L’oisiveté des campagnes de pub, reflet de la vie confinée ?
Ce goût pour le lit se retrouve aussi dans les campagnes de publicité mode de la saison. Chez Louis Vuitton, pour célébrer le printemps-été et le sac iconique de la marque, Capucines, on retrouve Léa Seydoux lascivement enroulée, nue, dans un drap de lit face à la caméra du photographe Steven Meisel. Sans la présence du sac à main à ses côtés, on pourrait légitimement se croire dans un remake de la fameuse séance photo de Marilyn Monroe immortalisée par Douglas Kirkland en 1961. Une séance qui, à l’époque, avait beaucoup contribué à étendre l’aura de cette actrice célèbre pour son image glamour. Aujourd’hui, la comédienne française a le cheveu blond peroxydé et l’attitude, bouche entrouverte, regard mi-clos, de la star américaine. Mais ce qui marque dans cette image, c’est la pose allongée.
Des mannequins affalées, on en retrouve aussi chez Dior. La collection printemps-été proposée par la directrice artistique Maria Grazia Chiuri se porte, si ce n’est alanguie, tout du moins assise dans un décor en clair-obscur digne d’un tableau de maître flamand, avec des grappes de fruits éparpillées ici et là comme pour souligner le côté agapes de l’affaire. La gravité a aussi eu raison de Charlotte Casiraghi. La princesse de Monaco, nouvelle muse de Chanel, pose à moitié allongée sur un lit donnant sur un balcon avec vue sur la mer. La liste s’allonge encore : sur certaines images, chez Fendi et Gucci aussi, la vie se vit couchée. Et quand Omega lance son nouveau modèle de montre Trésor, elle fait poser son égérie Kaia Gerber à plat ventre sur un canapé en velours. “Il y a ici, convoquée dans ces campagnes de publicité, la référence à tout un mode de vie autour de l’oisiveté et de la rêverie. En temps normal, hors pandémie, cela induirait une conscience de classe, quelque chose qui ne serait évidemment pas accessible à tout le monde, et qu’on pourrait difficilement assumer. Sauf qu’en ce moment, ça semble être le bien commun du monde d’être oisif et passif”, analyse l’anthropologue Saveria Mendella, spécialiste du langage de la mode.
“Netflix and chill”, un safe space face à la pandémie
L’aspiration à vivre pleinement chez soi, à réoccuper le terrain de son intérieur, devient une nouvelle normalité. “Lorsque, en 2015, elle sort son livre Chez Soi, qui défend l’idéologie du retour à la vie à la maison, Mona Chollet était presque provoc. Aujourd’hui, son plaidoyer est devenu commun dans une époque où l’aventure intérieure fait office d’horizon”, analyse Vincent Cocquebert, auteur de La Civilisation du cocon chez Arkhê.
L’imagerie des différentes campagnes de pub des maisons de mode semble lui donner raison. Là où, il y a quelques années, on voyait des mannequins conquérantes, des #army de modèles, comme celles de la maison Balmain, prêtes à bouffer le monde sur des motos ou des chevaux, en 2021, le décor a changé. On est dans une fin de conquête, et on rend les armes sur son lit ou sur son canapé. On est dans son safe space, un lieu qui nous préserve et nous protège des vicissitudes du monde pandémique moderne. “C’est ainsi qu’on voit surgir cette espèce de mantra contemporain ‘Netflix and chill’ qui assoit notre posture de refus du monde extérieur. De là en découle le selfcare, la notion de protection de soi qui, à l’origine, n’était qu’idéologique et, qui, via ces campagnes de pub, devient aussi esthétique”, souligne Vincent Cocquebert.