Puis, les collections croisières qui ne sont pas remises en question : Elles sont certainement l’exemple le plus parlant de toute la dimension capitaliste et coloniale du système. Ces collections, dont les thèmes récurrents sont le “voyage” et “l’exotisme”, sont principalement montrées en dehors des capitales traditionnelles de la mode. Pour 15 minutes de show et une soirée, les maisons patrimoniales élisent domicile dans un paysage “exotique” (Cuba, Rio de Janeiro, Marrakech, Dubaï), déplacent dans le monde entier le petit monde feutré de la mode occidentale dans une débauche de moyens. Pour moi, c’est reconduire l’idée que l’Occident contrôle et a le monde entier à sa disposition. Ces collections sont aussi le moyen pour les marques de montrer toute leur puissance financière car évidemment, ce type de collection coûte extrêmement cher et mobilise énormément de monde. Elles sont un non-sens pour des questions environnementales et décoloniales et pourtant, elles sont toujours bien présentes dans le calendrier annuel des défilés.
Aussi, le diversity-washing du late capitalism : L’industrie de la mode a changé son fusil d’épaule devant tous les scandales provoqués notamment par la question de l’appropriation culturelle, de l’inclusivité et d’une meilleure représentation ethnique. Le capitalisme a ceci d’intéressant qu’il parvient à ingurgiter toutes les luttes féministes, queers, antiracistes pour appliquer un joli vernis et se protéger de toute forme de critique. L’idée pour les marques, c’est de mettre en place une très solide stratégie de communication qui, en définitive, s’apparente plus à du tokénisme qu’autre chose. Lorsqu’on s’inspire de cultures orientales pour une collection croisière, on va voir un déploiement sans précédent de contenus autour du processus créatif des artisans, de leurs savoir-faire exceptionnels, on cherche à montrer à quel point le dialogue interculturel est magnifique et que l’union fait la force. Mais si on fait un pas de côté, on se rend compte que pas grand-chose ne change. Ces artisans sont toujours relayé.e.s au rang de force de production, exploitable à merci, leurs savoir-faire étant mis à la disposition de grands groupes de luxe. Le fait de visibiliser les inspirations des collections permet aux marques de poursuivre leur cavalcade coloniale sans être attaquées en appropriation culturelle. Pourtant, l’Autre (qui est éloigné.e du studio et du processus de décision), bien que visible, est toujours représenté.e sans pour autant être en capacité de parler. La post-cultural appropriation dynamic, c’est juste la mode qui cite ses sources (ça devrait être la base pourtant…).
Et même chose pour l’inclusivité : Les podiums se peuplent de plus en plus de personnes racisées. On se croirait presque dans un revival de l’époque “United Colors of Benetton”. Pourtant, les vrais décisionnaires sont toujours très blancs et très occidentaux. Ce n’est pas parce qu’on montre une pluralité de corps et de races sur les podiums que la mode est antiraciste ou engagée dans une lutte contre la grossophobie. Entre inclusivité raciale, et exclusivité de la blanchité, le cœur de la mode occidentale balance…
Peut-on parler d’un Western gaze ?
Dans un monde globalisé, où les cultures tendent à se synthétiser (ou du moins à s’uniformiser), le système de la mode occidentale se pense toujours comme dominant et hégémonique. Le Western gaze, c’est un regard exoticisant et orientalisant. Il semble que le système de la mode occidentale se pense encore de façon très hégémonique. Un reliquat de l’époque coloniale où la mode était dominante et par là même s’octroyait le droit unilatéral de représenter à sa façon tous les peuples du monde. Le Western gaze, c’est d’abord et avant tout un réseau hyper complexe de représentations de l’altérité (une mode qui va puiser partout ailleurs pour se renouveler). C’est également le fait d’utiliser certains termes (exotique, ethnique, tribal, etc.) dans leur communication internationale (qui du coup n’est pas exclusivement réservée à l’Occident et qui positionne l’Autre dans une situation de subalterne). C’est aussi et surtout l’idée de l’unilatéralité de ce mouvement.