Le premier album du chanteur et rappeur français Squidji conte une histoire d’amour faite de renaissance et de mutations. Son Ocytocine est traversé par notre époque, par ses thématiques et ses sonorités. En plus d’être une vraie réussite, il est la preuve que ce Parisien dans l’âme porte déjà une vision musicale sophistiquée et clairvoyante.
Ton premier album, Ocytocine, commence par un son de pluie, avec un orage et surtout des chœurs d’église qui chantent cette phrase : “Reste avec nous”. Qui est ce “nous” ?
Je vois cette introduction non pas du point de vue de l’auditeur, mais de celui des artistes. Je m’explique : “Reste avec nous”, ça veut dire que tu n’es plus seul. Que nous, artistes, entendons l’art que tu fais, peu importe ce que tu cherches à exprimer. On te comprend. Ce n’est pas forcément quelque chose de fédérateur, mais plutôt de rassurant et qui permet à n’importe qui d’extérioriser son art. Vas-y, crée, reste avec nous. On pourra sûrement faire de grandes choses.
Les chœurs sont d’inspiration gospel. Est-ce que cela te vient de ton père, très croyant ?
Mon père va à l’église tous les dimanches. Toute ma vie, il m’y a emmené en voiture. On écoutait des chansons qui parlaient de foi, du Seigneur, beaucoup de musiques protestantes. Ça a bercé mon enfance. Mes parents sont congolais, ils m’ont également initié à la rumba. Dans l’album, on sent cette influence, notamment dans les mélodies. Il y a des éléments très rythmés, afros. C’est quelque chose qui ressort naturellement de moi.
Le titre de l’album, Ocytocine, fait référence à l’amour, tu abordes longuement ce thème dans tes chansons. Même dans le morceau “Enfance”, qui parle d’une innocence perdue, tu évoques encore l’amour entre les lignes, non ?
Oui, j’y explique que je suis au fond de la classe, que “mon petit cœur balance”, que je suis amoureux de la fille la plus intelligente de l’école… Je parle de mon premier amour : “1, 2, 3, soleil / J’fais que courir / J’étais au début de ma vie mais pour toi je pouvais mourir.”
Dans toutes les formes d’art, il y a des artistes qui cherchent à reconnecter avec leur enfance pour y trouver une forme d’innocence et se déconstruire artistiquement. Est-ce que cette démarche te parle ?
Lorsque je découvre un nouveau morceau, j’essaie de l’écouter comme si je découvrais la musique en général. C’est une forme de recherche de l’innocence. Ça me permet de ne pas me lasser, de rester émerveillé par ce que j’entends. Les plus jeunes retiennent tout, ont une écoute extrêmement attentive. J’aimerais faire plus de chansons qui abordent des amours d’enfance. Je peux en parler pendant des heures.
C’est de la nostalgie ?
Beaucoup de grandes chansons sont nostalgiques.
Georges Brassens disait que les trois grands thèmes de la chanson sont l’amour, la mort et le temps qui passe…
Il avait raison : le passé nous touche plus que le temps présent.
Comme “Enfance”, il y a un autre titre en piano/voix qui parle de ce que l’on a perdu, mais également d’amour, c’est justement “A.M.O.U.R”. Ces deux morceaux vont ensemble ?
Il faut bien comprendre une chose : l’album s’écoute du début à la fin. Il y a une histoire, une trame, un scénario.
Peut-on alors parler d’album concept ?
Oui. Ça commence par une histoire d’amour que je vis et qui finit mal. Au fil des morceaux, j’essaie d’oublier cette déchirure en faisant le tour de Paris en voiture. D’où le morceau “Subaru”en featuring avec Josman. D’où le suivant, “Paris c’est noir”.
Dans le titre “Paris c’est noir”, tu dis : “Mais qu’est-ce que je fais ici, moi je viens d’ailleurs.” Pourtant, Paris, c’est chez toi ?
Je me mets dans la peau d’un extraterrestre qui vient d’arriver sur Terre. Il découvre Paris la nuit. C’est un endroit bizarre peuplé de crackheads, de gens chelous…
Quant à “Subaru”, beaucoup plus virulent, c’est une vraie rupture sonore dans la tracklist.
Ça permet de jouer avec les contrastes. Quand je sors de cette Subaru, je m’apaise. La musique se fait plus calme. Il y a de la pluie, l’univers est triste, je marche et j’arrive devant un club de strip-tease. C’est là qu’il y a les morceaux “Stripper”, “Oxygène”ou “BZ”en featuring avec Lala &ce. Je tombe sous le charme d’une strip-teaseuse, je veux en savoir plus sur elle, sur sa vie. Mais à un moment donné, on aborde un sujet sensible pour elle sur le titre “Cicatrices”,avec Lous And The Yakuza. Elle m’explique que dans l’univers où elle travaille, elle s’est fait agresser. Ce son, je ne pouvais pas l’assumer seul, étant un homme et n’ayant jamais vécu ce genre de drame. J’ai donc demandé à Lous d’y participer. C’était important de l’avoir sur le projet. Après ça, c’est un nouveau moi qui ressort avec le titre “Chrysalide”. Je connais désormais son histoire et ça me fait grandir, ça me fait gagner en maturité. Je change avec “Changer”, “Paradisbleu”où j’invite Disiz… C’est une histoire d’amour qui me fait évoluer, qui me fait comprendre bien des choses sur l’amour.
Lala &ce est donc invitée sur le titre “BZ”. Comment avez-vous connecté ?
On a des amis en commun, sa DJ m’avait notamment invité sur son propre projet. C’était assez prévisible et naturel qu’on travaille un jour ensemble avec Lala. On n’a pas eu à passer par nos managers, à négocier le billet ou quoi que ce soit. Ça s’est fait d’ami à ami.
C’est un titre très cru qui raconte presque un amour violent. Ce n’est pas vraiment dans l’air du temps quand on y pense…
J’ai fait écouter ce son à une amie, je lui ai demandé si ça n’était pas un peu trop… (Il cherche un mot qui ne vient pas.) Elle m’a dit : “Tu sais, beaucoup de filles aiment quand les mecs sont un peu plus brutaux au lit, c’est comme ça, ça existe.”D’autres rappeurs disent des dingueries pas possibles et souvent gratuitement, des choses bien plus virulentes. Dans ce son, il n’y a aucune misogynie. Quand on l’a enregistré avec Lala, j’ai vu qu’elle le kiffait. Je ne me suis pas posé de questions sur le moment, ce n’est qu’après coup que j’ai eu besoin d’être rassuré. Et je l’ai été très rapidement. Je demande souvent l’avis des filles sur ma musique. J’essaie de savoir ce qu’elles aiment, ce qu’elles pensent, ce qu’elles ressentent en l’entendant. Et je ne pourrais pas assumer de bad buzz ou de polémique, ce n’est pas dans mon caractère. Le tourbillon de l’industrie musicale m’effraie.
Depuis un peu plus d’un an, quand on parle d’album concept, on pense souvent à Laylow et à son album Trinity. Sa démarche t’a-t-elle amené à considérer que c’était possible aujourd’hui de faire de tels projets ?
C’est bien de faire un album, mais si c’est pour envoyer une série de titres, faire un peu de promo et rentrer chez soi en attendant que les streams tombent, je n’y vois pas d’intérêt. En tout cas, ce n’est pas comme ça que j’envisage ma musique. Il faut de l’âme.
On a aussi l’impression que tu considères que les relations amoureuses sont plus compliquées avec l’explosion des technologies dans nos vies, notamment sur le titre “INSTA”.
Sur les réseaux, il y a de la tentation. Et pour tout le monde. J’ai un cœur d’artichaut, quand je vois une belle fille, ça me fait quelque chose. Bon, en ce moment, je suis avec quelqu’un, ce n’est pas pareil. Mais il y a trop de belles filles et il ne faut pas se perdre, surtout si tu es une personne qui commence à prendre de la visibilité, à prendre la lumière. Je crois que j’ai trouvé quelqu’un au bon moment. Etre carré, c’est bien mieux que de voir des filles à côté. Sinon, on se sent moins rare. J’aime cette idée d’être rare, d’être fidèle à des valeurs.
Certains artistes ont du mal avec ça, et d’autres dérapent également…
J’ai 22 ans, et j’essaie d’être un exemple pour les plus petits, pour ceux qui m’écoutent. S’ils se réfèrent à moi et qu’ils voient que je ne fais que de bédave dans mes stories, que je suis tout le temps avec une fille différente, ça peut leur donner de mauvaises idées. Je n’aime pas faire la morale. Mais je sais qu’il y a de plus en plus d’yeux qui m’observent, j’essaie donc de faire attention à ce que je montre de moi, à ce que je montre dans mes clips. Et puis, il n’y a pas que mes amis qui les regardent, il y a aussi ma famille qui est au bled. C’est important pour moi de ne pas les décevoir.
Dans ses thèmes et ses sonorités, cet album est lumineux. Pourtant, lors de la sortie de ton EP Parades en septembre 2020, tu qualifiais ta musique de “R&B noir”. Est-ce toujours le cas ?
Je dirais plutôt qu’il s’agit d’un arc-en-ciel de noirs. Pour ce qui est du R&B, la musique est tellement hybride, peut aller de l’afro à l’indie sur un seul projet, que cette qualification ne veut plus dire grand-chose. Ce qui est important, c’est l’authenticité. Et il n’y a que du vrai dans ce que je fais.