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“Féminismes et Pop Culture“ le nouveau livre de Jennifer Padjemi

Pourquoi le féminisme de Beyoncé dérange-t-il autant ? Y a-t-il un lien entre la transformation récente de Billie Eilish et celle de Britney Spears vingt ans plus tôt ? Pourquoi sommes-nous si fasciné.e.s par la perte de poids d’Adele ? Est-ce vraiment la fin des Kardashian ? Jennifer Padjemi décortique les féminismes Y2K et leurs dynamiques, souvent portés par des femmes de premier plan dans un système patriarcal.

De Girls à Grey’s Anatomy en passant par Beyoncé, la journaliste Jennifer Padjemi passe au crible les années 2010 dans son livre intitulé Féminismes et pop culture (Stock, 2021). L’autrice commente la façon dont la télévision et les réseaux sociaux ont influencé notre rapport au corps et à la sexualité, tout en revenant sur les personnalités et évènements de la pop culture, leur influence et leur capacité à fédérer et à bouleverser une époque. Décryptage d’un féminisme pop nuancé.

Il est souvent difficile de rapprocher ces deux termes, féminisme et pop culture, tant ils sont sujets à controverses. Penses-tu que Beyoncé, qui illustre la couverture de ton livre, incarne les paradoxes du féminisme pop ?

Jennifer Padjemi : Beyoncé a attendu quatre albums avant de se créer une assise et de devenir hyperpopulaire. Et dans Lemonade, elle décide de dire ouvertement qu’elle est féministe. Il suffit de regarder pour voir que Beyoncé n’a plus rien à perdre. Si elle a envie de dire quelque chose, elle peut le dire. Les gens ont le droit de ne pas l’aimer. Mon problème, ce n’est pas ça, c’est plus de savoir pourquoi on lui reproche des choses que l’on ne reproche pas à d’autres ? Quand j’analyse le traitement médiatique de Beyoncé, pour moi, c’est le même que Britney Spears, teinté en plus de racisme et de misogynoir. Les médias l’ont malmenée. A vouloir toujours chercher si elle est féministe et antiraciste. On oublie qu’elle vient du Sud. Elle vient d’un univers très afro-américain, très ancré dans la ruralité. Les gens oublient de prendre en compte les origines des célébrités. Ils pensent juste qu’elles sont sur le devant de la scène. Regardez leurs histoires pour comprendre que tout est logique.

Si elle ne s’est jamais autoproclamée féministe, je vois beaucoup de similitudes entre le malaise que peut susciter une artiste comme Aya Nakamura en France et le traitement médiatique subi par Beyoncé.

La France et les Etats-Unis sont deux pays totalement différents mais qui ont ce même questionnement constant. Tout ce que Beyoncé et Aya Nakamura font et disent passe par le prisme de l’analyse constante, et c’est presque un acharnement. J’ai remarqué qu’avec elles, les gens ont toujours besoin de se positionner. C’est inconscient et je ne pense pas que ce soit de notre faute, mais plutôt celle des médias qui en ont fait des artistes clivantes. L’œuvre musicale était plus mise en avant pour les artistes des générations précédentes. Aujourd’hui, c’est plus leur persona, leur manière de se présenter dans les médias, qui va être mise en exergue. J’entends très peu de gens reconnaître qu’Aya Nakamura a de superbes productions, par exemple.

Le documentaire Framing Britney Spears diffusé sur Prime Video retrace le parcours tragique d’une pop star. Pendant plusieurs années, nous avons commenté sa descente aux enfers. Depuis les excuses publiques de Justin Timberlake, le discours change et la question de son consentement devient l’élément central de cette tragédie. Pourquoi ?

Elle était la petite fiancée de l’Amérique, avec une propagande extrême sur la virginité, sur la religion et la blondeur. Elle représentait tout ce que l’Amérique pouvait espérer. Sur le devant de la scène depuis ses 12 ans, il fallait montrer qu’elle avait grandi. Tous les artistes l’ont vécu. Lauryn Hill, par exemple, a refusé de faire ce changement. Résultat : plus d’album pendant vingt ans. A chaque fois, ça suit un schéma bien défini : on devient sexy pour casser son image de pureté ; après avoir été très sexy, on redevient pure en devenant maman. C’est un procédé très courant à Hollywood et dans l’industrie musicale. Avec Britney Spears, il y a eu une phase supplémentaire parce que le moment où elle a été sexy, ça ne venait pas d’elle. Les médias ont fait croire que c’était un choix émancipateur, qu’elle était libre. On se rend compte aujourd’hui que cette industrie contrôle les femmes même quand elles sont majeures.

Ne devrions-nous pas craindre pour Billie Eilish, qui a récemment fait la couverture du British Vogue en tenue sexy ?

Au départ, elle ne voulait pas être mise dans une catégorie. Maintenant, elle fait la couverture du British Vogue, en sexy pin-up et là, il y a deux discours : “Super, elle fait enfin ce qu’elle veut” et “Attention, vous croyez qu’elle fait ce qu’elle veut, mais ça reste une industrie musicale et elle a 19 ans”. Ce qu’on pense être émancipateur et libérateur fait encore partie d’un système plus global. Ça se voit que Billie Eilish sait ce qu’elle fait et elle a vraiment conscience de ses actes et de ses paroles, mais c’est plus compliqué que ça. Personne ne l’a forcée à faire cette séance photo. Personne ne lui impose directement. C’est plus insidieux. Pour vraiment tirer des conclusions intéressantes, il faudra regarder attentivement son prochain album. J’ai hâte de voir comment Billie Eilish évoluera par la suite.

Tu n’arrives pas à faire une différence claire entre le choix personnel et l’instrumentalisation d’un système sur le corps de la femme. Pendant plus d’une décennie, la famille Kardashian a régné sur le monde de la télé-réalité en popularisant de nouvelles normes corporelles tout en s’érigeant en modèle de réussite sociale. Alors que Keeping Up with the Kardashians se termine, est-ce réellement la fin d’une ère ?

Ce n’est jamais noir ou blanc. Pendant que je faisais des recherches sur les Kardashian pour mon livre, je suis tombée sur un compte flippant de clones de Kim Kardashian. Kim Kardashian a révolutionné quelque chose et, en même temps, elle a complexé des millions de personnes tout en récupérant des codes de femmes noires chez qui on réprimande ce type de physique. Avec la fin de l’émission et son divorce avec Kanye West, on arrive effectivement à la fin d’une ère. Bizarrement, même si ça fait plus de dix ans qu’elles sont sur le devant de la scène, c’est encore trop tôt pour faire un bilan. Kylie Jenner, la dernière, est encore très jeune. Kim Kardashian est en train de faire des études de droit et elle veut devenir avocate. Le seul truc qui a changé ces dernières années, c’est que Kim Kardashian a un look hyperpolicé, dans des tons neutres. A la fois classe et trash. Sa marque SKIMS en est la parfaite illustration. Cela résume Kim Kardashian. Elle est à la fois émancipatrice de quelque chose, parce qu’elle défie l’ordre établi, et en même temps, son corps est devenu une marchandise en nous faisant croire que, pour être considéré, il faut le mettre en avant.

Il n’est pas rare que les célébrités partagent leur routine quotidienne et d’autant plus pendant cette période de confinement global. Récemment, Adele a fait parler d’elle en postant une photo de son nouveau corps. Sa transformation a été énormément commentée sur Instagram. Ne crois-tu pas que cela nourrit cette obsession du corps parfait ?

Je pense qu’il faut faire attention, dans le sens où il y a eu un phénomène d’amaigrissement durant le confinement. Beaucoup de gens se disent que, quand la pandémie sera finie, il faudra absolument avoir maigri, être bonne. C’est dangereux. C’est un problème plus large qui ne concerne pas qu’Adele. Surtout que, dans son cas, ça a été progressif. Elle a changé de corps depuis le début de sa carrière. Entre l’album 21 et aujourd’hui, il y a eu plusieurs phases. Ce que je trouve intéressant avec le cas Adele, c’est qu’elle nous l’a montré. Pour moi, il y avait un peu une manière de dire : “Je vais vous montrer. De toute façon, je ne vais pas me cacher et je ne vais rien dire dessus.” Ça s’est enflammé ! Il y a ceux qui lui ont reproché d’être passée de l’autre côté et ceux qui la félicitent. Sur les dernières photos qu’elle a postées, tu peux lire des commentaires du genre “Adele est trop belle”, mais elle n’était pas belle avant ? “Ah, Adele est sexy”, mais elle l’a toujours été !En fait, tu ne voulais pas le voir parce que tu étais cantonné dans ton idée que gros n’est pas égal à sexy et tu n’arrivais pas à voir qu’elle a toujours été belle. C’est marrant de constater que les gens ont eux-mêmes des biais. Elle a toujours été là, devant toi. Elle a toujours été talentueuse, mais maintenant qu’elle est mince, tu la regardes de la bonne manière.

Lil Nas X, Lil Yachty et BTS brouillent les pistes du genre. Plutôt androgynes, ils portent des boucles d’oreilles pendantes, des ongles colorés et du maquillage visible. Dans une société sud-coréenne protestante, les BTS diffèrent des boys bands d’antan. Nous venons d’une époque où la pop star était calibrée pour séduire les jeunes filles. En quoi leur arrivée a-t-elle réinventé la pop culture globale ?

C’est intéressant car les BTS renouvellent le concept de fandom, c’est-à-dire comment les fans sont devenus plus que des fans. Ce sont des gens qui te suivent où que tu ailles. C’est une influence énorme. Quand les BTS parlent de violences policières, leurs fans sont tout de suite contre. Ils parlent d’un truc, le lendemain, les fans l’achètent. C’est une influence jamais vue. Sur les questions de genre, les BTS rejoignent ce que leurs fans prônent : la non-binarité, un peu “gender fluid”. Tu ne sais pas trop, car ils ne parlent pas trop de leur sexualité. Il y a un truc d’ancré dans notre époque. Je n’en ai pas parlé dans le livre car je me suis concentrée sur les années 2010, mais je pense qu’ils sont en train de définir les années 2020.

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