Eyebrows invisibles : quel message ?
“Dans l’histoire, on a souvent cherché à s’affranchir de ce poil qui était très mobile, très volubile et qui pouvait justement trahir des émotions qu’il valait mieux dissimuler”, reprend Julien Rault, qui rappelle que l’épilation partielle ou complète des sourcils n’est pas une pratique nouvelle. Bien avant Marlene Dietrich dans les 20’s, Twiggy dans les 60’s, Pamela Anderson dans les 90’s ou Bella Hadid aujourd’hui : l’obsession du contrôle des sourcils remonterait à bien des siècles avant notre ère.
“Hérodote rapporte que les Égyptiens se rasaient les sourcils dans l’Antiquité quand leur chat mourait, en signe de deuil et de tristesse. Jean de Léry témoigne qu’au Brésil au XVIe siècle, des peuples s’épilaient intégralement, notamment les sourcils. Durant l’époque de Heian au Japon (794-1185), le sourcil a été l’élément le plus important du maquillage et on les rasait intégralement pour les redessiner plus haut sur le front afin de figer l’expression. Après, il y a aussi eu la mode de redessiner les sourcils en forme d’ailes de papillon.”
Sans sourcils, l’expression est complètement transformée. On peut le constater chez notre ex-Premier ministre Édouard Philippe : sa maladie, l’alopécie, a blanchi ses poils et fait tomber ses sourcils, ce qui a modifié son apparence et son regard. Mais pourquoi retirer volontairement cette pilosité quitte à avoir ce qu’on appelle parfois dans le jargon de la mode une “alien face” ?
“Il y a cette idée de s’affranchir d’une forme d’humanité”, suggère Julien Rault. “Je pense qu’il y a quelque chose de l’ordre de reprendre le contrôle sur son corps, d’effacer quelque chose de l’expression, d’enlever le relief, de brouiller la perception. En fait, ça donne une forme d’inertie, un visage sans sourcils, un côté un peu inerte, comme des androïdes. C’est Roland Barthes qui disait ça, ‘le visage comme sorti de l’eau, lavé de sens’ dans L’Empire des signes. Cette idée d’effacement, c’est vraiment une façon de ne plus offrir de prise à l’autre.”
À l’ère du contrôle de soi, de la démocratisation de la chirurgie esthétique et de la montée des féminismes, l’épilation ou la décoloration du sourcil serait donc une nouvelle prise de contrôle du corps et des émotions – façon “femme-robot” – en défiance du patriarcat ? Réfléchis bien la prochaine fois que tu attrapes ta pince à épiler : c’est un geste plus politique que tu croies.
Fermer