Le mouvement nappy : la libération capillaire propulsée par les réseaux sociaux
Le mouvement nappy fait écho aux premiers combats menés dans les années 60 et 70 par les militant.e.s afro-américain.e.s ayant popularisé la coupe afro, à l’image d’Angela Davis – pour ne citer qu’elle. “Il existe dans ces manipulations des cheveux une dimension anticoloniale et antiraciste de retournement du stigmate : dire ‘Black is beautiful’ implique la revalorisation non seulement d’une couleur de peau, mais de toutes les caractéristiques physiques censées caractériser le Noir, dont les cheveux”, analyse l’anthropologue Ary Gordien dans son essai La coupe afro : une simple histoire de cheveux ?. Ce mouvement se diffuse petit à petit dans le monde entier, grâce à l’appui de célébrités comme Solange Knowles ou Lupita Nyong’o et aux réseaux sociaux, permettant une véritable libération sociale.
“Comme toutes les filles qui ont mon type de cheveux, ça n’a pas toujours été facile, mais j’ai eu la chance de traiter mes cheveux assez tôt”, nous raconte Sirine Liman (@namsirine), une influenceuse de 17 ans. “J’ai commencé à accepter mes cheveux au début du collège alors qu’avant, j’étais passée par des défrisages, lissages… À un moment, j’ai réalisé que ce n’était pas ma nature de cheveux. J’ai donc commencé à me renseigner et suivre le mouvement nappy grâce aux youtubeuses. La plupart des filles qui ont mon type de cheveux les ont d’ailleurs acceptés grâce à ce mouvement !”
Même constat pour Kayliah Balou, très inspirée par les influenceuses militant pour la libération capillaire. Aujourd’hui, les deux filles prennent le relais et partagent régulièrement leurs routines et produits favoris à leurs dizaines de milliers d’abonnés. Ces revendications dépassent aussi les écrans grâce à des espaces militants comme Sciences Curls, un safe space afroféministe où les étudiant.e.s de Sciences Po peuvent “aborder en toute sûreté les problèmes liés aux cheveux texturés”, nous résume une de ses membres, Lucrèce Zamba, 21 ans. “On part du prisme du cheveu pour aborder un nombre de problématiques assez large. […] C’était inspirant pour moi de voir que d’autres personnes à Sciences Po s’intéressaient à ça.” Ateliers soins, conférences, podcasts, débats… L’association, parfois incomprise à ses débuts, a finalement trouvé sa place dans un milieu où ces voix sont rarement écoutées.
Évolution des normes de beauté : un espoir réaliste ?
“Avec le confinement et sans les coiffeurs, beaucoup de gens ont dû s’occuper de leurs cheveux eux-mêmes, analyse Lucrèce Zamba, Ça a dû changer la relation qu’avaient certaines personnes avec leurs cheveux. Moi, par exemple, j’ai commencé à me tresser toute seule, chose que je ne faisais pas auparavant. […] Que ce soit Instagram ou YouTube, je me suis tournée vers des personnes pour apprendre de nouvelles techniques car j’avais le temps de faire des recherches.”
De YouTube à TikTok, les tutos pour cheveux texturés ou bouclés se sont multipliés lors de l’année 2020. Plusieurs marques de haircare se sont retrouvées sur le devant de la scène comme Shea Moisture, adoubée par TikTok, ou Les Secrets de Loly, qui cumule 117 000 abonnés sur Instagram et a multiplié son chiffre d’affaires par cinq en seulement un an. Ces produits sont pourtant difficiles d’accès pour les Afro-Descendantes, qui doivent souvent se rendre dans des magasins spécialisés.
“J’espère qu’à l’avenir, il y aura plus d’accès aux soins pour les cheveux afros car ça concerne tout de même 20 % des personnes en France !”, déplore Kayliah Balou. “Lors d’un voyage de presse pour une marque avec des professionnels, j’ai remarqué ma différence. Au moment de passer à la coiffure, la production n’avait pas de mood board pour moi. J’ai dû amener mes propres produits pour me coiffer et ma perruque pour éviter qu’on me lisse les cheveux. Aujourd’hui, dans la mode, les mannequins noires sont obligées de se raser la tête car on ne sait pas s’occuper de leurs cheveux. Il y a encore des progrès à faire.”
Au sein même du mouvement nappy, les personnes ayant “des boucles bien définies” sont davantage mises en valeur sur les réseaux sociaux car leur type de cheveu est considéré comme “en bonne santé”, au détriment de celles ayant le cheveu crépu, nous explique Lucrèce Zamba. Pour Sirine Liman, il est essentiel que le mouvement soit tolérant envers tous.tes : “Il y a notamment un tabou autour du fait de porter des mèches, des perruques etc.. Certains ont tendance à relier ça avec l’acceptation de soi. Je pense que c’est totalement faux. Certes, il y a des filles qui ont encore du mal à accepter leurs cheveux et y ont recours ; mais parfois, c’est juste un moyen de changer de tête”, martèle l’adolescente, aussi à l’aise avec ses cheveux naturels qu’avec des artifices capillaires.
Un avis que partage Lise de Cheveux Afro Culture : “Le concept du nappy n’était qu’un passage dans l’histoire de nos cheveux. C’est une construction sociale qu’on a utilisé comme un tremplin pour la revalorisation du cheveu afro. Ce que je trouve important dans le retour au naturel, ce n’est pas de dire que toutes les personnes noires afro-descendantes doivent avoir des cheveux naturels. Le but, c’est de faire comprendre aux femmes qu’elles sont libres et ont le choix de porter un cheveu afro, lisse, texturé ou bien une perruque. Le message à faire passer, c’est que tous nos cheveux sont valides et normaux.”