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En 2022, la transpi est-elle sexy?

Vive le glow de la sueur : alors que la canicule t’assomme, faut-il apprendre à célébrer ce phénomène naturel ?

Hello, it’s 40 degrés, Paris is burning et plus rien ne semble sexy in the city. Si l’air lourd et le soleil brûlant peuvent paraître tout à fait séduisants près d’une piscine ou en bord de mer, au quotidien, c’est une autre affaire. Prendre les transports ou se rendre au travail te confronte à une nouvelle expérience : celle de ton corps et du corps des autres auréolés de fines gouttes de sueur – alors qu’il n’y a ni vagues ni tapis de course à l’horizon. 

J’ai longtemps pensé qu’il y avait un côté sexy dans ces gouttelettes. Dans les clips pop, elles venaient recouvrir le bronzage de Britney Spears entonnant “I’m a Slave 4 U” ou Christina Aguilera en bikini et jockstrap dans le clip de “Dirrty”. Sean Paul faisait danser les filles dans les clubs jusqu’à les rendre “wet” tandis que Snoop Dogg promettait qu’il voulait juste “make you sweat”. Assurément, la sueur habillant ses corps dansant de la pop opérait telle la promesse d’une libido indicible, suggérée dans l’articulation images et paroles.

Au milieu de cette déferlante de promesses torrides subliminales, je croisais les publicités pour le parfum Dior Addict dont les corps luisants sentaient assurément la douce odeur du parfum, et non pas celle – naturelle – de la transpiration. No kidding ! Toute cette eau pour papier glacé et vidéoclip léché is far away from la réalité. Et ado, tu captes ça rapidement.

Alors que mon corps changeait, c’est dans les vestiaires du collège – lieu d’examen et de comparaison de son corps face aux autres – que j’ai appris à discipliner cette sueur à coups de déodorant. Quand on ne transformait pas la bombe aérosol en lance-flamme, on s’échangeait cet allié en débattant de la pierre d’alun.

En classe, les traces sous le t-shirt sont scrutées – on se moque de celles des profs les plus âgées. Je constate également que les garçons ne semblent que peu s’en soucier, car la sueur leur permet de renifler leur propre virilité naissante.

Je grandissais, apprenant qu’en tant que jeune fille puis femme, l’ensemble des liquides que je sécrétais n’avait rien de séduisant, mais que l’illusion parfumée de la sueur glissant sur un corps blanc ferme, discipliné par des heures de sport, pouvait être récompensée. Dirty a little, mais si le reste est bien conforme aux codes du moment, that’s hot I guess. Évidemment, la sueur validée raconte en creux des systèmes de discriminations raciste, classiste, validiste ainsi qu’un certain jeunisme ambiant.

 

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Hook up culture : sweat and sex

Si today, la célébration du Y2K est everywhere, tout n’a pas été conservé selon la norme de l’époque – thank god ! Notamment les corps blancs bronzés musclés et minces alors idéalisés. Tu ne pouvais pas les éviter : de Gucci à Calvin Klein, ils étaient l’étendard d’une jeunesse célébrée à travers une combinaison alliant fermeté et sueur, signalant une sexualité abondante. Que ce soit dans le luxe ou pour te vendre des glaces : sweating est la preuve d’une sex life accomplie que tu peux atteindre en achetant le produit. Bienvenue dans la hook up culture qui contamine tous les pans de la consommation.

Why ? Début 2000, le mariage perd de son pouvoir et le modèle de la love life occidentale mute en de nouvelles expressions et récits : coup d’un soir, booty call et speed dating. On le devine dans les films comme No Strings Attached mais aussi dans Sex and The City où le décompte des conquêtes des héroïnes est un leitmotiv. Le sexe hors mariage is okay mais hétéronormé et sex actif. Le brin de sueur, maîtrisé sans odeur, en est l’indice. Le philosophe Jean Baudrillard explique qu’il s’agit d’une “vitrification du corps”, le moyen d’en faire en tableau délié de la nature. En somme, on aime la sueur artificielle. Et be careful car d’un corps à l’autre, ce film brillant peut redevenir “naturel” et est donc suspect, et vulgaire. Give you one example : quand Britney sue, elle est provocante mais non vulgaire. Tandis que Christina Aguilera, aka X-tina, sue le sale, en partie à cause de sa binationalité selon la chercheuse Jennifer Musial.

La sueur permet également de mettre à la marge le corps féminin “déréglé”, perdant sa fonction reproductrice essentielle au patriarcat.

Le sweat shame : racisme, âgisme et autres reflux

Si la sueur ramène à l’animalité, comme l’explique l’anthropologue Gilles Raveneau dans Traitement de la sueur et discipline du corps, elle sert aussi les discours racistes. Dans ses écrits, le sociologue Stuart Hall donnait l’exemple de plusieurs stéréotypes courants à l’encontre des personnes noires, ramenées à des états primitifs. Cette sécrétion expulsée du corps symbolise alors un manque de contrôle, mais aussi la victoire du corps contre l’esprit.

La sueur permet également de mettre à la marge le corps féminin “déréglé”, perdant sa fonction reproductrice essentielle au patriarcat. Je me souviens des nombreuses bouffées de chaleur de ma mère, rougissant et fondant de honte, obligée de choisir un sac à main plus large afin d’y glisser de petites serviettes pour s’éponger et ainsi contrer cet imprévu, de peur de voir son intimité s’exposer sur son front. Ses serviettes opéraient comme un seuil pudique, lui évitant toute discussion trop intrusive. Pourtant, on lui glissait “Alors tu vas à la piscine ?” si jamais la fameuse serviette dépassait de son sac.

En 2015, la journaliste du Guardian Amy Roe signait une tribune intitulée Why I was sweat-shamed as I waited for my coffee at Starbucks où elle dénonçait ce qu’elle nommait le sweat-shaming. Elle y décrivait le sexisme mais aussi la grossophobie latente. La sueur, quand elle est coincée entre des bourrelets ou des rides au lieu de couler habilement le long d’un corps lisse et ferme, devient une sécrétion négative.

Comme tout ce que le corps expulse, la sueur s’apparente à un déchet. Comme tout ce qu’on ne peut pas contrôler, elle est assimilée à un indice d’incompétence. Réprimée dans l’espace public, validée dans les fantasmes intimes, elle est un symbole ambivalent soumis à une intense domestication. Pourtant, elle est le signe d’un corps qui fonctionne et se débarrasse des éléments toxiques.

D’ailleurs, quelques toxines sont en train d’évacuer mon front au moment où j’écris ces lignes. Il fait déjà 38° et je repense à Britney, à ma mère, à mon corps d’adolescente, en me disant que si la canicule nous permet de devenir plus réalistes sur notre rapport au corps, on n’aura peut-être pas sué pour rien. 

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