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Jean Paul Gaultier : retour vers le futur

Si le couturier a mis fin à sa mode en 2020, il n’a pas dit son dernier mot : son vintage autant que ses projets spéciaux font fureur auprès de l’avant-garde, qui y voit une éternelle radicalité, sans frontières ni œillères.

Depuis quelque temps, le hashtag #HouseOfGaultier (une référence au voguing) est tendance sur l’Instagram officiel de Jean Paul Gaultier, aux côtés de photos d’inconnus ou de personnalités arborant les archives de la maison. S’il a présenté son dernier défilé haute couture en 2020 accompagné d’un cortège de légendes de la mode et de stars du moment, le créateur français n’est pas prêt à se retirer complètement.

Voilà comment la légende fait peau neuve : d’abord en propulsant son passé vers le futur. Ces anciennes pièces squattent notamment les clips de Kali Uchis, les réseaux sociaux de Kylie Jenner et les friperies pointues comme Pechuga Vintage à Los Angeles. Pour son fondateur, Johnny Valencia, ces collections vintage, toujours iconoclastes, rappellent le pouvoir d’expression non verbal du style : “La mode est un des rares sujets auxquels tout le monde peut participer ; tout le monde porte des vêtements et a ses propres obsessions pour certaines pièces. Les pièces de Gaultier fascinent, imprègnent ses porteurs et c’est pourquoi ses archives excellent.”

Puis en apportant un vent de fraîcheur, une habitude de l’école Gaultier : la maison annonçait récemment l’arrivée de Florence Tétier, fondatrice du magazine expérimental Novembre, en tant que creative & brand director, puis celle de Barbara Butch, activiste queer qui milite contre la grossophobie comme égérie du parfum La Belle ; mais aussi une collaboration avec Glenn Martens du label pointu Y/Project. Ces nouveaux visages appartiennent à une génération adepte de la vision défendue depuis ses débuts par le styliste, promoteur une diversité protéiforme avant l’heure.

 

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Le body positivisme avant l’heure

Dès ses premières créations, Jean Paul Gaultier a cherché à déconstruire les normes genrées – notamment par l’élaboration d’un vestiaire masculin teinté de références queers : c’est à lui qu’on attribue l’invention de la jupe pour homme, et lui encore qui introduit des sous-vêtements moulants, des décolletés plongeants ou des coupes laissant deviner les fesses.

Les corps pluriels sont toujours célébrés dans ses défilés qui ont ouvert la voie au body positivisme que l’on connaît aujourd’hui. Car si l’on constate plus de diversité sur les catwalks ou dans les publicités d’aujourd’hui, ce n’était pas forcément le cas dans les années 1980 et 1990. Gaultier faisait alors figure de précurseur avec des castings composés de personnes habituellement exclues – grosses, queers, racisées, âgées, enceintes – aux côtés des plus célèbres mannequins. Au cours de sa carrière, il a fait défiler des stars type Naomi Campbell comme des anonymes, des vedettes de la télé-réalité telles que Loana et Nabilla, des actrices et chanteuses, de Valérie Lemercier à Beth Ditto, et même des Miss France, dont le concours est snobé par la mode. En piochant ses muses dans la culture populaire, il questionne la hiérarchie entre bon et mauvais goût. À travers ses égéries, son infatigable bonne humeur et ses shows ludiques, il transmet une démarche éminemment politique, qui dénonce également le racisme, le classisme, la grossophobie et l’âgisme omniprésents dans l’industrie.

En 1984, le défilé automne-hiver Barbès est une ode à la diversité populaire à l’heure où les codes de la mode se limitent à une bourgeoisie bien-pensante. En 1997, son défilé La Culture noire et sa force est une critique grinçante de l’hypocrisie de l’industrie avec un casting composé de 40 mannequins, dont une seule Blanche, Kristen McMenamy. Cette même année, sa collection masculine met en scène des punks arborant les slogans “Fight Racism” et “Peace” sur des t-shirts.

Sa mode, parfois ouvertement sexuée, encourage également la libération sexuelle des femmes avec le retour du corset, qui habillera Madonna lors de son Blond Ambition Tour. L’objet décrié, qui semble de prime abord oppressif, est détourné de sa fonction symbolique à l’aide des fameux seins coniques en formes d’obus. “Une douzaine d’années auparavant, en pleine époque MLF (Mouvement de libération des femmes), les féministes avaient brûlé leurs soutiens-gorge et leurs gaines. Les femmes ne portaient plus depuis longtemps cette lingerie surannée. Mais à mes débuts comme créateur, les jeunes femmes avaient commencé à réaffirmer leur féminité. Elles réinventaient la femme objet, qui devenait suffisamment forte et affranchie pour jouer avec les codes”, expliquait le créateur au sujet de ce retournement du stigmate, qui évoque aujourd’hui le mouvement féministe pro-sexe.

Ce sont toutes ces références – aujourd’hui brûlantes – qui font de Jean Paul Gaultier un personnage hors du commun, conscientisé woke des décennies avant notre époque, et fédérateur pour différentes générations.

Mario, le fan number one

Toutes ces bribes historiques sont rapportées par le compte Instagram @Gaultier_forever, créé en 2016 par Mario, un jeune passionné qui a découvert l’univers du créateur au lycée alors qu’une de ses camarades dessinait Naomi Campbell en Gaultier. Le coup de cœur se confirme à la vue du portrait de Tanel Bedrossiantz – muse des plus camp du couturier – vêtu d’une robe bustier aux seins pointus photographié par Paolo Roversi.

Depuis, Mario ne cesse de collectionner des images de magazines et d’autres pièces d’archives. Il décide ensuite de créer ce compte afin de célébrer la contribution du créateur à la mode, à la culture et à la société. “J’étais un adolescent gay dont le mode de vie n’était pas vraiment identifié ‘masculin’ au sein d’une culture latino très machiste. Je subissais des pressions de la part de ma famille, mes ami.e.s et camarades de classe pour ‘corriger’ mes traits ‘féminins’. Voir des hommes habillés de cette façon par Gaultier a ouvert un univers de possibilités alors que je n’avais personne vers qui me tourner. […] Il y avait de la place pour un adolescent queer, étrange et féminin comme moi. Cela a littéralement sauvé mon estime de moi-même. J’ai ressenti un lien avec Gaultier que je ressens encore aujourd’hui”, explique-t-il. Depuis, le compte de Mario a été relayé par la marque et continue de bâtir cette fresque historique avec des photographies d’anciens défilés ou de campagnes. Suivi par plus de 50 000 abonnés, il s’est vite rendu compte de l’intérêt que le monde portait à l’univers de Jean Paul Gaultier et à ces pièces à l’aura si particulière. “À partir des innombrables histoires et images que d’autres ont partagées à travers le compte, j’ai eu la chance de témoigner du lien émotionnel profond des gens avec le travail de Gaultier. […] Ses vêtements vous invitent à passer un bon moment, une nuit mémorable et une expérience précieuse. Sa philosophie de ‘joie de vivre’ vit à travers son esthétique, ses imprimés, ses silhouettes et imprègne également le porteur.”

Gaultier vintage, plus hype que jamais

En mettant fin à sa ligne de prêt-à-porter en 2014 puis à la haute couture en 2020, le couturier a suscité un engouement soudain autour de ses archives, devenues plus précieuses que jamais. En plus de leur engagement, celles-ci attirent aussi pour leur côté contre-culturel, leurs motifs psychédéliques et leurs messages emplis de second degré.

Parmi les fans, on retrouve Kim Kardashian, dont le passage au KFC de Strasbourg-Saint-Denis à Paris, dans une robe de la collection Cyber (automne-hiver 1995), reste encore dans les mémoires. D’Iggy Azalea à Bella Hadid, d’autres personnalités portent fièrement ses tops “tattoo”, dont ceux floqués du légendaire slogan “Safe Sex For Ever”, de la Vénus de Milo ou de La Joconde. Des ambassadrices de renom qui ont favorisé cet élan auprès de leur fanbase.

Cette dernière est particulièrement sensible à ce revival car “la nostalgie des années 90 et 2000 et le déclin de la fast fashion ont préparé le terrain pour le boom du vintage auquel nous assistons actuellement”, estime Johnny Valencia. Sur le site Depop, les pièces d’archives de la maison défilent parmi des sélections pointues. Certaines tendances actuelles ont aussi alimenté l’intérêt populaire. Le corset, par exemple, a été réinterprété par beaucoup de créateurs, de Dilara Findikoglu à Weslah, quand l’esthétique des tops transparents style “tattoo” est reprise par certaines marques de prêt-à-porter, à la manière de Jaded London, à des prix bien plus abordables.

Même en semi-retraite, Jean Paul Gaultier confirme sa longueur d’avance, et ces pièces du passé font perdurer l’héritage qu’il a laissé dans la mode : un espace sécurisé et bienveillant dans lequel tout le monde est célébré pour son authenticité et sa différence.

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