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Love Letter à Gabbriette

En torturant du céleri face caméra, elle s’amuse avec l’iconographie vampire féministe. Entre Angelina Jolie et Jennifer’s Body, Gabbriette retourne les crêpes et les stigmates – turning the water into your enemy’s blood.

J’ai un crush sur Gabbriette. La rédaction entière de NYLON a un crush sur Gabbriette. Elle a d’ailleurs joué à Truth or Dare sur le TikTok du mag pendant la dernière Fashion Week et je me demande bien pourquoi j’ai raté cette occasion inespérée de lui dire ma vérité pas secrète du tout.

Un nom français made in USA, des cernes violacés qui répondent à ses sourcils qui tirent à la ligne, les yeux kohlés perpétuellement mi-clos, drapée d’un marcel aussi noir que ses cheveux et de ses tatouages, elle me ramène à l’époque de l’Angelina Jolie goth, celle qui se promenait avec le sang de son mec d’alors (Billy Bob Thornton) autour du cou, comme disait Dazed. Si elle est connue pour ses activités de mannequin macabre ou comme chanteuse de Nasty Cherry, le girls band de Charli XCX, la cheffe Californienne est surtout devenue virale grâce à ses vidéos de cuisine – les mains et le regard plongés dans des projets highly unkosher.

Machette, spatule, économe, elle dissèque des choux romanesco, découpe des aubergines, martyrise des échalotes. Les mains dans un cookie cake en devenir, elle débite, telle une nouvelle crypto-BDSM, ses tips cuisson : “Cuis-le, vas-y, mais pas trop même si c’est tentant, il pourrait trop croustiller sous la dent. Et surtout, prends du plaisir.” (Clearly my fantasy speaking.) D’un coup de spatule, celle qui a fait du look goth-vampire une de ses signatures, retourne une crêpe flambée comme un agresseur, transformant l’eau en sang – blue blood only darling.

 

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Angry, hungry, hangry : from Gabbriette’s eyebrows to Jennifer’s Body

Gabbriette propose un nouveau remix entre ténèbres et féminité – proximité qui a toujours fasciné la mode, la culture, et moi-même. Les Incroyables et les Merveilleuses avec leurs ras-de-cou façon décapitation durant la Révolution, les veuves siciliennes, la Ligeia d’Edgar Poe, Ma Mère de George Bataille, Siouxie, Buffy… Tu en retrouve partout à travers l’histoire, et leurs vêtements viennent illustrer des kinks et catharsis parfois oxymoriques.

Par le passé, je me suis souvent identifiée à des personnages délicieusement morbides, de Mercredi Addams, dont j’adoptais les nattes à défaut du lit-cercueil, à Antigone, que j’ai interprétée au théâtre de Malakoff préado (je prenais très au sérieux mon rôle de grande sœur). Je me déguisais comme l’Ophelia du tableau de John Everett Millais, en robe trempée et couronne de fleurs avant la noyade, et j’écoutais passionnément La Jeune Fille et la Mort de Schubert (yes I’m that nerd).

Mais si, comme l’expliquent les Fashion Studies, l’iconographie féminine d’une époque agit comme le symptôme du modèle patriarcal en vigueur, que peut contrer, sublimer, informer, ce jeu mortifère dans la mode ? Où se placer entre subversion et récupération ?

Nommée, cette fois-ci, Succubus Chic ou “dead girl aesthetic”, cette variante est également arborée par Amelia Gray, Noah Cyrus, Rosalía, Kim Kardashian, qui va jouer dans American Horror Story, et bien sûr ma Gabbriette. Sa spécificité ? Une version bimbocore et Y2K de la figure de la culture vampire feminine queer. Pamela et Morticia, Mariah Carey et Maria Callas, chacune ayant l’air de dire à tout instant “Is that a crucifix in your pocket or are you just happy to see me ?”

Au tournant du XXe siècle, puis surtout dans les années 70, le subgenre “vampire lesbian exploitation” et ses films à l’eau de rose à la fois sanguinaires et érotiques comme Vampyros Lesbos, Vampyres ou Blood and Roses, reflètent l’anxiété grandissante de male dominant face aux droits acquis par les femmes lors de la libération sexuelle. Angry, hungry, elles sont ce qu’Internet appelle aujourd’hui “hangry”. En cuisinant en look couleur corbeau, Gabbriette s’amuse avec cette proximité terrifiante entre bonne vivante et vorace, avec l’image d’une femme affamée, castratrice et cannibale. Clin d’oeil ici à la mythologie du ‘vagina dentata’ (I’ll let you google that one).

Ce Succubus Chic rappelle la vision de Diablo Cody, la scénariste lesbienne et engagée qui a écrit l’histoire du cultissime film queer Jennifer’s Body, starring Megan Fox. Un vampire movie que Cody a conçu comme une “rape revenge fantasy” qui célèbre “female rage by subverting the gaze”, dit-elle.

Ce film – a personal favorite, be warned – suit le rise & fall de Jennifer, cool girl du lycée et surtout corps à disposition. Un soir, elle se fait embarquer par un groupe de rock local, nice guys auto-labelisés comme sentimentaux, dans la forêt, le regard hagard. They do what history has always done to these women, puis la sacrifient au nom d’un rituel satanique censé leur promettre la gloire à Hollywood. Poignardée, laissée pour morte, ils lui promettent de lui dédier une chanson.

Malheureusement, femme impure qu’elle est, elle ne meurt pas et se réveille dans le bois, confuse et désorientée. Couverte de son propre sang, elle ne se souvient pas de ce qui vient de lui arriver, ni des supplices ni des supplications. Elle en oublie même son gloss, son stylo à fourrure et ses écouteurs – c’est dire – mais en chemin, elle dévore un étudiant Erasmus. Nouvelles envies et surtout nouveau savoir transmis par le crime : sacrifiée sans trop de gêne pour son supposé statut de croqueuse d’hommes, la voilà qui dévore littéralement ses oppresseurs.

“Oh non, Jennifer est atteinte de demonic transference !”, panique sa meilleure amie depuis la section occulte de la bibliothèque de l’école. Sa réincarnation a laissé quelques marques et l’a dotée d’une nouvelle maîtrise d’un système perforé de loopholes permettant tous les abus – et les silences. Elle lui a offert la capacité, enfin, de répondre. Le film, réalisé par Karyn Kusama et sorti en 2009, fait écho à une chanson composée quinze ans plus tôt par Hole, le groupe de Courtney Love, titrée elle aussi “Jennifer’s Body” et qui évoque le kidnapping d’une femme retrouvée démembrée : Alive, but just barely/ He said, ‘I’m your lover, I’m your friend, I’m pure’/ And he hits me again.”Cathartique, le film est aussi l’occasion pour Megan Fox de le décrire comme une métaphore de la façon dont les femmes sont traitées par Hollywood – préfigurant le mouvement #MeToo lancé quelques années plus tard par Rose Mc Gowan, défendant un propos similaire, notamment via son rôle so satanic dans Jawbreaker.

 

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Cicatrices, cernes et mauvaise mine : la mémoire de la chair, très chèr.e.s

Que veulent te dire Cody et Kusama à travers ce female gaze ? Dans le Système de la mode, le sociologue Roland Barthes théorise que l’expérience du vêtement siège dans ce qu’il nomme le réel, en triangulation avec d’une part le discours et de l’autre l’image produite. Entre ce fantasme de revanche et le corps-souillure hyperfem de Jennifer, la scénariste et la réalisatrice invitent à prendre conscience du trauma de la chair. Voilà ce que peut permettre l’esthétisation féministe du corps macabre : chaque cerne, cicatrice, tatouage constitue le stigmate de la mémoire – hors langage et hors conscience – que le corps refuse d’accepter ou d’oublier. Une enveloppe qui fait clignoter les boucles enfin bouclées, de ce qui a mené ici et qui continuera de tracer un chemin. Pas une dépouille croupissante s’offrant au voyeur incapable de demander un consentement (forcément, elle est morte, et l’était déjà à ses yeux), mais un droit, une urgence à faire action, incarnée dans une poupée qui mord, une monstresse qui parle, a zombie with a mission. Cette rage inversée est un moteur essentiel de la reconnaissance et une légitime défense, et surtout le premier geste d’amour pour soi.

Cette peur sublimée à l’écran est une réponse à la terreur appliquée impunément dans les institutions, services médicaux, universités, transmise et protégée entre loups déguisés en nice guys et autres toxic allies. Dans un autre monde, il est temps de se passer le mot, les économes, les rouleaux à pâtisserie, les machettes, les contacts – here’s a tasty start.

“Ne jamais sous-estimer la colère des opprimées” m’a souvent dit ma maman… And she’d be delighted that I finally agree with her on something.

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