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Philippine Leroy-Beaulieu : “J’ai une énergie infantile !”

Élevée entre la Cinecittà et l’avenue Montaigne, l’actrice Philippine Leroy-Beaulieu poursuit une carrière étoilée dans le cinéma et aujourd’hui illumine Emily in Paris de son rôle de Parisienne dénuée de toute langue de bois.

Photographe : Manuel Obadia-Wills

Styliste : Nicolas Dureau


Ensemble tailleur JEAN PAUL GAULTIER ARCHIVE
Collier et bague “Vendôme Liseré”, bagues “Liseré”,
bague “Serpent Bohème”, bague “Quatre Radiant
Edition”, le tout BOUCHERON

C’est au premier étage du Café de Flore que Philippine Leroy-Beaulieu me donne rendez-vous pour cette interview. Tout au long de notre conversation, les touristes américains en goguette qui l’aperçoivent attablée frétillent follement après avoir identifié l’actrice qui incarne la Parisienne par excellence – Sylvie de la série Emily in Paris de Darren Star – dans ce qui leur semble sûrement être son habitat le plus naturel. Une conversation durant laquelle nous évoquons ses débuts, son héritage familial, la transmission à la génération de sa fille et l’usage de clichés comme boîte à outils et puissant révélateur social.

Philippine Leroy-Beaulieu pour NYLON France

Robe GMBH / Bottes ABRA / Boucles d’oreilles “Plume de Paon” et bague “Liseré” BOUCHERON / Lunettes de soleil BURBERRY

Peux-tu me parler de ton enfance baignée dans le cinéma ?

Le cinéma est arrivé par l’expérience de mon père, le tout enveloppé d’une ambiance de Rome des années 70. La maison était pleine d’artistes, de musiciens, d’acteurs, de réalisateurs, c’était vraiment une époque dorée du cinéma italien avec la Cinecittà. Quand on baigne dans une atmosphère de gens qui sont vraiment des artistes dans leur manière de vivre, qui sont très libres, on ne se voit pas travailler dans une banque après ça – on préfère danser avec eux. Quand j’étais petite, je voulais d’abord être danseuse, je faisais de la danse classique et je regardais les danseuses étoiles en rêvant. Puis, à 13 ans, j’ai vu Cabaret et le rôle de Liza Minnelli m’a totalement bouleversée, fascinée et j’ai compris qu’on pouvait à la fois danser et jouer un rôle. Et puis, petit à petit, j’ai formulé que je voulais être actrice ; ma mère était circonspecte – parce qu’elle avait vécu avec un acteur et qu’elle avait vu toutes les complications de ce métier –, mais j’ai toujours eu un goût pour les montagnes russes. Le succès de mon père – qui était une grande vedette en Italie – me lançait un défi. J’ai toujours essayé d’être à la hauteur de ce père plus grand que nature.

Tu as également grandi proche du milieu de la mode. Qu’est-ce que cela t’a apporté ?

Ma mère a travaillé pendant vingt ans chez Christian Dior. J’étais jeune adolescente quand j’ai commencé à côtoyer ce monde. Ma mère, mon frère et moi étions revenus vivre en France et j’étais fascinée par tout ça. En même temps, c’était beaucoup. Ma mère vivait au rythme des collections, elle parlait de bijoux et de chiffons… J’ai finalement fait un rejet. Je me suis rasé la tête à 15 ans, je m’habillais sans suivre aucun code, des mélanges très poussés qui faisaient qu’on m’appelait l’excentrique à l’école. Mais comme le fruit ne tombe pas loin de l’arbre, ma mère, qui s’occupait des bijoux, de la maroquinerie, des foulards et de la maille et qui avait beaucoup de goût, m’a appris à “voir”. Alors même si je suis plutôt jean-boots – ou quand j’ai envie, je bifurque vers le délirant – et que je ne passe pas ma vie dans les boutiques, j’ai appris d’elle à ne pas suivre les tendances et à porter un regard personnel sur l’élégance.

Quels ont été tes rôles les plus marquants ?                                                                      

Il y a eu Trois hommes et un couffin bien sûr, pas juste à cause du succès mais parce que ça inaugurait la figure de la mère ingrate, qui m’a ensuite été offerte en permanence. Ce film marquait ma rencontre avec Coline Serreau, avec qui j’ai aussi fait La Belle Verte et Dix-huit ans après. Un très joli film, Camomille de Mehdi Charef où je joue une bourge junkie qui se faisait sauver par un mitron qui avait construit une voiture dans son grenier. Et puis il y a eu L’Amour en héritage, Neuf Mois, entre autres… Les rôles qui arrivent dans la vie d’un acteur ont toujours du sens, ils résonnent avec des chemins qu’on essaye de comprendre, ça n’arrive jamais par hasard. Sylvie aussi m’apprend la vie. C’est pour ça que pour moi, c’est dur de dire ce que j’aimerais jouer, car j’ai toujours trouvé que la vie me proposait des rôles qui sont encore de l’ordre de l’inconscient, qu’elle me permet de voir et de vivre.

Philippine Leroy-Beaulieu pour NYLON France

Robe JACQUEMUS / Bottines CHRISTIAN LOUBOUTIN

Peux-tu me parler de ton rôle dans Dix pour cent ?

Ce rôle de Catherine est arrivé à un moment où je ne travaillais presque plus. C’était une grande chance de travailler avec Cédric Klapisch. Belle écriture, beaux acteurs ! Mon seul regret, c’est que ça se termine avec une Catherine folle de rage – parce qu’elle a compris la trahison de son mari et aussi de la femme pour qui elle s’est prise d’amitié. J’aurais souhaité qu’elle puisse revenir en force, qu’elle ne reste pas une victime. Pas grave ! Et c’est grâce à cette série, que tout Los Angeles regardait sous le nom de Call My Agent, que Darren Star m’a contactée.

La femme française est un trope dans le cinéma américain – on se souvient du rôle de Carole Bouquet dans Sex & the City. Comment t’es-tu sortie de là ?

Je n’ai pas pensé à la chose de façon méta. Initialement, le rôle n’était pas écrit pour une femme de mon âge, on m’a dit que j’étais trop vieille pour jouer Sylvie mais quand je l’ai lu, j’ai immédiatement su que je la connaissais par cœur, que je l’avais rencontrée des dizaines de fois par le biais de ma mère travaillant dans la mode. Je me suis juste rappelé de toutes les femmes que j’avais observées étant gosse, qui affichaient une volonté de puissance surtout pour masquer leur grande vulnérabilité, leur fragilité, leur peur de tout perdre – leur pouvoir, leur influence, le boulot… Paris, quoi. On peut penser à Ridicule de Patrice Leconte, à Illusions perdues de Xavier Giannoli. Paris est fabriqué comme ça, traversé par ses réseaux d’influence ; mine de rien, on est encore en monarchie, dans un système de cour à ce niveau-là. Tous les détenteurs de petits et grands pouvoirs, peu importe leur place, sont paniqués car ils sont tous sur des sièges éjectables. Ils doivent toujours faire plaisir à la personne au-dessus d’eux tout en ayant très peur des jeunes qui arrivent. La relation entre Sylvie et Emily dépasse le fait qu’Emily soit américaine, qu’elle s’habille mal selon les critères de la Parisienne et qu’elle parle d’Instagram alors que Sylvie est encore dans la presse écrite. C’est sa jeunesse et sa manière de voir le monde qui la font paniquer. Au début, elle la rejette, et finalement elle la choisit. C’est une assez jolie métaphore de ce qu’on devrait faire ensemble entre générations et entre mondes, qu’il n’y a pas tout à jeter ou garder de l’un ou de l’autre, et que l’on pourrait être cocréateurs du monde que nous voulons.

L’âge n’est que dans sa tête ; on nous dit socialement qu’à partir de tel ou tel âge, ceci ou cela est fini. Ça me révolte que les magazines féminins tiennent ce genre de discours.

Philippine Leroy-Beaulieu pour NYLON France

Robe ARTURO OBEGERO

Emily in Paris représente aussi un grand travail autour du cliché. Comment as-tu joué avec ceux-ci ?

Le cliché n’est pas à prendre au premier degré. Il est là mais s’il est tordu, il devient très drôle à interpréter, comme le fait de souffler sa fumée de cigarette au visage d’Emily pour lui dire : apprends à fumer toi aussi, apprends à être un peu plus autodestructrice comme nous les Français. C’est insupportable que tu sois aussi healthy : mange du sucre, du beurre et de la confiture avec nous. Sylvie résiste à la volonté d’Emily de transformer la boîte à son image et lui rétorque que c’est elle qui la fera devenir Parisienne.

Peux-tu me parler de ton travail avec la costumière de la série ? 

J’ai travaillé de près avec Marylin Fitoussi, et il y a eu une différence entre les saisons 1 et 2 : pour la première, on construisait un personnage à partir de rien, et à l’époque, ce n’était prévu que pour le marché américain, on ne s’attendait pas à cette visibilité mondiale. Donc nous étions initialement partis sur une Française qui doit être lisible comme telle aux États-Unis. Le point de départ n’était pas Inès de La Fressange en Roger Vivier et jeans, mais une femme qui penchait plus du côté femme fatale parisienne. On l’a construite dans cette direction. J’avais dit à Marylin que c’était quelqu’un d’assez corseté, je pensais à des femmes qui le sont dans leur tête, qui font de grands efforts pour apparaître et non être. J’ai traduit tout cela en étant toujours en talons très hauts dans lesquels j’avais souvent mal aux pieds et en me moulant dans des robes qui ne permettent pas d’être détendue. Ça m’a apporté quelque chose d’être dans un inconfort certain.

As-tu vu les personnages changer ?

Dans la deuxième saison, je me suis imaginé une Sylvie qui se positionne d’abord en sous-marin, observatrice, qui regarde les jeunes avec leurs histoires d’amour très compliquées, voire lassantes à ses yeux, dont elle sait qu’elles ne vont pas bien se finir. Ce qui est bien, c’est que Darren se permet de montrer ensuite la part de vulnérabilité de Sylvie et qu’elle finisse par faire une révolution française bien à elle ! Quand j’ai compris ce qu’ils tramaient pour la fin, j’étais ravie mais pas surprise, ils ont entendu mes appels ! Darren a un regard critique et amusé autant sur la culture française qu’américaine et la question est aujourd’hui de savoir comment il va réunir ces deux cultures pour la troisième saison. Je suis très curieuse de voir “how we bridge that gap” !

Il y a cette scène devenue virale de toi sortant de l’eau. Combats-tu ainsi, et par ta présence en général, un certain âgisme ?

J’ai l’âge que j’ai, mais j’ai une énergie que je n’associe pas à une femme de mon âge. J’ai une énergie infantile ! L’âge n’est que dans sa tête ; on nous dit socialement qu’à partir de tel ou tel âge, ceci ou cela est fini. Ça me révolte que les magazines féminins tiennent ce genre de discours. J’entends des gens de mon âge dire “à notre âge” et je réponds toujours que ça n’est qu’un conditionnement qui prouve bien combien on peut se laisser empoisonner par les mots. La seule différence entre les âges est le bagage culturel, les expériences, mais le nombre de bougies sur un gâteau ne change pas grand-chose, c’est un non-sujet pour moi. Ce qui est beau, c’est qu’on a un passé qui nous permet de regarder la jeune génération avec curiosité, de souligner certaines choses qu’elle ne sait pas forcément, suggérer certains choix. Mais pour ce qui est de sortir de l’eau, on fait un peu d’exercice et on se calme sur le chocolat ! On était partis sur un une-pièce et finalement, on a opté pour le deux-pièces. C’était une façon de montrer à Emily que Sylvie est une vraie femme, avec une vraie vie et une vraie liberté, en opposition avec les interdits de la jeune Américaine qui ne vit pas sa jeunesse et se complique la vie dans un triangle amoureux qui vire au carré !!!  Sylvie lui rappelle peut-être qu’on peut s’amuser, se détendre et aborder la vie autrement.

Philippine Leroy-Beaulieu pour NYLON France

Ensemble tailleur JEAN PAUL GAULTIER ARCHIVE / Collier et bague “Vendôme Liseré”, bagues “Liseré”, bague “Serpent Bohème”, bague “Quatre Radiant Edition”, le tout BOUCHERON

Je crois qu’on est à un moment charnière où le monde change, on a envie de construire autre chose, beaucoup de gens se délestent de l’inutile et sont dans une démarche moins consumériste, tournés vers des valeurs plus profondes.

Tu as récemment assisté au défilé Ami en robe transparente…

Oui, j’avais essayé la robe chez moi, le soutien-gorge faisait du relief sous le tissu très fin, alors je l’ai enlevé ! Chez moi, on ne voyait rien… Mais j’assume ça complètement, ce ne sont que des seins. Madame Figaro a dit “Philippine Leroy-Beaulieu nous a fait une Sylvie” et j’ai lu quelque part “Free the nipple”, j’ai trouvé ça super drôle.

Tu es aujourd’hui l’icône de notre nouvelle génération. Qu’est-ce que ça te fait ?                                                                                                     

Effectivement, quand je suis arrivée au défilé Ami, des jeunes de l’âge de ma fille, et plus jeunes même, appelaient le nom de Sylvie ! C’est une vague d’amour tellement jolie à recevoir. On se demande ce qu’on doit faire quand une nouvelle génération attend des choses de vous. Et puis quand je regarde attentivement, je vois beaucoup d’hésitation, des gens assez perdus mais avec une force de vie magnifique. Je crois qu’on est à un moment charnière où le monde change, on a envie de construire autre chose, beaucoup de gens se délestent de l’inutile et sont dans une démarche moins consumériste, tournés vers des valeurs plus profondes. Ma fille, par exemple, vit à la campagne, regarde Emily in Paris en éclatant de rire et n’a pas de mal à faire le pont entre le très léger et le très profond. C’est beau.

Allô Philippine ?

Nos questions de fan à l’iconique Philippine Leroy-Beaulieu. 

 

@claude.emmanuelle

À quel moment de la vie de femme est-ce qu’on se rend compte que l’on se suffit à soi-même et que l’on a juste besoin d’hommes pour se divertir ?

On peut se suffire à soi-même ET avoir besoin d’un homme pour partager, apprendre à aimer, vivre des trucs qu’on ne vit pas avec des femmes ou juste des copains ! Je n’ai jamais considéré les hommes comme des toy boys ! 

@barbarakrief

Est-ce que Darren Star vous a demandé d’être badass et frontale – dans un monde où tout est overcute et politiquement correct – ou était-ce votre décision ?

C’est mon caractère ! Je n’aime ni le politiquement correct, ni le “virtue signaling” à l’américaine, ni le bullshit !

@colombedhumieres

Est-ce que votre rôle vous a donné envie de travailler dans l’industrie du luxe et de la mode ? 

J’avais une mère qui y travaillait. Moi, j’ai choisi autre chose. Le jeu ! Et j’adore mon métier !

Philippine Leroy-Beaulieu pour NYLON France

Robe LANVIN / Mules à talons ROGER VIVIER
 / Dormeuses “Vendôme Liseré” BOUCHERON

@noursayscheese

Sylvie incarne la liberté et pourtant, elle n’est pas toujours à l’aise avec son amant plus jeune. N’est-ce pas une contradiction ?

Les êtres humains sont complexes. Les choses ne sont jamais noires ou blanches. Il y a plein de nuances. J’ai même entendu que le nombre de couleurs qui existent sont bien plus nombreuses que celles que notre œil peut voir, genre plusieurs milliers… Les êtres humains aussi sont multiples. Et moi, j’adore les paradoxes…

@raphaelle_z_

Que revendiquez-vous à travers votre rôle dans Emily in Paris ?

Un rôle n’est pas une revendication, c’est une tentative de faire vivre un être expérimental… ! Je pense même que c’est dangereux d’aborder un rôle en se disant : qu’est-ce que je revendique ? On risque de tout aplatir, de ne pas créer de surprises, de mouvement, de la vie quoi !

@camilletoscan

Qu’est-ce que ça fait de donner la réplique à Lily Collins qui est plus jeune et surtout une millennial ?

J’ai déjà joué avec des acteurs plus jeunes que moi ! Et des millennials, j’en connais plein ! Ce n’est pas ça, la particularité de Lily ! C’est surtout sa gentillesse et son professionnalisme, son intelligence et son implication qui rendent le travail très agréable.

@mekintsugi

Quelles sont les grandes figures de femmes françaises qui vous ont inspirée dans votre construction du rôle de Sylvie ?

J’ai mis un peu d’Arletty chez Sylvie. J’y ai pensé quelques fois. Mais j’ai surtout regardé les Bette Davis, Ava Gardner et même Barbra Streisand. Ne me demandez pas pourquoi, l’inspiration c’est mystérieux.

@sachalamenace

À quel point ressemblez-vous à votre personnage dans votre vie ?

Pas beaucoup, franchement. Mis à part que j’aime l’irrévérence et la sincérité.

Philippine Leroy-Beaulieu pour NYLON France

Robe GMBH / Bottes ABRA / Boucles d’oreilles “Plume de Paon” et bague “Liseré” BOUCHERON

Journaliste : Alice Pfeiffer

Photographe : Manuel Obadia-Wills

Assistant Photographe : Alexis Allemand

Styliste : Nicolas Dureau

Assistantes Styliste : Léa Salaün & Enes Rolland
Coiffeuse : Tié Toyama

Maquilleuse : Houda Remita

Manucure : Wilna Sainvil
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