Le body positivisme avant l’heure
Dès ses premières créations, Jean Paul Gaultier a cherché à déconstruire les normes genrées – notamment par l’élaboration d’un vestiaire masculin teinté de références queers : c’est à lui qu’on attribue l’invention de la jupe pour homme, et lui encore qui introduit des sous-vêtements moulants, des décolletés plongeants ou des coupes laissant deviner les fesses.
Les corps pluriels sont toujours célébrés dans ses défilés qui ont ouvert la voie au body positivisme que l’on connaît aujourd’hui. Car si l’on constate plus de diversité sur les catwalks ou dans les publicités d’aujourd’hui, ce n’était pas forcément le cas dans les années 1980 et 1990. Gaultier faisait alors figure de précurseur avec des castings composés de personnes habituellement exclues – grosses, queers, racisées, âgées, enceintes – aux côtés des plus célèbres mannequins. Au cours de sa carrière, il a fait défiler des stars type Naomi Campbell comme des anonymes, des vedettes de la télé-réalité telles que Loana et Nabilla, des actrices et chanteuses, de Valérie Lemercier à Beth Ditto, et même des Miss France, dont le concours est snobé par la mode. En piochant ses muses dans la culture populaire, il questionne la hiérarchie entre bon et mauvais goût. À travers ses égéries, son infatigable bonne humeur et ses shows ludiques, il transmet une démarche éminemment politique, qui dénonce également le racisme, le classisme, la grossophobie et l’âgisme omniprésents dans l’industrie.
En 1984, le défilé automne-hiver Barbès est une ode à la diversité populaire à l’heure où les codes de la mode se limitent à une bourgeoisie bien-pensante. En 1997, son défilé La Culture noire et sa force est une critique grinçante de l’hypocrisie de l’industrie avec un casting composé de 40 mannequins, dont une seule Blanche, Kristen McMenamy. Cette même année, sa collection masculine met en scène des punks arborant les slogans “Fight Racism” et “Peace” sur des t-shirts.
Sa mode, parfois ouvertement sexuée, encourage également la libération sexuelle des femmes avec le retour du corset, qui habillera Madonna lors de son Blond Ambition Tour. L’objet décrié, qui semble de prime abord oppressif, est détourné de sa fonction symbolique à l’aide des fameux seins coniques en formes d’obus. “Une douzaine d’années auparavant, en pleine époque MLF (Mouvement de libération des femmes), les féministes avaient brûlé leurs soutiens-gorge et leurs gaines. Les femmes ne portaient plus depuis longtemps cette lingerie surannée. Mais à mes débuts comme créateur, les jeunes femmes avaient commencé à réaffirmer leur féminité. Elles réinventaient la femme objet, qui devenait suffisamment forte et affranchie pour jouer avec les codes”, expliquait le créateur au sujet de ce retournement du stigmate, qui évoque aujourd’hui le mouvement féministe pro-sexe.
Ce sont toutes ces références – aujourd’hui brûlantes – qui font de Jean Paul Gaultier un personnage hors du commun, conscientisé woke des décennies avant notre époque, et fédérateur pour différentes générations.