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Le bikercore : pas besoin du boyfriend mais je garde la moto

Le retour du biker version Y2K réinvente la place du deux-roues dans l’imaginaire collectif.

Des gants de motocross transformés en accessoire couture chez Dior, panoplie de protection chez Balmain, blouson moulant chez Ambush : sur les podiums, l’univers biker se décline dans des styles multiples. Futuriste chez Dior, fairycore chez Ottolinger, gothique chez Simone Rocha, upcylé chez Per Gotesson, Y2K chez Diesel.

S’il ne fallait garder qu’une seule pièce au milieu de ce revival ? J’emporte sans hésitation la veste café racing à col rond, dans sa déclinaison Lucky Strike – vue sur Bella Hadid –, ou dans une version Red Bull avec panthère rouge. Le modèle est marqué, un brin ringard, et ne s’accorde pas avec tout – si ce n’est mon goût inlassable pour la nostalgie.

Odeur d’essence, sons de pots d’échappement débridés : j’ai 14 ans et je connais déjà bien le vestiaire biker. Tout un gang en a fait son uniforme au collège. Le samedi, je me traîne près de l’abri de bus pour observer ces jolis cœurs rouler des mécaniques en rase campagne. Les conversations ne m’intéressent pas. Je ne comprends rien aux histoires de jantes et de modifications effectuées sur de vieilles Motobécanes. Ça me paraît sans aucun intérêt : leurs engins fonctionnent à peine. Mais le bruit de leurs marmonnements m’indique qu’ils vivent l’aventure de leur vie. Au milieu du désert vert français, ils tuent l’ennui, dessinant une échappatoire.

Les jeunes filles en fleur sont là pour les applaudir. Elles crapotent sur des Black Devil à la vanille. Certaines portent un blouson trop ample par-dessus leur pull Benetton trop sage, accordé à un pantalon Jennyfer taille basse – subversif ! Elles attendent un regard. Elles n’en reçoivent pas. Tout ce qui intéresse ces garçons, c’est de comparer leurs acquisitions et tenter de faire démarrer leurs deux-roues.

Cheveux méchés à la Zac Efron et regard bleu lagon, mon voisin me raccompagne. Toutes les filles nous regardent – le regardent. Lui me parle de son père qui avait une moto et de son désir d’avoir le permis pour passer ses week-ends à chevaucher la route. Je lui pose la question de la destination. Il ne sait pas. Une fille en tête ? Il s’en fout. L’école ? Ça mènera à rien, les vieux nous arnaquent et de toute façon, ils passent leur vie à crever, coincés dans des boulots minables. Je rentre chez moi et je me dis que cette veste n’a rien de celle d’un petit dur avide de filles. C’est la veste de la désillusion, celle de l’effondrement du happy ending. La jeunesse ne croit plus en rien. Partir ? Oui mais où ?

Près de vingt ans plus tard, la vision de cette veste apparaît telle une réminiscence avec un drôle d’écho de la situation expérimentée par la Gen Z. Covid, guerre, crise écologique, occupation des universités : cette veste raconte-t-elle un nouveau chapitre de la désillusion juvénile ?

 

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De James Dean à Twilight : bad boy, grosse cylindrée et révolte

Entre jeunesse rebelle et virile, code crypto-queer et symbole anticapitaliste, la veste de biker n’a cessé d’être retournée dans la grammaire de la pop culture. Jean bleu, t-shirt blanc, James Dean inaugure l’articulation veste en cuir et rébellion juvénile. Errant dans les couloirs de la Dawson High School de LA, adossé au mur avec nonchalance, il incarne le jeune désabusé de classe moyenne dans le film La Fureur de vivre en 1955.

“Avant James Dean, vous étiez soit un bébé, soit un homme. Il n’y avait rien entre les deux”, commentait à l’époque la co-star du film Sal Mineo. Dans la même décennie, Marlon Brando complète l’archétype avec L’Équipée sauvage. Son look full cuir et Perfecto dépasse les frontières états-uniennes et influence les sous-cultures anglaises. Sa virilité sera également au centre de l’utopie queer peuplée d’hommes musclés imaginée par l’artiste finlandais Touko Laaksonen – aka Tom of Finland.

“À travers son fantasme de virilité absolue, Tom a cherché à faire disparaître la culpabilité des homosexuels, à corriger les injustices, à valider les gays, leurs désirs et leurs expériences, à détruire les stéréotypes qui assimilent l’homosexualité à la féminité”, expliquait Vito Russo en 1995 dans le documentaire sur les stéréotypes gays propagés dans le cinéma hollywoodien, The Celluloid Closet.

Dans la seconde moitié des années 1970, c’est du côté du CBCG, un bar basé dans l’East Village à Manhattan, que le look biker refait son apparition. Cette fois, il nourrit le look de jeunes anticapitalistes célébrant le DIY et bientôt de musiciens révoltés rassemblés sous l’étiquette punk. Blouson en cuir, pantalon en tuyau de poêle, bottes Dr. Martens, cheveux teints, t-shirts imprimés, graffitis et accessoires de bondage : la qualité médiocre des vêtements et le chaos esthétique viennent remettre en cause les notions de classe et les statuts que le vêtement soutient habituellement. L’utilisation de signes visuels anciens correspond chez le punk au deuil d’un passé qui ne pourra jamais être à nouveau le même, comme le note l’historien de la mode Adam Geczy.

Depuis plus de cinquante ans, le cuir noir se décline dans différents récits de révolte antisystème, devenant le symbole mainstream par excellence de la marginalité juvénile dont le cinéma et les séries grand public adorent s’emparer : Mad Max, Sons of Anarchy ou encore Ryan Gosling en blond platine dans le film indé The Place Beyond the Pines. Habillant le beau gosse rebelle, la veste en cuir se balade à deux roues entre les teen dramas : Chad Michael Murray avec collier ras de cou et Ducati dans Freaky Friday, Cam Gigandet et son bras surmonté d’un tatouage tribal dans Newport Beach, Ian Somerhalder en vampire ténébreux sur Triumph T100 dans Vampire Diaries, sans oublier Taylor Lautner, le loup-garou motard de la saga Twilight. Les figures féminines sont-elles condamnées à rester à l’arrière des deux-roues ?

“Souvent, les femmes apparaissent comme absentes de l’histoire des marges – ou alors en tant que groupies. C’est ironique, car dans la culture populaire, les styles sont compris comme étant d’intérêt féminin”, commentera la sociologue Angela McRobbie dans son article Girls and Subcultures, ajoutant que les récits des sous-cultures sont restrictifs, conservateurs et non représentatifs de la réalité.

Simultanément symbole des combats politiques des adolescents, signe pop et queer, le bikercore se fond dans le langage de la jeunesse contemporaine pour narrer une nouvelle histoire. 

Shut up, I drive : cuir et féminisme pop

Pourtant, les figures féminines sont le moteur ronronnant de l’acceptation de ce style et de son esthétisation dans l’univers des couturiers. La veste en cuir apparaît pour la première fois dans la collection Chicago de Dior, réalisée par Yves Saint-Laurent en 1960 : une collection couture destinée aux femmes et inspirée par le gang masculin des blousons noirs, qui agitait la capitale à l’époque.

“Les institutions, comme le musée Yves Saint Laurent, soulignent encore aujourd’hui l’inspiration beatnik”, explique Adrian Kammarti, professeur à l’Institut français de la mode. “Le 27 juillet 1960, le Herald Tribune évoquait ainsi le ‘chic beatnik’. Cela témoigne d’un système de récupération des marges masculines qui irrigue ensuite toute l’histoire de la mode féminine.”

De même, les icônes de la chanson française détournent le symbole tout en le rendant mainstream. On pense à Brigitte Bardot et sa fameuse Harley, clamant qu’elle n’a besoin de personne, mais aussi Françoise Hardy. “Un an après Mai 1968, elle pose en bottes à talons et veste en cuir fine. C’est une sorte de bikeuse fashion mimant le mouvement – rien d’une icône radicale –, dont la fonction est néanmoins de participer à la digestion de la référence, en même temps que sa dilution dans la culture de masse”, analyse Adrian Kammarti.

Le vestiaire biker sillonne la mode et accompagne chaque génération dans la formulation de son envie d’évasion. En plein girlpower Y2K, les stars féminines de la pop conduisent des motos : total look cuir pour Britney Spears cherchant à casser son image aseptisée dans “I Love Rock’n’roll”, veste col rond & bottes à talons pour Eve interrompant une fête bourgeoise avec Gwen Stefani dans le clip de “Let Me Blow Ya Mind”. Le motif est également central dans l’hymne féministe pop de 2000 des Destiny Child Independant Woman. Sans aucun doute ; la moto et le cuir sont resignifiés, et accompagnent la vague du féminisme pop. Les hommes cis ? Ils ne conduisent plus…

Aujourd’hui, la chanteuse espagnole Rosalia reprend le fil et célèbre la transformation dans son titre “SAOKO”, accompagnée d’un gang de filles à moto.“Una mariposa, yo me transformo” (“Un papillon, je me transforme”), chante-t-elle en t-shirt découpé et pantalon de biker. Sur la pochette de son album Motomami, elle pose nue avec casque et faux ongles, expliquant s’être inspirée par les sous-cultures motardes de Los Angeles pendant la composition de ses morceaux. La moto est celle d’un féminisme inclusif, nourrissant le récit du droit à constamment devenir.

No biker, no future

Sans le biker, que serait la mode ? Simultanément symbole des combats politiques des adolescents, signe pop et queer, le bikercore se fond dans le langage de la jeunesse contemporaine pour narrer une nouvelle histoire. “Le style a évolué avec des armatures de type superhéros pour créer une silhouette emphatique évoquant une musculature aux épaules larges chez Balmain. Cette réactualisation des codes biker en armures de combat contemporaines signale à la fois un désir d’autoprotection et une certaine flamboyance”, commente Jay McCauley Bowstead, auteur de Menswear Revolution : The Transformation of Contemporary Men’s Fashion.

Entre exercice d’hypervisibilité camp et vêtement à fonction technique, le bikercore articule besoin d’être vu et goût pour les vestiaires tirant vers l’uniforme. Il s’expose chez les créateurs et s’insère dans une époque où la culture de la seconde main grandit, de Vinted à Depop en passant par les collections de vestes de marque de moto italienne comme Giali portée par Ye, où les symboles luxe Y2K – comme le motocycle de Balenciaga – bénéficient d’une nouvelle vie. Sur Instagram, les tutos expliquent où les chiner et des influenceurs comme @maoui2saintdenis proposent sur un ton humoristique de s’approprier cette veste, jouant au passage sur les clichés pop qu’elle symbolise.

Je me dis que les récits des grandes épopées nous libèrent. Je trouve chouette que le biker ait été tant de fois détourné, par tant de communautés, pour raconter la liberté – même si des barrières existent encore. L’accessibilité, à la fois symbolique et matérielle, aux symboles biker des différentes époques (qu’ils soient luxe ou de marque spécialisée) permet à ce style d’être démocratique et à chacun.e de s’y balader sans contraintes.

Je me demande si les jolis cœurs de ma préadolescence se baladent eux aussi si librement. Pour eux,  qui rêvaient de s’évader, cela n’avait rien d’une mode. Ils bricolaient pour tenter de sortir du quotidien promis par leurs parents. Ils s’imaginaient décoller mais restaient bloqués sur des motos brisées.

Avec ses grands yeux bleus et sa mèche aujourd’hui coupée révélant un visage un brin marqué pour son âge, mon joli voisin espère acheter un pavillon près de la route où il roulait. Il a récupéré la moto de son père. Il n’est pas vraiment parti, mais peu importe : il s’enfuit le week-end sur les chemins vallonnés du désert vert – quand le prix de l’essence ne flambe pas.

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