Quand la révolte s’exprime en musique
À l’heure d’une manifestation historique contre le passage en force de la réforme des retraites, NYLON te parle des sons qui portent ce soulèvement national, et de l’importance de la musique dans les luttes.
À l’heure d’une manifestation historique contre le passage en force de la réforme des retraites, NYLON te parle des sons qui portent ce soulèvement national, et de l’importance de la musique dans les luttes.
En France, la contestation sociale s’est toujours jouée en musique. Des fanfares aux soundsystems, de La Marseillaise à la Fête de l’Huma, de Renaud à Damien Saez, la musique a toujours été un moyen de rassembler, de galvaniser et d’exprimer des idées. Une relation étroite entre musicien.ne.s et militant.e.s qui s’affiche au grand jour à l’heure de TikTok et des enceintes portables. De quoi inspirer les manifestant.e.s qui trouvent dans la musique la force de continuer le combat. Alors, quels sont ces sons qui agitent les manifestations de 2023 ?
🇫🇷 FLASH – Ambiance festive sur la Place de la République à Paris, où plusieurs milliers de personnes sont désormais rassemblées contre la réforme des retraites et le 49.3. (via @ybouziar) #reformedesretraites #greve23mars #grevegenerale pic.twitter.com/eJaWQzHBMn
— Mediavenir (@Mediavenir) March 21, 2023
Loin des tubes à slogans de Zebda, de Trust ou des Béruriers Noirs, le tube eurodance de Gala s’est imposé comme l’un des hymnes anti-Macron lors des blocus étudiants. Interrogée par Trax Magazine à propos de ce revival militant, Gala déclarait en 2021 : “Voir cette chanson devenir la voix de la jeunesse et de la révolution, c’est une immense satisfaction. Ces jeunes vibrent sur la même fréquence que moi lorsque je me bats contre les putains de labels ou que je fais valoir mes droits de femme. L’état d’esprit est le même. […] ‘Freed From Desire’ parle d’une vie empreinte de sens par opposition à une vie matérialiste. C’est très actuel.” Ce mardi, le morceau résonnait encore sur une place de la République remplie et festive mais pacifiste, quelques minutes avant qu’une charge de police ne la transforme en champ de bataille.
Entre la techno et la révolution, c’est une grande histoire d’amour. Dès son émergence dans les années 90, cette musique électronique répétitive occulte s’est toujours accompagnée de valeurs politiques fortes : antiracisme, défense du climat, des droits LGBTQI+, lutte contre les violences policières et l’inégalité du partage des richesses… En France, le Teknival – qui fêtera ses 30 ans cette année – réaffirme cet héritage chaque année en conviant des milliers de personnes à ce rassemblement festif libre et militant. Et depuis vingt-cinq ans, quand on veut défiler dans Paris sur du boum-boum, c’est en septembre que ça se passe, à l’occasion de la Techno Parade. Aujourd’hui, la techno rythme de plus en plus souvent le pas des cortèges, un parfait tambour de guerre pour scander des slogans.
Le 14 mars dernier, la militante Mathilde Caillard faisait le tour de Twitter en publiant une vidéo d’elle livrant ses pas de danse insurgés sur un beat techno en tête du cortège Alternatiba75 : “Pas de retraités sur une planète brûlée. Retraites, climat : même combat !” Un move qui a suscité l’incompréhension de celleux qui sous-estiment encore le pouvoir de la musique et de la danse au cœur des luttes. Ni une ni deux, la voilà qui répond dans une tribune intitulée “La danse a toujours fait partie intégrante des mouvements sociaux” (https://vert.eco/articles/la-danse-a-toujours-fait-partie-integrante-des-mouvements-sociaux) dans le magazine Vert : “Que nous restera-t-il quand ils nous auront tout pris, jusqu’à la joie, la légèreté, la beauté, la dernière trace de vie ? Parce que la lutte, c’est aussi de la joie. C’est arracher au système qui nous oppresse, à la laideur du monde, les fragments des lendemains heureux. Et des présents aussi. La joie, c’est l’entrée en résistance. C’est refuser la place à l’ombre dans laquelle veut nous cantonner un système qui nous oppresse. C’est l’élan vital de la dignité.” Preach !
ceux qui étaient au cortège @alternatiba75 à la manif parisienne de mardi vous savez… les autres venez demain à notre cortège svpppp zéro regret… pic.twitter.com/dt1oS7xy6y
— mc danse pour le climat (@math_caill) March 14, 2023
@.louisboyard LREM n’est pas majoritaire dans le pays ! #retraite #directan #greve ♬ Tokyo Phonk Drift – Yan 394
De tous les partis qui siègent dans l’hémicycle, LFI est sans doute celui qui a le plus misé sur le pouvoir contagieux de la musique. Jean-Luc Mélenchon était déjà dans le coup lors de la dernière campagne présidentielle, accompagnant chacune de ses vidéos sur les réseaux de type beats trap, de mélodies à la 113 ou de techno qui tabasse. Des sonorités qui, en plus d’attirer l’attention d’une nouvelle génération de votants, tendaient la main à celles et ceux qui semblaient désintéressé.e.s de la politique. Un pari salué par plusieurs artistes qui lui ont dédié des morceaux en retour, comme l’hilarant “Jean-Luc Mélenchon” de Fadoo.
Aujourd’hui, les député.e.s LFI comme Alma Dufour ou Louis Boyard lui emboîtent le pas en accompagnant leurs prises de parole et leurs images de bangers rap, de tubes pop, de pépites électro ou de chants d’orchestre. Un réflexe qui a permis de réunir des membres de la nouvelle génération autour du parti, notamment sur TikTok où ses publications sont particulièrement virales. Résultat : les manifs tournent aujourd’hui à la playlist LFI dans laquelle se croisent SCH, Naps, mais aussi “Diamonds” de Rihanna ou le “Boléro” de Ravel.
Décrite comme une “guérilla électronique” par Libé, la musique des Vulves Assassines s’est elle aussi imposée comme un must des playlists de manifs. En 2019, elles posaient les bases de leur musique électro-anarchiste avec leur premier album Godzilla 3000, suivi cette année du très bon Das Kapital. On y trouve des morceaux abrasifs et brûlants d’actualité comme “Le Préfet”, “Sauveur du monde” ou “La Retraite”, sur lequel les Vulves reprennent le slogan emblématique de cette mobilisation historique.
Interrogées par La Face B sur le succès de leurs titres en manif, elles déclaraient en décembre dernier : “On savait qu’avec la réélection de Macron, les syndicats allaient appeler à des grèves professionnelles, et on avait envie de participer à notre mesure. Avoir des chansons qui puissent passer dans des camions de la CGT comme en septembre, c’est vrai que c’est cool. Si on peut être utiles et participer au mouvement, amener un peu de festif dans ces luttes, c’est cool.”
Alors que la mobilisation de ce jeudi 23 mars sera sans doute l’une des plus importantes de ces dernières années, la répression s’annonce, elle aussi, très forte. Prends tes précautions si tu envisages de rejoindre les cortèges : ne viens pas seul.e, amène ta trousse de secours et reste attentif aux personnes qui se trouvent autour de toi. Pour le reste : n’oublie pas, comme Mathilde Caillard, que “la joie, c’est l’entrée en résistance”.