Masculinités 2.0 : que racontent tes K-idols ?
Plus doux, moins virilistes : que peuvent t’apprendre tes icônes de la K-pop en matière de normes masculines en 2023 ?
Plus doux, moins virilistes : que peuvent t’apprendre tes icônes de la K-pop en matière de normes masculines en 2023 ?
Les codes, les comportements, les looks et les tabous qui forment les contours de ce qu’est la masculinité sont l’objet de débats depuis quelque temps dans la société et la pop culture. Que ce soit dans la mode, le maquillage, les arts, la littérature ou la télévision et le cinéma, la masculinité a eu droit à un rebranding complet. Moins toxique, plus ludique, plus en contact avec son côté dit “féminin” : beaucoup de choses ont changé dans la façon dont le monde regarde les hommes et ce qu’on attend d’eux – que ce soit sur un catwalk, à l’écran ou sur scène. La culture est dans une production constante d’icônes masculines – et autant de sex-symbols. Aujourd’hui, c’est la K-pop qui en produit à foison, ce qui m’a amené à me demander si ces représentations étaient le nouvel horizon de ce qui définit le masculin aujourd’hui.
Je dois avouer que je ne connais pas grand-chose au côté masculin de la K-pop – en tant qu’homosexuel, je suis naturellement séduit par les groupes de filles, ce qui est un tout autre sujet à disséquer – alors pour en savoir plus, je me suis tourné vers quelques ami.e.s qui sont des stans, et vers une experte en bonne et due forme.
La K-pop – de la musique pop faite en Corée, tout simplement – existe depuis les années 1990, lorsque la première vague d’artistes et de groupes comme Seo Taiji and Boys, DJ DOC et Deux ont ouvert la voie à une scène pop dans le paysage musical sud-coréen, en lançant l’idée de l’artiste idole, avec des chansons catchy destinées à devenir virales, combinées à une performance artistique complète impliquant une garde-robe sophistiquée, des coiffures et mises en beauté et bien sûr des chorégraphies captivantes, fun et super techniques. Pour la plupart des Occidentaux (moi compris), la première rencontre avec la K-pop s’est faite grâce au tube explosif de Psy, “Gangnam Style” en 2012, qui a dominé les charts du monde entier en établissant une multitude de records – la vidéo la plus vue et la plus aimée de tous les temps sur YouTube et la première vidéo de l’histoire d’Internet à être visionnée plus d’un milliard de fois.
Le phénomène “Gangnam Style” a ouvert la porte et l’appétit du public occidental pour une scène qui, auparavant, n’était connue que pour des chansons chantées en anglais et qui suivaient le schéma traditionnel américanisé vers le succès. Enfin, le monde a commencé à écouter et à s’ouvrir à la K-pop. Puis, plusieurs idoles et groupes ont trouvé une base de fans et du succès en dehors de leur pays d’origine et de l’Asie, jusqu’à ce que, vers 2016, une autre vague de K-pop déferle. Avec BTS et Blackpink qui sont au coude à coude avec des artistes occidentaux dans le top des charts dans le monde entier. Avec des bases de fans énormes, la K-pop a atteint le mainstream partout dans le monde occidental et a démontré qu’elle était là pour durer.
Mais la question demeure : pourquoi est-ce que tant de gens aiment ça ? Je me suis tourné vers deux fans de la famille NYLON : Marie Dinlaportas, rédactrice de contenu vidéo, et Noïra Boketi, journaliste, qui font elles-mêmes partie de fanbases, pour m’aider à trouver une réponse. “Tout est fait dans le but de te rendre obsédé.e”, m’explique Noïra, stan de BTS principalement. “Les labels savent que tu vas suivre l’artiste pas seulement pour sa musique, mais aussi pour tout ce qu’il y a autour. Ils travaillent sur des contenus qui vont au-delà de la musique et des clips, comme les émissions de variétés et les moments en coulisses, parce que c’est là que les fans ont l’impression de rencontrer pour de vrai leurs idoles. En tant que fan, tu as l’impression de connaître personnellement cette idole, et en même temps, elle reste extrêmement inaccessible.”
“Et puis tu tombes dans le truc de la personnalité”, ajoute Marie, une fan de Stray Kids. “Chacun a sa personnalité et il y a aussi différentes relations d’amitié au sein des groupes et tu trouves ça trop mignon ! En tant que fan, tu suis le contenu hors musique, tu les regardes se battre pour atteindre le succès et tu t’attaches à leur histoire. Et ça te donne envie de les suivre encore plus loin et de les soutenir parce que tu as l’impression qu’ils travaillent dur pour en arriver là, alors ils ont besoin de résultats.” “Tu veux faire partie de leur réussite”, résume Noïra.
Outre la façon dont les idoles de la K-pop sont marketées de manière à inclure les fans, il existe un élément clé qui constitue un facteur d’attraction pour les fans, en particulier ceux d’une génération plus jeune, et un facteur de différenciation par rapport à la façon dont les artistes occidentaux sont commercialisés : leur approche de la masculinité et de sa représentation. Tássia Assis, journaliste musicale qui écrit sur la scène K-pop depuis quelques années, m’a expliqué : “Ce n’est peut-être pas une masculinité différente, mais je pense qu’ils sont plus ouverts à certaines pratiques que d’autres hommes, même coréens. Se faire soigner la peau, se teindre les cheveux et se maquiller sont des habitudes pour les idoles, mais pas pour la plupart des hommes. Je pense que l’engagement de la K-pop à être un média visuel d’avant-garde fait que beaucoup de ces codes de la masculinité sont brisés. Ils expérimentent davantage, ils ont plus de liberté et ils cherchent vraiment à se présenter différemment de l’ordinaire.” On peut voir cette presque nouvelle masculinité s’exprimer dans presque tous les secteurs de la pop culture. Dans le monde post #MeToo et avec l’aide des réseaux sociaux, il est de plus en plus clair que la représentation d’une masculinité macho n’est plus aussi attrayante, et qu’elle devient de moins en moins acceptable.
Un autre aspect qui rend la masculinité K-pop plus attrayante pour les fans, c’est son côté égalitaire. “Dans la culture pop occidentale, par exemple aux États-Unis, la pression de la beauté est entièrement déversée sur les filles. Une pop star féminine devra changer de look, de style, de maquillage, de coiffure, de tout, à chaque retour ou nouvelle “ère”, alors qu’une pop star masculine restera la même pendant une dizaine d’années et personne ne dira rien à ce sujet. Et j’ai l’impression que dans la K-pop, cette pression retombe de la même façon sur les filles et sur les garçons”, dit Noïra. Cette masculinité plus douce et pas si toxique, qui n’empêche pas d’avoir du sex-appeal, commence à s’imposer dans l’esprit des fans, estime Marie : “Je ne sais pas si c’est vraiment un aspect culturel en Corée, mais les lignes sont plus floues entre la féminité et la masculinité. C’est une sorte de feeling non-binaire soft. Quand ils sont en train de faire une performance, tout redevient fort, il y a clairement un truc plus “masculin”. Et de retour dans la vie quotidienne et en coulisses, cet aspect s’adoucit et devient plus câlin et mignon.”
Je pense que l’engagement de la K-pop à être un média visuel d’avant-garde fait que beaucoup de ces codes de la masculinité sont brisés. Ils expérimentent davantage, ils ont plus de liberté et ils cherchent vraiment à se présenter différemment de l’ordinaire.
Tássia Assis
Eh bien, il est vraiment difficile de généraliser, car la K-pop est diverse, ce n’est pas un seul groupe ou un seul label. Il s’agit d’une multitude de représentations artistiques et culturelles qui, au bout du compte, ont pour seul point commun de venir de Corée du Sud. Mais si on regarde à l’échelle des groupes masculins les plus populaires de K-pop en activité, rien n’est complètement étanche à la toxicité mais les choses sont en constante évolution et le changement arrive rapidement grâce à la force des bases de fans et du public, comme l’explique Tássia : “Je crois qu’il y a une demande du public et des fans pour une représentation masculine moins toxique. Par exemple, les membres de BTS ont subi la pression des fans pour des paroles sexistes qu’ils ont écrites dans le passé et se sont excusés. En même temps, il y a des fans qui soutiennent des criminels condamnés… Mais je crois qu’en général, si un groupe sort une chanson avec des paroles misogynes de nos jours, il y aura un retour de bâton.”
La santé mentale des idoles est parfois remise en question par les fans, car le système de vedettariat de la K-pop, mis en place par des labels surpuissants, est connu pour être extrêmement strict et exercer une forte pression sur les artistes. “L’une des choses qui m’a le plus surprise au début, lorsque j’ai commencé à supporter BTS, était la facilité avec laquelle ils parlaient de leurs sentiments, alors que dans le monde occidental, nous avons toujours cette vision selon laquelle un homme hétéro ne parle pas de ses sentiments. Malgré ça, je pense que les artistes occidentaux sont plus ouverts sur la question de la santé mentale. Tu n’entendras jamais une idole parler de la pression qu’elle subit de la part du système, tu n’entendras jamais parler d’une idole qui suit une thérapie et il y a ce sentiment que beaucoup de choses se passent dans les coulisses auxquelles personne n’a accès parce que, en tant que fan, tu sais que le chemin pour attendre le sommet est très difficile”, me fait remarquer Noïra.
Le fait que les idoles masculines soient soumises à la même pression et aux mêmes normes de beauté que les artistes féminines est également un sujet de préoccupation quant à la non-toxicité du système K-idol, souligne Marie. “Je disais l’autre jour que le stanning K-pop devrait être accompagné d’un message d’avertissement sur les troubles alimentaires, parce que j’ai l’impression que même si les messages aux fans sont du type “Sois ce que tu veux !” ou “Tu es belle !”, tout ce qu’on voit sur scène et dans les clips, ce sont des gens très fins et il est clair qu’il y a un idéal de beauté très strict auquel il faut correspondre pour réussir dans ce milieu. Je m’inspire d’eux donc de manière créative, mais j’essaie aussi de ne pas penser à cet aspect d’idéalisation, car je ne pense pas que ce soit très sain.”