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Is punk really not dead ?

Nostalgie rebelle, soif de désobéissance et doigts d’honneur : le punk Y2K s’affirme plus que jamais.

Nostalgie rebelle, soif de désobéissance et doigts d’honneur : Is punk really not dead? 

Août 2010. Dans la boîte à gants d’une Fiat louée pour les vacances s’empilent des CD emportés depuis Paris pour occuper les trajets. Parmi eux, The Ramones : Greatest Hits, sur lequel je m’époumone en chœur avec Joey Ramone : “Sheena is a punk rocker !” Ce sont dans ces compilations, collectionnées à la maison, que je découvre leurs meilleurs titres, mais aussi ceux des Runaways, des Clash ou encore des Sex Pistols. En grandissant, ma version “I’m not like other girls” était convaincue d’avoir la meilleure culture musicale possible et glissait, l’air un peu hautain, des “Tu connais des chansons du groupe sur ton t-shirt ?”. J’ai 21 ans, féministe avertie à présent, mais le punk fait toujours autant partie de ma vie, des essais sur les Riot grrrl entassés sur mon bureau à la photo de Cherie Currie couverte de faux sang en fond d’écran. Alors que nous nous retrouvons tous enfermés chez nous en mars 2020, j’extériorise mon angoisse et ma frustration au rythme de riffs de guitare et de productions un peu crasseuses. Et petit à petit, telle une hallucination, ma madeleine de Proust est partout, j’ai l’impression que la pop culture se remplit d’épingles à nourrice, de paroles révoltées et de cheveux colorés. En ce début d’été 2021, la punk fever ne semble pas près de s’arrêter. Alors, panique morale 2.0 ou belle opportunité commerciale ? Qu’est-ce que la Gen Z peut bien trouver à ce mouvement de jeunes à crêtes et majeurs en l’air ?   

Sur la route du punk : de Londres à New York via YouTube

Avant d’être un mot-clé pour définir son style sur Tumblr, le mot “punk” est une vieille insulte anglaise qui désigne un individu pas très recommandable. C’est à la fin des 70’s que le terme se met à désigner une contre-culture forgée par des jeunes qui en avaient vraiment très marre, d’abord de la morale de leurs parents et ensuite des valeurs réactionnaires d’une société dure et fermée ainsi que des modes de consommation délirants et mondialisés. Solveig Serre et Luc Robène, chercheurs spécialistes du punk et auteurs de Punk Is Not Dead (2019), me plantent vite le décor : “Après le Peace and Love, les jeunes des démocraties occidentales sont déçus des promesses non tenues. Alors, au cours de l’année 1976, naît un mouvement qui s’érige contre le système, l’establishment et qui désire revenir aux sources du rock, briser les barrières entre la scène et le public.” 

Comme les Sex Pistols, tous ces groupes qui prétendent ne pas savoir jouer et se contenter d’enchaîner trois accords improvisés ont un ennemi commun : la bienséance. On parle de la mort de la reine, d’urine, de sexe, mais aussi de féminisme et de racisme. Si les thèmes et l’irrévérence ont évolué, l’héritage du punk infuse plus que jamais la pop culture en 2021, même s’il est parfois difficile de le discerner après plus de quarante ans de déconstruction, de reprises et de modernisation. D’abord en matière de musique, où nos playlists alternent entre emo rap, pop-punk, grunge et rock alternatif – tous des genres héritiers du mouvement. On danse au son de Green Day, Avril Lavigne, Joan Jett, Miley Cyrus (ou les deux à la fois) et on lip-sync dans nos stories good 4 u d’Olivia Rodrigo et le rap punky de Machine Gun Kelly. Du côté de la mode, les bijoux Vivienne Westwood, THE créatrice punk, sont vus au cou des membres du collectif The French House sur TikTok, Doc Martens continue de se présenter comme la chaussure (à 200 euros) des jeunes rebelles et H&M ne rate jamais une occasion de sortir des t-shirts arborant des logos de groupes qui auraient méprisé leurs conditions de production.

Rock the bourgeois 

Comme tout mouvement de niche et contestataire, à peine né, le punk est vite devenu un produit d’appel efficace pour les marques et les médias, se diluant peu à peu dans la culture de masse. Le capitalisme et les classes dominantes adorant s’encanailler d’esprit rebelle, cela crée parfois des mélanges surprenants, comme l’événement “punk” organisé… au Bon Marché en 2019. “Le punk, par ses idéaux anticapitalistes et do-it-yourself, se prête particulièrement mal à cette récupération”, commente Solveig Serre. “Dès le départ, cela pose un vrai dilemme à certains groupes de musique punk quand ils deviennent célèbres. Ils se heurtent à leur propre contradiction : après avoir critiqué les Beatles, les voilà érigés en classiques du rock, comme eux.” La quête de la pureté punk, déjà chimérique il y a quarante ans, fait toujours débat aujourd’hui, comme en témoignent les avis très tranchés des jeunes fans avec qui je m’entretiens sur le cas du chanteur britannique Yungblud, qui ressemble chaque jour un peu plus à Sid Vicious (mais une version qui ne manquerait pas un déjeuner dominical chez belle-maman). Pour certaines, comme Anna, 20 ans, cette réappropriation n’est pas dégradante : “Je pense que chacun est libre de revendiquer n’importe quelle influence, je suis contente que le mouvement continue à fédérer du monde, c’est quand même le but à la base.” Mais pour d’autres, comme Carolina, 24 ans, la démarche est incohérente : “Même si je comprends sa bonne intention de ‘break gender roles’ et ‘fuck society’, ça reste une pop star venue d’un milieu privilégié qui vend du merch à 70 € pendant que d’autres artistes pop-punk galèrent à vendre leurs fanzines et t-shirts à la fin du concert et sont souvent sous-payés.” 

Même si critiquée avec moins de radicalité, sûrement parce qu’elle est une jeune femme noire à l’histoire personnelle marquée par l’engagement, Willow Smith, la benjamine du clan, fait aussi partie des artistes qui ont sauté dans le wagon punk cette année. En me penchant sur la liste de ses collaborateurs pour son dernier projet lately I feel EVERYTHING, je suis frappée du côté “respect aux aînés”, qui peut même sembler en contradiction avec l’état d’esprit du genre musical : Willow a choisi Avril Lavigne, princesse pop-punk Y2K, et Travis Barker, le batteur de Blink-182, pour l’accompagner, jouant sur la curiosité nostalgique de ses auditeurs. Le batteur, qui depuis quelques années est appelé à poser sa rythmique sur des projets allant du hip-hop à la country, jouit d’une popularité dans les tabloïds bien plus liée à son couple. En effet, il partage sa vie avec l’aînée du clan Kardashian, Kourtney. Celle qui s’est fait connaître en exposant au monde entier sa vie de mère parfaite, tout de luxe vêtue et partageant ses conseils de parentalité positive (pratiquée dans des écoles aux prix exorbitants dans les plus beaux quartiers de Los Angeles), a troqué cette esthétique léchée pour un look (tout aussi léché) de punk-rock girlfriend. Même si le Covid ne nous permet pas de savoir si Kourtney se rêve en Penny Lane sur la route, il y a des raisons d’être gêné par cette appropriation d’un mode de vie rock’n’roll version mood board Pinterest. Bienvenue dans le cycle infini des questions sans réponses sur l’authenticité des contre-cultures.

“Hello world, I’m your wild girl”

Si le punk a, en réalité, toujours été là, plus ou moins sur le devant de la scène, sa quasi-omniprésence dans les derniers mois trouve une explication – poncif de l’analyse historique – dans l’aspect cyclique de la mode et de la musique. Fan de Bikini Kill, Sleater-Kinney et Hole, Yazid, 21 ans, me fait remarquer que nous sommes de la même génération que les artistes qui font revenir ces inspirations dans leurs titres, et que, comme nous, ils ont grandi en écoutant des titres pop-punk super connus des années 2000. Iel ajoute : “Je pense que ce retour vient aussi beaucoup de l’esthétique qui est accolée à ce mouvement, qui résonne très fortement avec la période adolescente, à cette ambiance de coming of age, de nos premières rébellions.” C’est ainsi qu’Olivia Rodrigo, ex-star Disney de 18 ans, infuse son premier album Sour (2021) d’une esthétique 100 % 90’s, chère à la Gen Z. Du clip de good 4 u truffé de références au film Jennifer’s Body (2009) à son live ambiance “crying on the prom night’s dancefloor”, Olivia s’amuse de clins d’œil partagés avec son auditoire. Mais du clin d’œil au plagiat, il n’y a parfois qu’un pas, que la jeune chanteuse semble avoir franchi aux yeux de Courtney Love Cobain. La rockeuse accuse Olivia d’avoir copié la pochette de l’album Live Through This de son groupe Hole (1994), remettant même en question sur Instagram la légitimité d’un pur produit Disney à se la jouer punk version sugar-coated. Hommage cool au personnage de la Prom Queen déchue façon Carrie mal compris par une Courtney vexée ? Véritable questionnement sur la frontière entre inspiration et plagiat, légitimité et authenticité ? Je ne peux statuer que sur une chose : la nostalgie générationnelle donne du grain à moudre à beaucoup, et Olivia semble n’être que le balbutiement d’une nouvelle génération de pop stars aux références, punk ou non, surassumées (quitte à en abuser ?). 

Celles qui dominent et domineront le top de nos playlists dans les années à venir sont comme nous : en pensant aux contre-cultures du siècle passé, elles ont envie de regarder mélancoliquement par la fenêtre et, telle Lana Del Rey, de susurrer “I was born in the wrong generation”. Pour mieux comprendre ce sentiment de nostalgie de ce que l’on n’a pas connu, j’appelle Hedwige Dehon, chercheuse en psychologie à l’université de Liège. Elle m’explique : “La nostalgie d’un temps passé témoigne d’une quête de sens collective. Ces histoires passées de groupes soudés, de changements de système, sont une ressource. Mais il faut faire attention, car cette nostalgie collective des jeunes qui veulent leur propre Mai 68, c’est la même qui mène à Make America Great Again. Le passé est toujours réécrit quand le présent est instable, car il semble toujours plus solide que le futur.” À ce propos, j’entame une discussion avec Maelis, 20 ans, sur le miroir que la société des années 1970 nous tend. Sans dire qu’il n’y a qu’un pas de Thatcher à Trump, elle voit un véritable pont idéologique entre les deux époques : “Le contexte économique, social, politique et sanitaire de la pandémie nous plonge dans une période marquée par l’incertitude. On est typiquement dans du No Future.” 

L’atmosphère de ce punk digital native se ressent donc dans une vraie conscience de génération : les jeunes descendent dans la rue, se radicalisent politiquement, en veulent aux générations passées et ont, pour beaucoup, l’envie de tout envoyer balader, à l’image de la chanteuse Phoebe Bridgers, qui susurre des paroles nihilistes habillée en squelette, avant d’exploser sa guitare sur le plateau du SNL. Maelis décrit le punk, passé et présent, “comme une source de motivation pour affronter notre monde actuel. Les enjeux auxquels nous sommes confrontés dans le monde d’aujourd’hui nous poussent à vouloir tout révolutionner, et même si certains thèmes abordés par le punk des 70’s sont datés, l’idéologie derrière est toujours aussi parlante et d’actualité. C’est parfois un peu déprimant de se dire que les propos des Riot grrrl résonnent toujours avec autant de justesse, mais c’est aussi fort d’être les témoins d’une transmission de valeurs féministes intemporelles.”

Sans surprise, le punk est une énigme mouvante, sur laquelle il est, aujourd’hui plus que jamais, difficile de coller une étiquette ou de la faire rester en place. Et malgré les critiques sur son (inévitable) dilution, il accorde ses rythmes, parfois sautillants, parfois saturés, au pas déterminé, entre colère et lassitude, de la nouvelle génération. Contradictoire et contrarié, comme la Gen Z elle-même. 

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