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Culture & Lifestyle

La télé-réalité a-t-elle tué le drag ?

En 2021, la culture autrefois underground du drag est partout sur nos écrans. La 13e saison de RuPaul’s Drag Race (l’émission de télé-réalité américaine qui a littéralement fait exploser le drag en France et dans le monde) vient de terminer sa diffusion, tout comme la seconde saison de sa version anglaise, RuPaul’s Drag Race UK. RuPaul, la drag-queen la plus connue au monde, a réussi à transformer une télé-réalité sur laquelle personne ne misait en une véritable machine internationale, récompensée trois fois du Emmy Award de la meilleure émission de compétition.

Thaïlande, Canada, Pays-Bas, Espagne, Australie… Nombreux sont les pays qui sont entrés dans la danse et contribuent aujourd’hui à l’hégémonie de RuPaul’s Drag Race. Avec l’arrivée du programme sur Netflix, le drag a réussi une entrée fracassante dans la culture populaire, et se consomme en masse jusqu’à polliniser les réseaux sociaux. Mais l’émission est-elle vraiment au service du drag ?

Pour répondre à la question, rien de mieux que de donner la parole aux premier.e.s concerné.e.s : les artistes. Et vous êtes bien tombé.e.s : des drag-queens, j’en connais – j’en suis même une ! Témoignages croisés de jeunes performeur.se.s français.es, avec même un petit détour à Londres…

ROSE & PUNANI, Paris

“Le drag, c’est le truc du moment, un peu comme le retour du disco dans la musique !”

 

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“Quand on a commencé en 2012, il n’y avait pas cette jeune scène drag qui existe aujourd’hui. On ne parlait même pas de “baby drag” pour désigner un.e artiste qui débute. RuPaul’s Drag Race a permis de montrer cette réalité à un public bien plus large, d’illustrer une sensibilité et d’implémenter en France une culture du drag qui n’existait pas. Mais avec ça est arrivée une standardisation et des codes très précis. Il y a quelques années, le public qui n’avait pas l’habitude de lieux comme le Queen, à Paris, découvrait vraiment le drag. Aujourd’hui, une grande partie connaît déjà tous les codes, crie “YASSS” ou claque des doigts pour applaudir.

À nos débuts, on ne se considérait pas vraiment comme des drag-queens. On était entouré d’artistes qui venaient du cirque, du burlesque, de la performance, c’était plus libre. Rose & Punani, c’est un duo de drag-queens comédiennes, animatrices. On a lancé le bingo drag à Paris et parallèlement, on aime créer du contenu décalé et faire sortir le drag des clubs – même s’il vient de là – pour l’inviter dans des collaborations un peu plus inattendues.

Pour nous, c’est formidable d’ouvrir le drag à d’autres domaines, mais il faut surtout un réel engagement derrière, notamment quand il s’agit de marques qui cherchent à faire leur promotion. D’une manière générale, on retrouve les drags un peu partout dans le milieu culturel aujourd’hui, et c’est génial. Bientôt dans les écoles peut-être ! Qui sait ? Paris aujourd’hui, Los Angeles demain !”

POPPYCOCK, Londres

“La scène drag et queer est bien plus diverse que ce que l’on voit à la télé”

 

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“J’ai commencé le drag dans des cabarets traditionnels, devant un public considérablement plus vieux, la plupart du temps des hommes blancs. Ces dernières années, j’ai vraiment vu une différence : le public est plus jeune, et surtout plus diversifié ! Ça vient directement de l’influence de Drag Race. Pour moi, c’est quelque chose de positif parce que ça a permis de faire accepter la culture gay à une audience plus large. En revanche, ça a provoqué une certaine homogénéisation de ce qui est considéré comme du “bon drag”, et il y a encore beaucoup de progrès à faire à ce niveau-là.

Le drag est politique par nature. Il sert à défier les normes de genre, même si certains ne le revendiquent pas directement. Nous sommes des piliers de la communauté queer et on se doit d’utiliser nos voix pour soutenir les luttes qui nous affectent. Poppycock me permet d’exprimer toute la féminité et l’extravagance qui n’est pas acceptée par la société chez un homme. Je peux être librement cette créature haute en couleurs qui danse et qui chante, et ce que j’aime avant tout, c’est être sur scène.

Le drag peut et doit être mainstream. Mais attention, seulement si l’on représente l’ensemble de la communauté : toutes les queens, kings et performeurs non binaires. Le drag, en tant que forme d’art infiniment diverse, est fait pour tout le monde.”

MORPHINE BLAZE, Paris

Drag Race ne donnait pas l’impression qu’une femme pouvait faire du drag”

 

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“J’ai toujours été extrêmement timide, je n’avais au début pas le courage de monter sur scène, alors je partageais mon travail sur Instagram. J’étais très influencée par l’idée que tout devait être visuellement parfait. C’est quand j’ai commencé à sortir que ma vision a totalement changé. Morphine est un personnage issu d’un film d’horreur rétro avec de mauvais effets spéciaux. J’avais besoin de m’exprimer créativement, et quand j’ai découvert qu’il y avait une scène parisienne après des années à voir des drag-queens dans des films et séries, je me suis lancée. J’avais 18 ans.

Au-delà des messages que l’on peut véhiculer à travers nos performances, être queer et exister de façon si ostentatoire dans une société qui essaie de nous cacher est déjà un acte politique. RuPaul’s Drag Race a apporté une visibilité indéniable au drag, mais on attend aujourd’hui que tous.tes les performeurs.euses ressemblent aux queens que l’on voit dans l’émission. Les drag-kings et les femmes qui performent en drag sont totalement invisibilisées, et toutes les personnes qui n’entrent pas dans le moule créé par la télé-réalité ont moins d’opportunités et de perspectives. Malgré la multiplication des shows, à Paris notamment, il est toujours très difficile de vivre d’un art queer, et le nombre de bars ou salles voulant bien nous accueillir – et nous payer – reste très restreint.

On se pose aujourd’hui la question de savoir si les espaces queers devraient être ouverts à tout le monde. En soi, je pense que la partie la plus “hétéro-friendly” (l’illusion féminine, par exemple, ndlr) du drag est devenue mainstream mais que le drag restera toujours en partie underground.

SHIGO LADURÉE, Paris

“Les queens d’aujourd’hui sont davantage influencées par le produit Drag Race que par son essence”

 

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“Je fais du drag depuis que j’ai 12 ans, aujourd’hui, j’en ai 18. J’ai eu le déclic en voyant une performance de Lady Gaga et RuPaul sur “Fashion!”, je ne savais même pas ce qu’était le drag à l’époque. Drag Race m’a nourri comme rien ne m’avait jamais nourri artistiquement, surtout les plus anciennes saisons qui mêlaient vraiment une touche old school à de nouvelles manières de voir le drag.

Beaucoup de drag-queens, à Paris notamment, ont commencé le drag récemment. Elles sont donc davantage influencées par le produit Drag Race que par son essence, et c’est là qu’est le problème. Les candidat.e.s profitent de la visibilité que leur procure le show, mais ça ne met pas en valeur leur art. Et certain.e.s sont de véritables artistes, réduit.e.s au statut de stars de la télé-réalité.

Shigo est une sorcière sortie d’un film sombre, parfois bonne, parfois mauvaise. Je la considère comme de l’art pur et je vois mon drag tous domaines artistiques confondus, même si mon cœur appartient à la ballroom* et à ma House, la House of LaDurée. Elle m’a redonné confiance en moi et m’a permis de me faire un nom dans la scène queer à Paris.

En 2021, le drag doit être d’autant plus politique que nous commençons à avoir une certaine visibilité. Le plus important pour moi est de donner une voix à ma communauté et à ceux qui n’ont pas toujours la parole, de parler des injustices infligées aux personnes qui me ressemblent, c’est-à-dire aux personnes queers noires et racisées.

AALIYAH XPRESS, Paris

“Aujourd’hui, je peux allumer la télé et me dire : je connais cinq drag-queens qui ressemblent à ça”

 

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“La popularisation du drag dans la culture mainstream lui a donné un nouveau souffle et une nouvelle visibilité. Et c’est tant mieux pour toutes les drag-queens et les artistes qui vont pouvoir en vivre partout dans le monde. Cette nouvelle mode a totalement bouleversé la scène parisienne. Le seul danger, c’est que l’on fasse tous une overdose. Mais si l’on regarde des émissions comme Top Chef, ça fait quinze ans que ça passe à la télévision et on ne s’en plaint pas.

Ce que l’on risque aussi, c’est l’uniformisation du drag. Beaucoup essaient de rentrer dans un moule, au détriment de leur singularité artistique, pour correspondre aux standards imposés par RuPaul’s Drag Race. Or, moi, j’aime l’aspect à la fois militant, éducatif et ludique du drag. Et ce que j’ai adoré avec l’émission au départ, c’était de voir représentés des hommes asiatiques gays à la télévision. Jujubee et Manila Luzon m’ont vraiment marqué parce qu’elles étaient très drôles. Et le jour où j’ai découvert qu’il y avait une vraie scène drag à Paris, je me suis dit que j’allais me lancer.

Pour moi, que le drag passe dans la culture mainstream signifie simplement davantage de visibilité pour les artistes, donc potentiellement plus de travail. Je n’ai pas vraiment à être pour ou contre, le fait est que c’est une réalité.” 

Morphine, Shigo, Aaliyah, Poppycock et Rose & Punani sont un grain de sable dans toute la diversité du drag. Si beaucoup déplorent l’impact démesuré qu’une émission de télé-réalité a pu avoir sur la culture populaire, c’est parce qu’elle touche à l’intime et à des luttes qui précèdent ceux-là mêmes qui s’en font les représentants aujourd’hui. Rien n’empêchera jamais les sous-cultures de se faire aspirer par la culture mainstream, mais tant qu’on n’oubliera pas d’où elle vient, la culture drag a encore beaucoup de beauté à répandre dans le monde… Parole de drag-queen !

*Le terme “ballroom” désigne une sous-culture créée par la communauté LGBT noire et latino-américaine aux États-Unis dans les années 1980 en réaction aux oppressions subies par la société majoritairement blanche. La ballroom, ou “ballroom scene”, organise des compétitions appelées “bals” où s’affrontent différentes “Houses” (des familles alternatives pour ces personnes souvent rejetées par leurs proches) dans des catégories prédéfinies de style ou de danse, notamment le voguing. La “ball culture” a notamment été popularisée par le documentaire Paris Is Burning (1990) et plus récemment par la série Pose du producteur américain Ryan Murphy.

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