Mon Compte Shop
Culture & Lifestyle

Queerbaiting et icônes pop : appropriation ou alliance ?

Un pas en avant pour les allié.e.s ou un pur privilège ? Pourquoi nos pop stars préférées font-elles du queerbaiting ?

Qu’est-ce que le queerbaiting ? L’Urban Dictionary le définit comme une technique de marketing utilisée pour “appâter” les spectateur.rice.s queers ou lorsque des hommes ou des femmes hétérosexuel.le.s prétendent être gays ou lesbiennes et flirtent avec des personnes du même sexe pour plaisanter. 

Cependant, les limites entre ce qui est problématique et un comportement d’allié.e deviennent vite floues. En tant que petit membre fier de la communauté LGBTQAI+, ce phénomène de pop culture me pousse à me demander pourquoi il s’agit d’un problème, pourquoi il continue d’être répété et, surtout, pourquoi ça passionne tant.

Les années 2000 et 2010 : le queerbaiting pour le male gaze et le buzz

L’exemple le plus frappant qui me vient à l’esprit est sans doute celui du duo russe T.A.T.U., qui a connu la gloire au début des années 2000 grâce à des tubes devenus cultes et à une histoire de liaison lesbienne interdite qui a rendu fou le monde entier. C’était extrêmement novateur, tant pour l’époque à laquelle elles sont apparues que pour le fait qu’elles venaient de Russie. En fin de compte, tout cela n’était qu’une fanfiction… Les deux chanteuses sont 100 % straight et mènent un style de vie très hétéronormatif dans la Russie conservatrice d’aujourd’hui. 

Les exemples de femmes hétérosexuelles – blanches pour la plupart – qui font du “queerbaiting” pour le regard des hommes sont en fait nombreux au début des années 2000. Il y a eu évidemment Madonna, qui a embrassé Christina et Britney sur la scène des VMAs, Lady Gaga, qui a embrassé dans une cabine téléphonique un danseur et une danseuse dans le clip de “LoveGame” tout en affirmant être ouvertement bisexuelle au début de sa carrière (bien qu’elle n’ait jamais eu de relation publique avec une femme)… La liste est longue. Etaler son affection pour les relations homosexuelles juste pour choquer était très à la mode dans la pop culture des premières décennies du siècle. 

Le point commun entre les années 2000 et 2010 ? Ces comportements étaient toujours tournés vers le regard masculin. Quelques années avant le tournant du millénaire, Madonna avait déjà révolutionné le concept de pop star féminine et il n’est pas surprenant de voir que sa formule – qui a été reproduite, réappropriée et reformulée jusqu’aujourd’hui – contenait de nombreux gimmicks sexuels afin de tenir le public en haleine et qu’il se dise “Je me demande ce qu’elle pourrait faire ensuite !”. Son approche en tant que femme blanche et hétérosexuelle consistait à briser un grand nombre de tabous de l’époque devant un large public. Cela incluait les relations interraciales, les partenaires multiples et bien sûr l’homosexualité. 

N’oublions pas que ça se passait dans les années 80, à une époque où la société était encore extrêmement patriarcale et conservatrice dans le monde entier. À l’époque, les questions LGBTQAI+ avaient commencé à gagner de l’espace dans le débat populaire, mais sous un jour largement négatif dans le sillage de l’épidémie de sida. Et quand on voyait des lesbiennes à la télé, c’était toujours provocant avec deux femmes très féminines – mais ça restait avant-gardiste comparé à deux hommes ou un personnage trans. 

Les années ont passé et la figure de la pop star, initiée principalement par Madonna, est devenue de plus en plus courante et on a vu ce type d’imagerie ou de “provocation” transcender la pop culture à grande échelle. Tout n’a pas été négatif, cependant. Lady Gaga et Madonna resteront peut-être éternellement dans les mémoires comme d’immenses alliées des LGBTQAI+ et comme des femmes qui ont participé activement à la discussion – parfois au péril de leur propre carrière et de leur liberté – et qui ont attiré l’attention des politiques et du grand public sur les questions queers. 

Les questions queers font (enfin) leur entrée dans le discours pop

Les 22 dernières années dans la pop culture ont été incroyablement transformatrices pour tous.tes celleux d’entre nous qui appartiennent à l’arc-en-ciel. On a appris à se voir représenté.e.s sous un jour de plus en plus positif, on a gagné un espace très important dans le discours public et, surtout, on a de plus en plus gagné la liberté de vivre notre vie comme on l’entend. On rompt enfin avec la notion de confirmation de l’hétéronormativité à laquelle les générations précédentes ont dû se plier comme compromis pour sortir du placard. 

Bien sûr, rien n’est parfait et comme le dit parfaitement Naomi Smalls : la vie n’est pas juste. Il y a encore beaucoup (vraiment beaucoup) de problèmes à régler et on est encore loin d’atteindre l’égalité totale, surtout en dehors de la bulle des cultures occidentales. Mais l’un des principaux points de discussion porte aujourd’hui sur le rôle du capitalisme dans tout ça. Le calcul est simple : plus on gagne en visibilité et en acceptation dans la société, plus on devient un groupe cible lucratif pour consommer n’importe quoi, y compris le contenu de nos icônes pop adorées. À l’ère des réseaux sociaux et du boom de la justice sociale, alors que les gens de ma génération étaient considérés comme des “social warriors” (LOL) par les médias, ce type de visibilité peut donner l’impression que nos voix sont entendues – alors que ce n’est pas nécessairement le cas. 

Ce que je constate aujourd’hui, c’est qu’être une personne homosexuelle ou un.e allié.e est une bonne publicité. Le discours principal des médias tend à accepter toutes les identités de genre ou l’absence d’identité de genre et les pop stars ont suivi le mouvement. Le problème commence lorsqu’il s’agit de différencier ce qui relève du discours marketing et ce qui relève du discours réel et qui sont les personnes derrière le discours réel – dont les voix sont entendues et qui sont les personnes qui bénéficient des profits (monétaires ou non) de ces discours. La frontière est de plus en plus floue. Ces dernières années, on a vu la nouvelle génération de méga-stars de la pop comme Billie Eilish, Harry Styles et Bad Bunny surfer sur la tendance et afficher une image empruntée aux personnes queers alors qu’en fin de compte… ils sont tous cis et hétérosexuels. 

 

View this post on Instagram

 

A post shared by @harrystyles

Mais au final, porter les codes queers comme une nouvelle tenue à la mode et y échapper en changeant de couleur de cheveux fait plus de mal que de bien à notre communauté.

Pourquoi est-ce un débat important ?

Oui, la conversation est devenue de plus en plus positive par rapport à il y a dix, quinze ou vingt ans. Ce qui était auparavant une performance pour le male gaze entre deux femmes s’est maintenant étendu à toute la communauté et ce n’est plus une question de pure sexualisation ou de provocation, il s’agit plus authentiquement de casser des stéréotypes. La question est de savoir pourquoi ces personnalités s’approprient publiquement ces “codes” de notre communauté alors que les communautés auxquelles ces codes appartiennent sont encore sous-représentées dans les médias et que leurs talents n’ont – de loin – pas la même visibilité, les mêmes opportunités et la même rémunération que ces stars. 

Ce “queerbaiting” plus “inclusif” qu’on voit aujourd’hui au lieu du bon vieux fétichisme centré sur le male gaze a ouvert les portes à des artistes masculins comme Harry Styles ou Bad Bunny pour qu’ils accèdent à une stratosphère universelle de célébrité tout en restant actuels, provocants et sans perdre trop de leur attrait masculin pour un public hétérosexuel. Et c’est une excellente chose. Cela signifie que les gens sont aujourd’hui plus que jamais prêts à contourner les codes queers et à voir un artiste pour ce qu’il est. 

Le problème est qu’il existe de nombreux autres artistes LGBTQAI+ qui ne connaîtront jamais le même niveau de reconnaissance ou de célébrité car ils ne profitent pas de l’attrait hétéronormatif, alors que ce qu’ils sont, leur façon de s’exprimer et leur art sont “tendance”. Il en va de même pour les artistes féminines : une artiste de la stature de Billie Eilish a été autorisée à jouer avec les codes queers sans jamais s’étiqueter comme faisant partie de la communauté et faire face au retour de bâton que d’autres artistes queers ont subi. Mais au final, porter les codes queers comme une nouvelle tenue à la mode et y échapper en changeant de couleur de cheveux fait plus de mal que de bien à notre communauté.

 

View this post on Instagram

 

A post shared by BILLIE EILISH (@billieeilish)

Alors maintenant, on arrête de les soutenir ?

C’est la question à un million de dollars : ces artistes doivent-ils être canceled ou a-t-on encore le droit de les stan ? Ma réponse personnelle est : je suis toujours fan. Parmi les habitué.e.s du queerbaiting, j’ai un gros faible pour Bad Bunny et malgré tout, je ne peux vraiment pas envisager mon été sans écouter “Después de la Playa” en boucle. Ça m’embêterait de ne voir que le négatif chez ces artistes incroyables qui ont sans aucun doute fait beaucoup pour notre communauté. 

Il ne fait aucun doute que ces questions doivent être soulevées et discutées, et j’aimerais les entendre davantage reconnaître, en toute honnêteté, les effets négatifs que ces comportements peuvent avoir sur d’autres artistes et sur leur public. Personnellement, je crois qu’une façon saine de stan est de remettre constamment en question ses idoles et avec les réseaux sociaux, on peut envoyer immédiatement notre feedback sur des questions comme celle-ci. Le débat et la communication sont toujours sains dans toute relation, même s’il s’agit d’une relation platonique avec une personne que tu n’as jamais rencontrée. 

Mais le plus important est de soutenir les talents LGBTQAI+ avec la même intensité qu’on soutient ces grandes stars. L’art queer existe, il est partout et disponible pour tous les goûts. 

voir l'article
voir l'article
Culture & Lifestyle

Queerbaiting et icônes pop : appropriation ou alliance ?

Se Connecter

Mot de pass oublié ?

Nouveau mot de passe

S'Inscrire* Champs obligatoir

FermerFermer