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Pourquoi l’horreur fascine autant la mode et les milieux créatifs ?

Halloween oblige, on a décidé de s’attarder sur l’influence de l’horreur et du gore au sein des sphères créatives. Cet univers subversif et ultra-référencé envahit Instagram – et bien au-delà du 31 octobre. Comment s’immisce-t-il dans l’art en général et pourquoi une telle fascination pour une “tendance” de prime abord repoussante ? On s'est penché sur cette quête d’adrénaline tout en paradoxe.

Le sang, ou en tout cas son évocation, serait-il devenu un outil marketing comme les autres ? On peut se poser la question en regardant Kylie Jenner tapant la pose, nue et sanguinolente façon Carrie au bal du diable, pour sa marque Kylie Cosmetics. Ce choc visuel entre deux univers distincts, gore d’un côté et lisse de l’autre, crée quelque chose de nouveau, estime Taous Merakchi, autrice des livres Witch, please (Éditions Pygmalion) ou encore 150 anecdotes macabres pour mettre l’ambiance en soirée (Éditions First). “Voir un tueur masqué couvert de sang, ça n’a rien de révolutionnaire en soi. Voir une mannequin bien coiffée, bien éclairée, bien retouchée et lissée non plus. Mais si on les relie et qu’on les fait se rencontrer à mi-chemin pour créer une vision esthétique qui colle aux critères occidentaux modernes, tout en lui appliquant un vernis gore et dérangeant, c’est tout de suite plus percutant. C’est mémorable, ça dérange, ça excite et ça fascine, donc ça crée plus d’engouement.”

Hasard ou non, chez Balenciaga, le fond sur lequel posaient les modèles pour la collection printemps-été 2022 était de couleur rouge sang. Les silhouettes, essentiellement composées de vêtements noirs, accentuaient cette ambiance dramatique, présageant, peut-être, une certaine idée de l’enfer. “L’enfer de la mode” n’est plus une simple expression et le diable n’a jamais été aussi cool qu’aujourd’hui. Fantaisiste et sexy dans le clip de “MONTERO (Call Me by Your Name)” de Lil Nas X, il se fait espiègle dans la collection Heaven by Marc Jacobs, avec cette queue qui dépasse derrière la modèle Lily McMenamy. Ici, les codes horrifiques sont détournés, et ce qui est censé être repoussant et effrayant se transforme en quelque chose de sexy ou mignon. Evidemment, on s’abstient de dégoûter les clients avec des références trop violentes. En 2019, pour sa collection automne-hiver 2019, la très chic maison Prada s’était ainsi inspirée de Frankenstein, figure incontournable du secteur de l’horreur.

 

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Des personnages marquants…

La créature de la romancière Mary Shelley, imaginée en 1818, a inspiré les premiers films fantastiques, qui remontent à la fin du XIXe siècle. Comme l’explique l’ouvrage L’Art des films d’horreur (Éditions Gründ) de Stephen Jones, chaque décennie a sa particularité. Ainsi, les années 80 ont voué un culte tout particulier “aux psychopathes armés de longs couteaux poursuivant des ados sans parents et détraqués sexuellement” tandis que les années 2000 ont vu “la montée en puissance du film d’horreur déguisé en documentaire, souvent sous la forme de found footage”, façon Le Projet Blair Witch. Des poupées possédées par des esprits malfaisants aux zombies, ce cinéma fascine par son caractère subversif et l’adrénaline qu’il procure. Insoutenable pour certains, cathartique pour d’autres, il permet de vivre des sensations fortes et de se sentir brièvement en danger sur une période donnée, choisie, et limitée dans le temps et l’intensité, selon Taous Merakchi.

“L’horreur traite aussi de tous les thèmes les plus tabous, des pulsions interdites, de tout ce qu’on ne doit pas faire, pas voir, pas vivre, et ça nous permet d’ouvrir une fenêtre sur un autre possible, sur des comportements extrêmes et des pulsions auxquelles on pense mais sur lesquelles on n’agit pas, explique-t-elle. La sensation de peur est grisante quand on l’aime, elle accélère le pouls, elle fait se sentir vivant, elle énergise, et certains la trouvent même aphrodisiaque dans le bon contexte – on connaît tous le cliché du premier date devant un film d’horreur pour encourager la proximité.”

Et qui de mieux pour incarner l’horreur absolue que des protagonistes immédiatement identifiables, à la manière de Ghostface du film Scream (1996) ou de Chucky dans Jeu d’enfant (1988), dont les silhouettes ont marqué les esprits d’une manière indélébile. Ces personnages, on les retrouve dans le travail du photographe Indiana Piorek (@Indiana420bitch sur Instagram), fasciné par l’univers des films d’horreur. Ses modèles, qui posent souvent en petite tenue, reprennent les codes des “bimbos” des années 2000, et sont parfois accompagnés des grandes figures de la pop culture horrifique. Un mélange sexy et sombre qui fascine par son imagerie populaire, trash et non conventionnelle. “Les grandes figures de l’horreur sont des figures de mode”, poursuit Taous Merakchi. “Elles ont une esthétique reconnaissable entre mille, même quand on n’a pas lu ou vu l’œuvre dont elles sont tirées. Et il y a un tel travail qui est fait dans le domaine pour rendre les monstres mémorables et terrifiants que leur apparence est réfléchie avec la même intensité que la pièce maîtresse d’une nouvelle collection. Freddy Krueger ne serait pas Freddy Krueger sans son pull rayé, son chapeau et son gant aux lames de rasoir. Chucky ne serait pas aussi reconnaissable sans sa salopette et ses cheveux roux. Pinhead n’aurait pas le même impact sans ses clous dans le visage et sa tenue en latex.”

…qui inspirent la mode et la musique

Ce sont aussi des visages de monstres qui tapissent une jupe de la créatrice anglaise Ashley Williams issue de la collection automne-hiver 2021. Arborer fièrement ce genre de pièce serait-il le comble du mauvais goût ? Peut-être bien, puisque la créatrice n’a jamais caché son affection pour la thématique. Il faut avouer que ces codes effrayants et “laids” (à l’image des monstres) sont aux antipodes des codes classistes de la mode, ou l’on préférera des pièces simples et, au mieux, remplies de motifs discrets. Introduire ces images, qui sont par essence politiquement incorrectes, serait une forme de transgression de la bienséance, à l’image des films en eux-mêmes, qui, par leur intrigue décalée, sortent des schémas classiques. Ainsi, la créatrice turco-britannique Dilara Findikoglu injecte souvent des références mystiques à ses silhouettes dramatiques. Lors de son défilé printemps-été 2018, elle présentait différents personnages mythiques revisités à sa sauce, comme le diable. Depuis, ce goût pour les sciences occultes ne l’a jamais quittée et elle transforme souvent ses modèles en êtres possédés – mais toujours bien habillés.

Côté musique, certaines artistes redoublent d’inventivité pour créer des personnages fantastiques, à la manière d’Isamaya Ffrench (@isamayaffrench). Mi-octobre, la célèbre make-up artiste et modèle partageait l’un de ses derniers projets en collaboration avec le groupe anglais The Horrors. Pour la pochette du titre “Against the Blade”, elle incarne un personnage méconnaissable au teint blafard, aux yeux injectés de noir et à la bouche remplie de piques. Trash aussi, la rappeuse américaine BigKlit, autoproclamée “The devils only begotten daughter”, qui partage ses visuels dark et provocateurs sur Insta et dans ses clips. Dans une version plus soft, Megan Thee Stallion incarne le diable sur la pochette de son nouveau projet Something for Thee Hotties, tandis que l’artiste suédoise Cobrah porte des ongles couteaux façon Freddy Krueger qui contrastent avec son blond elfique et ses talons XXL dans le clip de “Good Puss”.

 

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Instagram a aussi facilité la démocratisation de l’horreur en transformant ce genre en un nouvel esthétisme léché. Ainsi, plusieurs comptes regroupent des visuels “dérangeants” afin de satisfaire des internautes en quête de sensations fortes. Âmes sensibles s’abstenir ! L’un des plus populaires, @lesesclavesdelucifer, suivi par plus de 60 000 personnes, se plaît à regrouper des visuels gores, érotiques ou mignons pour un résultat aussi bizarre qu’attirant. Un mélange étonnant d’inspirations qu’utilise aussi le compte @video_macabro, qui compile des mini-vidéos inspirées de films d’horreur, de The Ring (2002) à Halloween II (1981), qui se fondent à d’autres œuvres fantastiques telles que L’Histoire sans fin (1984) ou Labyrinthe (1986).

D’autres comptes comme Fecal Matter (@matieresfecales) et Salvia (@001011____) partagent des mises en scène terrifiantes, dont les protagonistes se transforment en créatures surnaturelles. Des chocs visuels qui rappellent l’image fascinante de Carrie couverte de sang à la fin du bal. “Quand on pense à cette scène, on visualise sa robe après l’incident du seau de sang de porc”, reprend l’écrivaine Taous Merakchi. “Cette image a été reproduite des dizaines et des dizaines de fois tant elle est marquante. Une jeune femme virginale, jamais touchée par le péché, qui voit son corps changer et qui devient un monstre couvert de sang. Cette image dit beaucoup de choses en peu d’éléments, et on peut tous y retrouver quelque chose de familier, soit parce qu’on l’a ressenti, soit parce qu’on l’a vu chez quelqu’un d’autre. Esthétiquement, l’horreur est un genre extrêmement riche et marqué, donc je ne suis pas étonnée qu’il inspire autant de gens.”

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