Musique

Griff, l’étoile montante

Révélée en 2019 avec le titre “Mirror Talk”, récompensée aux BRIT Awards et adoubée par Taylor Swift, cette artiste de 20 ans s’annonce déjà comme l’un des plus grands espoirs de la pop britannique. Alors qu’elle s’apprête à partir en tournée européenne pour défendre sa première mixtape One Foot in Front of the Other, Griff nous a accordé un moment pour nous parler de la genèse de sa musique, de l’expérience du succès en pleine pandémie et de l’importance de se rendre vulnérable à travers ses chansons.

Photographe : Alex de Mora 
Styliste : Kamran Rajput

Naomi Clément / 30 septembre, 2021

Depuis l’arrivée fracassante du Covid-19 sur le devant de la scène mondiale, les artistes ont dû faire face à de nombreux changements. Les concerts, autrefois délivrés dans des salles obscures et compactes, ont pris la forme de shows diffusés en live streaming ; les collaborations se font par écrans interposés et les journées promo, habituellement réalisées à l’abri d’une chambre d’hôtel, ont laissé place à des visioconférences. C’est donc tout naturellement que nous retrouvons Griff sur Zoom, par un bel après-midi du mois d’août. Après quelques minutes passées dans la “salle d’attente” du logiciel, la chanteuse fait finalement son entrée, un t-shirt vintage à l’effigie d’une université sur le dos et un chignon négligemment relevé sur le dessus de la tête. “Vous m’entendez bien ? Vraiment désolée pour ce retard !”, s’exclame-t-elle en prenant place sur sa chaise.

Derrière elle se dessine un piano de couleur noir et un peu plus loin, suspendue au mur blanc, une guitare électrique dans les tons bleu ciel. “C’est la pièce dans laquelle je crée la plupart de mes sons”, commente-t-elle en direct de sa maison familiale. Cette pièce, confortable et lumineuse, est donc celle dans laquelle elle a conçu les chansons qui ont récemment bouleversé sa vie. Des hymnes pop et intimistes qui, en pleine crise sanitaire mondiale, l’ont fait passer de l’ombre à la lumière. “Pour être honnête, je n’ai pas vraiment réalisé tout ce qui m’est arrivé depuis mes débuts en 2019, confesse-t-elle. C’est un peu compliqué de prendre conscience de ce genre de choses quand tu les vis enfermée depuis le fin fond de ta chambre (rire) !”

Top et manches, création de GRIFF
Jupe TALIA BYRE
Chaussettes FALKE
Chaussures plateforme « Neoteric » DR. MARTENS

De la soul à la pop

Griff est drôle, pourvue d’un humour sarcastique et d’un accent à couper au couteau, symptômes d’une vie passée en Angleterre. Mais elle porte également en elle la culture de ses parents, dont elle parle avec affection et fierté. “Les origines chinoises de ma mère ont fortement influencé ma relation au travail, analyse-t-elle. Ce n’est pas un mythe : la culture chinoise est connue pour avoir ce truc de ‘pas le droit à l’échec, il faut travailler dur’, et ça a clairement déteint sur moi.” Et d’ajouter : “Quant aux origines jamaïcaines de mon père, elles m’ont beaucoup influencée sur le côté musical. À mes yeux, les plus belles chansons d’amour ont été créées par des artistes issus de la communauté noire, et ce en raison de tout ce qu’ils ont dû affronter au cours de leur histoire… Cette musique m’a énormément bercée et marquée.”

Née à Kings Langley, un petit village situé à 34 kilomètres au nord-ouest de Londres, Sarah Griffiths (de son vrai nom) a grandi dans un environnement musical teinté de gospel, de soul et de R&B, biberonnée aux disques de Stevie Wonder, Bill Withers et Mary J. Blige. Mais c’est la découverte de l’album Fearless de Taylor Swift, qu’elle télécharge sur son iPod Shuffle à la fin des années 2010, qui concrétise son désir de faire de la musique. “En l’écoutant, je me suis dit : ‘OK, ça surpasse tout ce que j’ai connu jusqu’ici !’”, se remémore-t-elle. J’ai tout de suite adhéré à ces accords majeurs, à ces paroles auxquelles tu peux très facilement t’identifier… Ça m’a immédiatement parlé.”

En parallèle de ses journées à l’école, où elle se dit “sérieuse”, l’adolescente se met à écrire. Loin des regards indiscrets, nichée au cœur de sa chambre, elle couche ses pensées sur papier, tout en empruntant l’ordinateur de son frère sur lequel elle apprend à produire des beats à l’aide de vidéos YouTube. “C’était un passe-temps secret”, souffle-t-elle. Griff ne parle de cette passion à personne. Pas même à ses camarades de classe. Pas par peur d’être jugée, mais par peur de ne pas réussir. “Au fond, je pense que mon rêve a toujours été de faire de la musique, mais je ne croyais pas vraiment que cela puisse arriver un jour, relate-t-elle. Je bossais vraiment dur, mais comme je suis quelqu’un d’assez pessimiste (et que les chances de réussir dans ce milieu sont tout de même très minces), je n’avais pas envie de me faire de faux espoirs. J’ai seulement commencé à y croire le jour où j’ai signé mon contrat avec le label Warner Records.”

Robe & Corset ALVARO MARS
Chaussettes FALKE
Chaussures plateforme « Neoteric » DR. MARTENS

Vulnérabilité et DIY

Cette signature, qui s’opère en 2018 alors que Griff amorce sa dernière année de lycée, découle sur la sortie de son premier single “Mirror Talk”. Dévoilé à l’été 2019, ce titre pop minimaliste explore une thématique à laquelle toutes les jeunes femmes de son âge peuvent s’identifier : le fait de voir subitement naître en soi un tourbillon d’insécurités, et de devoir les affronter seule, avec doute et courage. Au sujet de cette chanson, elle raconte : “J’ai choisi de sortir ‘Mirror Talk’ en premier parce qu’à mon sens, il était important que ma première prise de parole ne soit pas juste une chanson d’amour un peu banale, mais une chanson forte, qui parle de la prise de conscience qu’une jeune femme peut vivre à cet âge.”

Remarquée par plusieurs médias anglais, dont l’émission d’Annie Mac sur BBC Radio 1, “Mirror Talk” pose les bases de son univers musical : des textes chargés d’une grande émotion, interprétés à l’aide d’une voix puissante sur une production des plus éthérées. Un univers fait de contrastes donc, coincé quelque part entre force et vulnérabilité, qui lui a valu plusieurs comparaisons avec son aînée Adele. “C’est vrai que j’adore chanter avec puissance sur des mélodies assez dépouillées, mais j’aime également être vulnérable dans ma musique parce que… c’est comme ça que tu connectes aux gens !”, poursuit-elle. “La vulnérabilité est ce qui nous relie les uns aux autres, car nous sommes tous un peu écorchés quelque part.”

Avec “Mirror Talk”, Griff affirme également son identité visuelle, dans laquelle elle se dit fortement impliquée. Dans le clip réalisé par Sylvie Weber, elle arbore une queue-de-cheval infinie faite de larges bulles (aujourd’hui devenue sa marque de fabrique), et se meut dans une longue robe blanche immaculée qu’elle a elle-même confectionnée lors de sa dernière année d’études, où elle a pris une option couture. “C’est pour ça que je parle souvent de DIY lorsque je dois décrire ma musique, souligne-t-elle. Il y a beaucoup de choses que je fais moi-même.”

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Robe PREEN BY THORTON BREGAZZI
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Kilt CHARLES JEFFREY LOVERBOY

“Black Hole”, la consécration

À la fois auteure, compositrice, interprète, productrice et designeuse de mode à ses heures perdues, Griff, 20 ans au compteur, fait partie de cette nouvelle génération d’artistes consciencieux et ambitieux, qui ont choisi de prendre le contrôle sur l’entièreté de leur art. Une vision globale qu’elle affirme de plus belle fin 2019 avec “The Mirror Talk”, son premier EP. Porté par “Sound of Your Voice” et “Didn’t Break It Enough” (deux de ses plus gros succès), ce cinq titres nous plonge dans les réflexions intimes de la Britannique, qui y explore aussi bien ses relations à l’autre que sa relation avec elle-même. “L’idée de cet EP était de composer un tableau plus complet de qui j’étais”, précise la chanteuse, qui a produit la majorité des titres. “J’ai décidé de l’appeler ainsi parce que tous les morceaux qui le composent sont des sortes de conversations internes, des prises de conscience que j’ai eues avec moi-même.”

À la suite de cette sortie, Griff explique avoir énormément travaillé sur son écriture dans le but de se rendre toujours plus honnête, toujours plus vulnérable. Ces sessions d’écriture donnent rapidement vie à plusieurs autres chansons poignantes, dont “Good Stuff”, “Forgive Myself”, “Say It Again”, et surtout “Black Hole”. Partagé début 2021, cet hymne pop à la fois dansant et ténébreux, qui aborde la notion de vide intérieur après un chagrin d’amour, est devenu son single le plus écouté à ce jour, cumulant près de 50 millions d’écoutes sur Spotify.

“’Black Hole’ est en effet mon morceau le plus commercial, alors que bizarrement, à mes yeux, c’est un morceau assez étrange, qui sonne différemment des morceaux pop qu’on entend généralement à la radio”, décrypte-t-elle, visiblement encore étonnée du succès rencontré par ce titre. “Je pense que ce qui a plu, ce sont les paroles, qui parlent de rupture amoureuse tout en étant à la fois assez mélodramatiques et fun, car c’est un sujet que la plupart des gens peuvent comprendre et ressentir… L’écriture a une place très importante dans ma façon de créer des chansons.”

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Corset NODRESS
Jupe CHARLES JEFFREY LOVERBOY
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Chaussures plateforme « Neoteric » DR. MARTENS

Une première mixtape créée pendant le confinement

“Black Hole”, que Griff a choisi d’interpréter en mars dernier sur la scène des prestigieux BRIT Awards (dont elle est repartie avec le Rising Star Award, un prix précédemment remporté par Adele, Florence And The Machine ou Jorja Smith), est aussi le single phare de One Foot in Front of the Other, sa première mixtape disponible depuis le 11 juin dernier. Illustré par une pochette en noir et blanc, sur laquelle la jeune Anglaise avance sur une corde tendue au-dessus du vide, ce mini-album contient les chansons les plus intimes que cette dernière ait jamais composées. Et pour cause : elles ont en grande partie été écrites, enregistrées et produites par Griff pendant le premier confinement de 2020. “C’était juste moi qui expérimentais, qui délirais dans ma chambre et qui voyais ce qui en sortait, rembobine-t-elle. J’essayais d’écrire des chansons honnêtes et réfléchies. Je pense que beaucoup d’entre elles sont assez brutes, mais c’est ça qui me plaît.”

Parmi ces chansons, il y a “One Foot in Front of the Other”, qui sonne comme la suite de “Black Hole”, ou “Heart of Gold”, qui parle du fait de s’autoriser à refaire confiance après une rupture amoureuse. Il y a aussi “Shade of Yellow”, une ode à l’évasion que Taylor Swift n’a pas hésité à encenser sur les réseaux sociaux ; sans oublier le réjouissant “Walk”, la dernière piste du projet, dans laquelle Griff explique être prête à se relever. “One Foot in Front of the Other est un projet qui parle d’un voyage intérieur, du fait de retomber sur ses pieds quoi qu’il arrive, et de continuer à avancer malgré les difficultés que tu rencontres vis-à-vis de ton futur, de ta famille, de tes amours ou de tes amitiés”, détaille-t-elle. “Ça parle de ce moment précis où tu ressens tellement de vulnérabilité et d’inconnu en toi que la seule chose que tu puisses vraiment faire est de mettre un pied devant l’autre. Voilà le message de cette mixtape. Et je crois qu’il a été plutôt bien reçu.”

Robe PREEN BY THORTON BREGAZZI
Jupe SIMONE ROCHA
Kilt CHARLES JEFFREY LOVERBOY
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Chaussettes FALKE
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À l’écoute de cette mixtape, il est facile de comprendre les raisons pour lesquelles Griff est d’ores et déjà considérée comme la relève de la pop anglo-saxonne. À l’instar de ses consœurs Adele, Taylor Swift, Billie Eilish ou Dua Lipa, l’autrice-compositrice-interprète-productrice a su bâtir de ses propres mains un univers à la fois singulier et universel, puissant et fragile, dans lequel tout un chacun peut entrer et se reconnaître. Un monde des plus prometteurs, qu’elle a précisé fin août avec “One Night”, un nouveau single entêtant dédié à ses angoisses nocturnes.

“Et maintenant que ce single est sorti… Je ne sais pas trop ce qu’il va se passer (rire) !”, lance-t-elle à travers la caméra, un rire nerveux au bout des lèvres. “Il y a tellement de musiques qui sortent tous les jours, c’est parfois un peu stressant. En tant que jeune artiste, tu as l’impression de devoir constamment sortir de nouvelles choses ! En ce moment, j’essaie à l’inverse de me créer un nouvel espace dans ma tête, dans le but de trouver de nouvelles inspirations. J’écris beaucoup, et je fais de mon mieux pour revenir très vite avec un projet qui, je l’espère, sera encore plus abouti que ma première mixtape.” En attendant, Griff s’apprête à sillonner l’Europe dans le cadre de sa tournée One Foot in Front of the Other, qui passera notamment par La Boule noire de Paris le 28 octobre prochain. L’occasion de se confronter enfin, pour de vrai, à l’ampleur de son jeune succès. Loin des écrans et autres conversations digitales sur Zoom.

« ALLÔ GRIFF »

Nos questions de fan à l’iconique Griff.

Les fans : @WIFFY_GRIFFY & @GRIFF_WIFFY

Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans la musique ?

D’être patient. De travailler avec autant de personnes que tu le souhaites. Et d’essayer des choses que les autres ne font pas.

Quelle est la chose dont tu es la plus fière dans ta carrière ?

Mes chansons ! Je trouve que les récompenses et ce genre de choses sont géniales, mais ce n’est jamais pour cela que l’on fait de la musique. Personnellement, je me sens toujours ultra-fière à chaque fois que je parviens à créer un morceau qui me paraît honnête, authentique et unique.

Qu’est-ce qui a inspiré le morceau “Shade of Yellow” ?

Cette chanson parle du fait de se sentir en sécurité. Il y a eu beaucoup de moments, quand j’étais plus jeune, où j’ai dû partir de chez moi parce que c’était un peu chaotique à la maison, et où j’ai dû me retrouver un chez-moi chez des amis. Le refrain décrit une chambre d’ado assez banale, dans laquelle il y a cette lampe. Et pour une raison quelconque, cette chambre me procure une sensation de sécurité, une sensation d’être chez moi. J’explique ensuite que je ne fais que revenir auprès de cette lumière, mais bien sûr, c’est une métaphore : cette lumière symbolise une personne, une personne qui m’apaise et me fait sentir chez moi, vers laquelle je ne cesse de revenir pour trouver refuge.

Top CRÉATION DE GRIFF
Corset ANDREA KRONTHALER POURVIVIENNE WESTWOOD
Jupe ASHLEY WILLIAMS
Chaussettes FALKE
Chaussures GANNI

Manteau BALENCIAGA
Top NODRESS
Collants GUCCI
Chaussures HOLLY KINGSLEY

Si tu ne faisais pas de musique, que ferais-tu ?

Aucune idée ! J’étais partie pour aller à l’université et faire des études en sciences économiques… Ce qui aurait été une idée complètement folle ! Mais j’aurais peut-être étudié le stylisme.

Peux-tu nous parler de ton processus d’écriture ?

Ça change assez souvent. En fait, je suis constamment en train de noter des pensées ou des émotions que je ressens, ce qui me permet d’avoir déjà des choses en tête quand je dois enregistrer. En général, je m’assois dans ma salle de musique, je commence à faire quelques accords, et je me laisse porter. En vérité, j’ai toujours mille idées qui me viennent, et je ne vais que très rarement au bout de ces idées !

Quel est le morceau le plus personnel que tu aies écrit jusqu’ici ?

Sans doute “Earl Grey Tea”.

C’est quoi l’histoire de ton iconique queue-de-cheval ?

J’ai toujours voulu avoir une coiffure à moi, que je puisse faire tous les jours. Principalement parce que j’ai souvent la flemme de me coiffer, je trouve ça assez cool de ne pas avoir à réfléchir tous les matins à la coupe que tu dois te faire. Et puis pour l’un de mes premiers shootings photo, j’ai trouvé la référence de cette queue-de-cheval sur Pinterest. On a fait notre propre version avec la coiffeuse Tomomi Roppongi, et visiblement, tout le monde a adhéré !

Journaliste : Naomi Clément
Photographe et Vidéaste : Alex de Mora 
Assistant Photographe : Filip Skiba 
Assistant Lumière : Barney Couch 
Styliste : Kamran Rajput
Assistant Styliste : Dominik Radomski & George Clark
 Set Designer : Nuha Mekki
 Assistant Set Designer : Eliska Murray
Maquilleuse : Michelle Dacillo
Coiffeur : Roger Cho Manucuriste : Christie Huseyin
Production : Producing Love

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Griff, l’étoile montante

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