Lala &ce, icône du monde d’après
Avec la sortie de son premier album, Everything Tasteful, et le lancement de Recless, son propre label, Lala &ce, première icône LGBT du rap français, pulvérise les stéréotypes poussiéreux.
Avec la sortie de son premier album, Everything Tasteful, et le lancement de Recless, son propre label, Lala &ce, première icône LGBT du rap français, pulvérise les stéréotypes poussiéreux.
Révélée en 2019 grâce à son EP Le Son d’après, Lala &ce s’est imposée en quelques mois comme l’un des espoirs les plus assurés du rap français. Irrésistible, la formule de son succès combine des lyrics rentre-dedans qu’elle chuchote ou déverse sur des atmosphères éthérées, subtilement inspirées par le cloud rap et le mumble américain. Icône gay d’un nouveau genre, Lala déclare sans filtre sa flamme à ses “gos” et célèbre son identité métissée, incarnant les courbes d’une génération libre, riche de ses différences et de sa diversité. En janvier 2021, elle publie son premier album, Everything Tasteful, qui clarifie son propos et révèle l’étendue du spectre de sa personnalité. Badass, romantique, impétueuse, décontractée… Lala &ce, c’est tout ça à la fois. Une clope à la main, elle s’apprête à répondre à nos questions. “Mais attends… T’as pas du feu avant ?”
Chemise, T-shirt et Pantalon BURBERRY
Bon, Lala, on vient de passer le début de l’année à écouter ton nouveau disque, Everything Tasteful, on est dans une vibe ! T’as conscience que ta musique défonce ?
(Rire.) C’est une sensation pas mal en vrai, d’être défoncé juste en écoutant de la musique. Je n’y avais jamais pensé comme ça, mais ça me fait kiffer. Je suis toujours un peu dans cette wave, même sans avoir rien pris. C’est peut-être moins une histoire de défonce que de chill au final.
Entre nous, les états de conscience altérés reviennent quand même souvent dans tes lyrics…
J’assume ce côté de ma personnalité ! Mes consommations n’ont jamais eu d’impact négatif sur ma vie. J’ai peut-être failli déraper à Londres — j’allais faire la fête dans les warehouses, ça devenait un peu trop sombre — mais j’ai cette chance de ne pas être une personne très addictive. La lean (boisson à base de sirop codéiné, ndlr) par exemple, j’ai tout de suite arrêté en arrivant à Londres et ça ne m’a jamais manqué. Même les clopes : je n’en ai pas fumé une pendant les deux mois du premier confinement. Je peux tester un délire pendant un temps, puis passer à autre chose facilement quand il le faut. Je ne prends que le positif.
Avec ce nouveau disque, on se rend bien compte des différences facettes de ta personnalité. Une Lala romantique, une autre plus badass et surtout, la Lala solaire de Sp&cial et Show Me Love. Lala &ce, c’est tout ça à la fois ?
Complètement : j’ai envie de montrer tout ce dont je suis faite ! Pour Sp&cial et Show Me Love, ce sont des tracks qu’on a enregistrés en studio ; il fallait projeter ma voix, chanter plus fort, c’est peut-être pour ça que ça change de d’habitude. Tant que le son est bon, ça m’inspire et j’ai envie de faire plein de trucs. En ce moment, je pense même à poser sur de la house ou de l’électro. Quand j’écoute une prod, peu importe le style, il me suffit de 15 secondes pour savoir si ça va le faire. À force d’explorer, j’ai remarqué que je pouvais développer plusieurs voix. Parfois, on pense même que je suis en feat avec moi-même.
En parlant de voix, l’Auto-Tune est un élément essentiel de ta musique. Comment te saisis-tu de cet outil ?
Pour moi, l’Auto-Tune est un instrument à part entière. La première fois que j’ai entendu Shawty de T-Pain, ça m’a retournée. Je me suis dit : “C’est quoi ce truc ?” Puis il y a eu Lil Wayne, Kanye West avec 808s and Heartbreak… En ce qui me concerne, je m’en sers pour pousser ma voix à ses limites. J’essaie d’anticiper comment l’Auto-Tune va réagir à ma voix, et j’expérimente. Si tu me l’enlèves, les gens ne comprendraient pas du tout pourquoi je pose comme ça.
Tu as toujours été une artiste très entourée. Aujourd’hui d’autant plus, avec le lancement de ton label : Recless. C’est quoi les bails ?
Que ce soit avec le crew 667 ou même avant : j’ai toujours marché en bande. C’était un rêve de monter mon label pour développer moi-même les artistes qui me font kiffer. L’an dernier, le confinement nous a permis de mettre ça en place avec ma partenaire 2b&ce. On n’avait rien d’autre à faire que de se rencontrer, taper des sessions et des soirées ensemble. Il y a eu une énergie, et nos liens se sont resserrés. Avec ce label, j’ai envie de pousser des artistes qui ont de la gueule, une vraie personnalité. Des rockstars qui font des trucs qu’on n’avait jamais entendus avant. Mais il n’y a pas que des musiciens dans Recless : il y a des vidéastes, des modèles, des comédiens… C’est une famille qui me permet de me développer en tant qu’artiste, de proposer de nouvelles choses, et de dire tout ce que j’ai envie de dire en restant cohérente.
Quels sont les critères pour rentrer dans la team &ce ?
Franchement, il faut commencer par avoir une bonne âme : être positif, ne pas avoir la haine si un pote réussit avant toi… Je crois que c’est une question d’amitié avant tout. J’aime m’entourer de personnes humbles, fraîches et qui ont du goût. L’élite quoi ! Selon moi, une star, c’est d’abord un charisme. Je pense à Le Diouck, que je vais bientôt signer. Il pose en français, en anglais, en wolof… Et quand il rentre dans une pièce, tu te dis : WOW. Tu vois ce que je veux dire ? Il faut faire rêver les gens. Parfois, tu vois des rappeurs débarquer comme des civils… Tu te dis juste : “C’est quoi ça ?”
Chemise, Pantalon et chaussures BURBERRY
Brassière CALVIN KLEIN
Chemise et short VALENTINO
Boucles d’oreilles PHILIPPE AUDIBERT
Le Diouck qui fait partie de Pull Up Boyz, un de tes nouveaux projets. Tu nous en parles ?
Pull Up Boyz, c’est un projet qui est né après VT Zook II — un titre que je partage avec Nyoko Bokbae (le groupe de Le Diouck, Boy Fall et Bamao Yendé) et rad cartier. On est tous partis dans une grande maison à 40 minutes de Paris avec notre matériel sans savoir ce qui allait se passer. On a juste enregistré, enregistré… Et ça a pris forme. Quand l’un était fatigué, l’autre prenait la suite. Résultat : on est repartis avec le premier album de Pull Up Boyz. On ne sait pas encore quand ça va sortir, mais ça va être fat.
En 2019, tu as sorti un premier EP intitulé Le Son d’après. C’est important pour toi d’innover ?
Je sais que le titre peut sembler prétentieux, mais c’est vraiment le feeling que je ressentais en écoutant l’EP. Je me disais que c’était en avance. Et c’était sûrement le cas, puisque les gens l’écoutent encore deux ans plus tard. Aujourd’hui, je pense qu’il est plus dans l’ère du temps. Ce n’est pas toujours une bonne chose d’être en avance. Les gens ne comprennent pas, et il faut attendre cinq ans pour qu’ils réalisent que c’était chanmé. Aujourd’hui, j’ai envie d’être à l’heure tout en gardant ma patte.
L’un des aspects les plus révolutionnaires de ta musique, c’est la façon décomplexée avec laquelle tu abordes les questions de sexualité, et tes relations avec la gent féminine. Ça t’a pris du temps pour assumer ces lyrics ?
Un peu ouais… Quand j’ai commencé à écrire du rap, je ne savais pas vraiment où je me situais du point de vue de ma sexualité. Je ne cachais pas mes différences, c’est juste que je n’étais pas sûre de moi, et que je ne pouvais pas parler de quelque chose que je ne connaissais pas. Ces paroles sont venues à mesure que je me suis découverte moi-même. Ça a pris du temps, mais aujourd’hui, je ne me pose plus aucune question. Quand je me pose pour écrire, c’est ce qui me vient naturellement : ma soirée du week-end dernier, ce qu’une meuf a pu me dire hier ou quoi…
Aujourd’hui, les médias et le public te désignent même comme la première icône gay du rap français…
(Rire.) C’est marrant, hein ! Je suis sortie du 667, et voilà où j’en suis. Les gens disent ça parce que je suis gay, mais en vérité, je ne suis pas une grande activiste. Je n’essaie pas de me poser en icône de ci ou de ça. En revanche, si je peux inspirer des petites, ça me fait grave plaisir ! À terme, j’aimerais que ce soit un truc banal ; qu’on ne me pose même plus la question.
Quel rapport entretiens-tu avec la communauté LGBT ?
Ma seule communauté, c’est Recless en vrai. J’aime l’idée de ne pas s’enfermer et, au contraire, d’’unir des gens de divers horizons. Autour de moi, il y a des straight, des lesbiennes, des gars efféminés qui kiffent les meufs… Plein de satellites différents qui, ensemble, forment une planète un peu bizarre : mon propre monde.
Le rap français est-il prêt ?
Je pense qu’il l’est, oui. De toute manière, il n’a pas le choix : je suis là, et je compte bien rester faire mon truc.
On dit parfois que le rap est un milieu macho, pas très accueillant pour les femmes. Ça a été difficile pour toi ?
Si tu es vraiment forte, je ne crois pas que ce soit difficile d’être une meuf et de percer dans le rap. Regarde Diam’s : elle a tué ça ! Shay aussi, elle a son truc. C’est juste qu’on est moins nombreuses, comme dans plein d’autres secteurs — genre les PDG —, mais rien n’est impossible quand on a vraiment envie de le faire.
Veste, chemise, short, gilet et chaussettes FENDI
Chapeau AMI
Boucle d’oreille PHILIPPE AUDIBERT
Chaussures ROMBAUT
Veste, chemise, short, gilet et chaussettes FENDI
Chapeau AMI
Boucle d’oreille PHILIPPE AUDIBERT
Chaussures ROMBAUT
Outre ton goût pour les belles meufs, ce sont aussi tes métissages que tu célèbres dans tes textes et sur tes instrus. Être métisse, qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
On m’a déjà demandé si j’avais mal vécu mon métissage. Parce qu’il y a des gens qui le vivent mal ? Pour ma part, j’ai pris le meilleur des deux mondes. Dans ma famille, c’était grave multiculturel : je mangeais les plats de ma daronne et le pot-au-feu de mon daron. Elle écoutait de la musique ivoirienne, et lui de la variété française. Tout ça dans la tolérance et l’acceptation de l’autre. C’est une vraie chance selon moi. Être métisse t’apporte un point de vue particulier sur le monde, plus ouvert aux différences peut-être… Mais il faut que les parents fassent les choses bien : si l’un des deux n’accepte pas la culture de l’autre, peut-être que l’enfant métis.se finit par rejeter les deux parties de son identité — et par se détester lui-même, au final.
Femme, lesbienne, métisse… Ça te soûle qu’on te ramène sans cesse à ton identité ?
C’est nouveau tout ça pour les gens, je comprends qu’ils se posent des questions — ça ne me dérange pas. Quand je crée, je ne me focus pas là-dessus, je fais mon truc sans réfléchir. J’espère juste qu’on parlera d’autre chose d’ici quelques années. Quand je fais des interviews, je me rends compte qu’il y a beaucoup de questions, beaucoup de choses à dire. Mais c’est vrai que j’ai aussi envie, parfois, de laisser travailler l’imagination du public.
Représenter, c’est important pour toi ?
En vrai, je ne cherche à représenter que moi-même, mes potes et mon entourage. C’est comme ça que tu fais vraiment passer ton message : en te montrant tel que tu es vraiment, sans brandir les drapeaux que d’autres ont brandis avant toi.
Finalement, qu’est-ce qui te motive à tracer ta route comme ça ?
À la base, rien d’autre que l’envie de faire du bon son. Aujourd’hui, c’est aussi une quête de liberté car les choses ont pris de l’ampleur. J’ai la chance de pouvoir vivre de ma musique, de rendre fière ma famille et de donner la possibilité à d’autres artistes d’exister. Qu’est-ce que je ferais sans tout ça ? Je n’en ai vraiment aucune idée.
Il t’évoque quoi, le terme “féminisme” ?
Mon père m’a toujours dit qu’un vrai homme était, par nature, féministe. Mais en ce moment, j’ai l’impression que le mot devient presque péjoratif. C’est bizarre, non ? Je crois que certains détournent le message pour affaiblir la cause. Pourtant, depuis toujours, être femme est synonyme d’inégalité. On n’a pas les mêmes opportunités, tout est différent. Comme je te le disais, je ne suis pas vraiment une activiste mais j’essaie, au travers de ma musique, de partager ma vision de ce que signifie être une femme.
Veste EGON LAB
Pantalon BOSS sur ZALANDO.FR
Lunettes MARINE SERRE