son approbation quand il ou elle te voit. Mais c’est une telle douleur quand tu continues à courir, courir et courir. Tu penses que c’est de l’amour, ou du moins je pensais que c’était de l’amour. Et puis tu apprends ce qui n’est pas de l’amour. Tu dois le trouver ailleurs, mais honnêtement, je n’ai pas encore compris ce qu’est l’amour.
C’est chiant de se dire qu’il faut tomber amoureux et avoir le cœur brisé plusieurs fois pour comprendre ce que l’amour signifie vraiment et quelle relation fonctionne pour soi.
Oui, et aussi pour savoir comment prendre des décisions. C’est vraiment compliqué parce que tu ne peux pas non plus connaître les conséquences de tes choix avant de les avoir vécus. Tu as cette image de toi-même et de la façon dont tu devrais vivre ta vie, tes espoirs et tes rêves pour toi. Et ils ne se réaliseront probablement jamais. Il se passe toujours quelque chose d’autre. C’est donc le chaos, et tu dois t’abandonner au chaos.