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Musique

Divine Anitta

Le jour où je rencontre Anitta – née Larissa de Macedo Machado –, dans une suite du Mondrian Hotel à Los Angeles, elle vient à peine de rentrer de la Fashion Week de Paris. Plus précisement, elle se réveille tout juste d’une sieste. Un battement de cils plus tôt, elle était au premier rang du show Valentino, assise à côté de Vanessa Hudgens, et prenait des photos avec son proche collaborateur, le chanteur et comédien Maluma, à l’affiche de la comédie romantique Marry Me avec Jennifer Lopez. Tu la connais déjà. Anitta est aussi une star en France : l’été dernier, son titre "Mon Soleil" avec Dadju a fait un carton sur lequel toi-même tu as dansé.

Photographes : AB+DM
Styliste : Jan-Michael Quammie

Manteau FENDI
Boucle d’oreille BEN-AMUN

Assise à quelques mètres de son lit, la jeune femme de 28 ans rayonne d’aise et de confiance, comme si l’amour de ses fans flamboyait à travers elle. Haute comme trois pommes, elle est vêtue d’un débardeur blanc et d’un jogging Gucci bleu qu’elle a enfilé pour notre conversation. « Avant que tu n’arrives, j’étais à poil », dit-elle. Elle rit sans détourner le regard. « Juste en culotte. Je suis comme ça ! »

 Elle est surexcitée et saute sur l’occasion de me livrer chaque détail de sa performance à Coachella, son plus gros concert aux USA jusqu’ici. Elle sort son iPhone, fait défiler les photos de ses nombreux chiens pour m’en montrer une de la scène. Le décor est celui d’une énorme favela, une reproduction artistique du quartier pauvre et surpeuplé dans lequel elle a grandi. Et avec de vraies motos.

« Je regardais ce documentaire sur Disney World et j’ai vu ce type, Joe [Rohde], qui a construit le parc Animal Kingdom. Il y avait tellement de fantaisie, de nature, de magie », sourit-elle. « J’ai réussi à le convaincre de créer tout le décors de la scène pour moi. Walt Disney était un rêveur, et c’est comme ça que je suis aussi… Il fallait que j’amène mon pays [à Coachella]. D’une manière ou d’une autre. »

Anitta para revista NYLON France

Robe MELITTA BAUMEISTER / Boucles d’oreilles BEN-AMUN / 
Bague UNCOMMON MATTERS

Voilà tout ce que tu dois savoir sur Anitta : elle est une des artistes les plus connues d’Amérique du Sud depuis une décennie maintenant, avec quatre albums studio à son actif – ce qui fait d’elle une sorte de phénomène pop à qui il manque la reconnaissance aux Etats-Unis et en Europe. (Ça, c’est pour bientôt.) Elle a donc décidé de redémarrer sa carrière en chantant en anglais, qu’elle parle couramment.

Versions of Me, son nouvel album, est un mélange hyper-éclectique qui reflète sa palette d’inspirations cosmopolite : reggaeton, pop, funk ; tout y passe, du pop-punk « Boys Don’t Cry », inspiré de Panic! at the Disco, au banger grinçant « Rather Have Sex ». C’est aussi son introduction officielle au public américain. Sur son tube anglophone « Girl From Rio », réinterprétation audacieuse de « The Girl From Ipanema », elle chante : « Hot girls, where I’m from, we don’t look like models / Tan lines, big curves, and the energy glows ». (Hot girls, d’où je viens, on ressemble pas à des mannequins / des marques de bronzage, des courbes, et l’énergie rayonne.)

« Je n’essaie pas de rejouer le rêve américain », dit-elle. « Je suis une Brésilienne, je fais ce que j’aime. »

Et pas mal de monde aime ça aussi. Elle a 93 millions de followers entre Instagram, TikTok et YouTube, et ses vidéos YouTube ont été vues plus de 5 milliards de fois, ce qui fait d’elle l’une des musiciennes les plus influentes des réseaux sociaux, selon Billboard. Ce n’est pas tout : au moment de cette conversation, son légendaire booty-shaking a déjà inspiré la tendance TikTok « Envolver ». Cette trend consiste à se laisser tomber en position de planche et de twerker à la manière brésilienne – dite « o quadradinho » – pour un postérieur de compétition. Elle s’est également produite lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Rio, lors d’un Grand Prix de Formule 1 et a dirigé les défilés du carnaval.

Un jour, Anitta a même rencontré Mariah Carey dans une boutique à Aspen, et elle raconte qu’elles ont toutes deux pleuré, en admiration l’une de l’autre. (« Imaginez ! », s’exclame-t-elle.)

Elle est aussi le sujet et la vedette de deux séries documentaires Netflix, Vai Anitta en 2018 (qui a permis au monde de découvrir son presque mari – on y reviendra) et Anitta : Made in Honório (qui décrit sa relation particulière avec la célébrité). Elle a collaboré avec Cardi B, Diplo, J. Balvin, DJ Snake, Snoop Dogg et même Madonna. « Avec son éthique de travail, il n’y a pas de limites à ce qu’elle peut faire », dit DJ Snake. « Avec elle, what you see is what you get. Pas de chichis hollywoodiens. C’est une vraie fille de Rio. »

Diplo est d’accord. « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui travaille aussi dur qu’elle », dit-il. Le producteur, qui a collaboré avec Anitta sur plusieurs titres de Major Lazer, souligne que la chanteuse fait bien plus que de passer d’un genre et d’un marché à l’autre. Il explique que, contrairement aux rythmes latins, par exemple, la musique en portugais reste souvent confinée au marché brésilien, et que la plupart des Américains n’en ont jamais entendu parler. Anitta a dû repartir du début. « Aucun.e autre artiste n’a l’indépendance d’esprit et la confiance pour faire ça tout.e seul.e. » Il marque une pause. « Et elle est putain de sexy. »

Anitta para revista NYLON France

Robe et bottes BALENCIAGA / Oreille droite, boucle d’oreille SAUER / Oreille gauche, boucle d’oreille L’ENCHANTEUR

Anitta para revista NYLON France

Je n’essaie pas de rejouer le rêve américain », dit-elle. « Je suis une Brésilienne, je fais ce que j’aime.

Fille d’une mère artisan et d’un père vendeur de batteries de voitures, Anitta est née et a grandi dans la favela Honório Gurgel de Rio de Janeiro. Elle dormait dans la même chambre que sa mère et son frère car c’est là qu’il y avait la clim, un luxe qu’ils ne pouvaient se permettre d’allumer que quelques minutes la nuit. Ils sont toujours proches. « Ma famille est mon point d’ancrage », dit-elle. « Quand je rentre à la maison, on me traite comme la même meuf que toujours. Je leur parle littéralement tous les jours. »

En 2010, alors qu’elle avait 16 ans, elle devient virale dans son quartier. Vêtue d’une mini-robe rayée, elle se filme en train de chanter un déodorant à la main avant de l’uploader sur YouTube. La vidéo attire l’attention de Furacão 2000, un label brésilien spécialisé dans le funk carioca, et sa carrière démarre. Elle commence à utiliser le nom de scène Anitta (inspiré d’une mini-série brésilienne lolita-esque) et se fait connaître sous le nom de Hurricane Anitta dans le quartier.

« Le funk au Brésil était comme le hip-hop dans les années 90 en Amérique : il venait des quartiers pauvres », explique-t-elle. C’est pareil pour le reggaeton en Amérique latine : il est diabolisé pour ses paroles qui racontent la réalité quotidienne. Le trafic de drogue, le sexe, les armes à feu. La société a voulu criminaliser le rythme. Mais le rythme n’est pas coupable. Si vous changez la réalité de ces quartiers et leur donnez des opportunités, les paroles vont changer. »

Anitta n’avait pas le luxe d’attendre que la réalité change, alors elle a modifié les paroles pour refléter la société telle qu’elle aimerait qu’elle soit. Elle s’est formée aux idées optimistes de « l’empowerment, du féminisme, de l’indépendance » – le genre d’idées que Beyoncé épousait au même moment, à 8 000 km de là – et les a intégrées au funk carioca. Son son a évolué vers un hybride pop-funk, ce qui lui a permis de passer à la radio, même si le funk était alors banni sur les ondes. Ce mélange reflète également les tensions de la société brésilienne, où le mariage gay est légal depuis 2013 mais où la violence à l’égard des femmes et des personnes LGBTQIA+ est endémique. (Anitta critique ouvertement le président brésilien d’extrême droite, Jair Bolsonaro).

Dans ce contexte culturel, il n’est pas surprenant qu’Anitta soit devenue celle qui fait bouger les lignes du côté féministe de la pop. En 2017, lorsqu’elle a sorti le clip de sa chanson « Vai Malandra », filmé sur les toits des favelas et mettant en scène de magnifiques corps nus de toutes tailles et formes, elle a choisi d’afficher sa cellulite.

Anitta para revista NYLON France

Robe et couvre-chef VAQUERA / Boucles d’oreilles DORSEY / Collier JOANNA LAURA CONSTANTINE / Bracelet UNCOMMON MATTERS

Si certain.e.s y ont lu divers statements politiques, en réalité, la pop star, qui était sa propre manageuse au moment de la production du clip, a simplement décidé que la technologie pour gommer la cellulite à l’écran était trop chère.

« J’ai fait des centaines de chirurgies esthétiques, mais je n’en ai pas trouvé une qui m’enlève la cellulite », dit-elle en riant bruyamment. « Des femmes sont venues me voir en me disant : ‘Maintenant, je me sens à l’aise d’aller à la plage, parce que tu es un sex-symbol, tu as de la cellulite et tu t’en fiches. Je ne devrais pas m’en soucier non plus.’ Et je réponds juste : Yes ! »

Pour être claire, s’il existait un remède magique contre la cellulite, Anitta serait la première à admettre l’avoir utilisé, dit-elle. Le Brésil a le deuxième taux de chirurgie esthétique le plus élevé au monde, et Anitta a pris sa part : rhinoplastie, remodelage de la mâchoire et multiples réductions mammaires, entre autres. « Je ne vais pas faire semblant d’être ce que je ne suis pas », dit-elle. Clairement, elle considère le fait d’embrasser ses contradictions – fake et vraie, objectifiée et empowered – comme une mission féministe. « Il y a beaucoup de machisme [dans le monde] », explique-t-elle, « et c’est fou comme les gens ont besoin de décrire les femmes en mode ‘Elle est bonne à marier’ ou ‘C’est une fille pour s’amuser’. J’emmerde tout ça. Je veux être celle que tu épouses et celle avec qui tu t’amuses. »

Elle fait une pause. « Les filles n’ont pas besoin des hommes pour quoi que ce soit. On a des vibromasseurs, on a des potes. On a des amis gays, ce qui est bien mieux que n’importe quel autre putain de mari. Crois-moi. »

Il y a cinq ans, lors d’une cérémonie privée dans la forêt amazonienne, Anitta a épousé son petit ami de l’époque, l’homme d’affaires Thiago Magalhães. Elle présentait une émission de télévision brésilienne appelée Música Boa, et il était venu avec le business partner d’Anitta. Il l’a trouvée trop impertinente, elle s’est montrée persévérante et ils sont tombés totalement amoureux.

Puis est venu le mariage, sauf que, dit-elle, pas vraiment. « [Il] n’était pas vraiment mon mari. C’était juste parce que j’avais besoin qu’il signe un contrat de mariage », dit-elle. Leurs vies étaient entremêlées et elle voulait que leurs finances restent séparées, alors elle a inventé un « contrat de mariage romantique ». « Je l’ai mis en place. J’étais amoureuse, mais je voulais séparer mon argent – j’étais rationnelle. Je savais qu’il ne signerait pas si je cadrais pas le truc amoureux ». Il n’existe pratiquement aucune photographie de leur mariage, mais dans Vai Anitta, on la voit très affectueuse avec son mari, l’appelant fréquemment son esposo.

« Si tu es amoureux.se », dit-elle en se penchant sur le magnétophone, « assure-toi de signer un contrat de mariage. Quoi qu’il arrive. »

Mis à part les conseils sur le mariage, Anitta – qui est ouvertement bisexuelle (« Je déteste cacher des choses », dit-elle. « Ouais, je baise avec des filles aussi ») – admet qu’elle a actuellement un petit ami. C’est une relation ouverte, ce qui est idéal pour sa vie de jet-setteuse. « J’ai 15 millions de petits amis », résume-t-elle. (L’un d’eux, a-t-elle confié à Jimmy Fallon, a participé au Super Bowl.) Mais elle garde pour elle l’identité de son principal boyfriend. « Si le gars me fait me sentir respectée et incroyable, j’en ai rien à foutre qu’il baise avec une autre », explique-t-elle. « J’ai eu des petits amis qui ne m’ont jamais trompée mais qui me traitaient comme de la merde. Ça, c’est déloyal. »

Anitta para revista NYLON France

Manteau FENDI / Boucle d’oreille BEN-AMUN

Dans le premier épisode de son show Netflix 2020, Anitta, sans maquillage et simplement habillée d’un polo vert, elle se filme assise sur un lit d’hôtel blanc. Elle est au bord des larmes. « Quand j’avais 14 ou 15 ans, j’ai rencontré quelqu’un. J’avais peur de lui. » Son regard se détourne de la caméra. « Il a juste fait ce qu’il voulait faire. Quand il a fini, il est allé se chercher une bière, et moi je suis restée à fixer le lit taché de sang. Ce n’est que récemment que j’ai arrêté de me reprocher ce qui s’est passé. » 

Puis elle regarde directement dans l’objectif : « Pour toutes celles et ceux qui se demandent comment Anitta est née, voilà comment. Elle est née de mon désir et de mon besoin d’être une femme courageuse, à qui personne ne pourra jamais faire de mal. » Elle me parle de sa décision de rendre publique cette agression sexuelle, et se penche plus près (de moi) – un geste d’intrépidité, ou alors pour s’assurer que je la comprends bien. Peut-être les deux. Les journalistes gravitaient autour de cet épisode, dit-elle, et elle s’est sentie menacée. « C’est pour cela que j’ai parlé de mes abus vécus adolescente. Je savais que ça allait sortir, et pas par ma bouche… Je vais raconter ma propre histoire. Je n’ai peur de rien. 

Généralement, lorsqu’un.e musicien.ne enregistre sous un pseudonyme, c’est un bouclier, mais la Anitta de Larissa est plus une arme qu’une armure. « Anitta est une personne que j’invoque chaque fois que j’ai besoin d’être forte », dit-elle. « Si je n’avais pas ce personnage qui fonce, mais que je peux éteindre et revenir à moi-même, je serais perdue. »

Vers la fin de notre conversation, je remarque qu’Anitta est assise avec ses mains sur ses cuisses, les paumes tournées légèrement vers le haut – une position que Winona Ryder a décrite en 2016 comme lui permettant de « se sentir vulnérable », de communiquer sa vulnérabilité. Star au Brésil, elle a remonté le temps en arrivant aux USA, à l’époque où elle était encore Larissa et qu’elle pouvait se balader librement sans attirer la foule. Une liberté qu’elle est condamnée à perdre avec le succès.

« Ma mère m’a raconté une histoire. Quand j’étais adolescente, j’ai commencé à sortir, j’aimais faire la fête. Elle m’a dit : ‘Ma fille, tu dois rester à la maison.’ Et j’ai répondu : ‘Un jour viendra [où] tu me supplieras de sortir et je ne pourrai pas le faire parce que je serai trop célèbre.’ » Elle poursuit : « [Puis] il y a eu ce jour où elle m’a dit : ‘Tu as tellement travaillé. Sors avec tes ami.e.s.’ Et je l’ai regardée : ‘Je t’avais dit que ce jour viendrait.’ »

Capa revista NYLON France com Anitta

Robe CHRISTIAN SIRIANO / Boucles d’oreilles STATE PROPERTY / Gants ELISSA POPPY

Journaliste : Maria Sherman
Photographes : AB+DM
Styliste : Jan-Michael Quammie
Maquilleur : Adam Burrell
Coiffeur : Jesus Guerrero
Manucure : Tom Bachik
Set Designer : Carlos Lopez
Talent Bookings : Special Projects
Photo Director : Alex Pollack
SVP Creative : Karen Hibbert
SVP Fashion : Tiffany Reid
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