Signée chez Island Records puis Mad Decent, Poppy publie deux albums et trois EP entre 2015 et 2019. Sur Poppy.Computer, son premier LP, elle développe son personnage et assoit un style original : pop faussement naïve, truffée de références politiques et de métaphores sur l’impact des technologies sur notre société. Brouillant sans cesse la frontière entre réel et virtuel, Poppy incarne la quintessence de la pop star sur papier glacé, pantin articulé au service d’un capitalisme pro-digital qui, voué à l’expansion totale, semble annoncer la mort de l’humanité. Un thème central de ses œuvres pré-2020, explicité dans les paroles de son titre “Time Is Up”.
Cultivant cet alter ego de jeune première robotique mi-ange mi-démon, Poppy sème le trouble à mesure que sa légende se construit sur le web. Sur Reddit, YouTube, Instagram, des milliers d’internautes tentent de décrypter le phénomène, avec perspicacité ou non, oubliant parfois que Poppy est un personnage, une performance imaginée et réalisée avec brio par la talentueuse Moriah Pereira. Ancrée dans son rôle lors de toutes ses apparitions publiques, Poppy ne laisse que très rarement entrevoir l’artiste derrière le masque. Suscitant la réflexion autour du mythe de la pop star et du contrôle qu’exerce l’industrie sur les artistes, personne ne se doutait que Moriah Pereira pouvait être victime des maux précis que dénonçait Poppy.
En 2019, Titanic Sinclair – le manager toxique et avare de ses débuts – se retrouve au cœur d’un scandale. Mars Argo, ancienne compagne et collaboratrice, l’accuse de plagiat et de violence domestique. D’abord silencieuse, Poppy annonce quelques mois plus tard avoir remercié son manager, puis révèle avoir été elle-même victime des “stratégies de manipulation [que Titanic Sinclair] répète depuis des années”. Dans un communiqué, elle développe : “Je n’ai jamais été complice des actions de cet homme. J’ai plutôt souffert de maux similaires à ceux dénoncés par [Mars Argo]. Cet homme a plusieurs fois utilisé le suicide pour me manipuler. Ce sont des tactiques qu’il utilise depuis des années. Il vit dans l’illusion d’être un cadeau pour cette planète, s’est cousu une histoire pour persuader le public qu’il était un marionnettiste, ce qui est loin d’être la vérité. Je ne demande pas de sympathie, je ne suis pas une faible victime, mais il me fallait mettre les choses au clair. Je n’ai jamais été aussi heureuse.”
En 2020, libérée de l’emprise de celui- dont-elle-ne-prononce-plus-le-nom, Poppy dévoile un nouveau visage avec la sortie de son troisième album, I Disagree. Troquant le blond platine pour le noir ébène, et se drapant d’un rock/metal transgressif, Poppy et Moriah – qui semblent désormais former une même entité – laissent entendre une rage contenue pendant de trop longues années. Un cri du cœur salvateur et couronné de succès, puisque Poppy, qui assure que “rien ne peut plus l’atteindre aujourd’hui”, était la première artiste féminine sélectionnée dans la catégorie metal aux Grammy Awards cette année.
Aujourd’hui signée chez Sumerian Records – label légendaire du metal – Poppy dévoile EAT (NXT Soundtrack), un EP très attendu qui puise son inspiration dans le punk rock 90’s et dans ce que le metal a su faire de plus pop. Réincarnée, libérée des chaînes de ses débuts, Poppy se confie à NYLON avec lucidité sur les raisons de sa métamorphose. Au téléphone, la jeune femme de 26 ans apparaît en artiste libre, indépendante et révoltée, déterminée à n’écouter qu’elle-même et à faire rugir sa voix derrière batteries frénétiques et guitares saturées.