Des HLM aux salles obscures, ma 6T a-t-elle vraiment craqué ?
Le fantasme des “quartiers” est omniprésent dans le cinéma français. Mais que raconte ce fantasme de la banlieue dans l’imaginaire national ? Et quels clichés garde-t-il en vie ?
Le fantasme des “quartiers” est omniprésent dans le cinéma français. Mais que raconte ce fantasme de la banlieue dans l’imaginaire national ? Et quels clichés garde-t-il en vie ?
Avant de me lancer dans une typologie de ce que le cinéma nomme de façon pour le moins floue “la banlieue”, laisse-moi revenir sur cette appellation, sur les fantasmes qui collent aux couleurs de sa peau, à quoi elle correspond, à sa signification symbolique.
D’abord dans la presse : de quoi parlent les médias quand ils désignent la “banlieue” ? Aubervilliers ou Saint-Cloud ? Évidemment, ce n’est pas de Neuilly ou Levallois dont il est question, mais bien de La Courneuve, Saint-Denis et d’autres. En somme, des espaces géographiquement bien délimités dans le 93, érigés comme symbole de l’immigration, de la violence, de la délinquance et du deal de stups qui sont censés y régner.
First things first, cette délimitation géographique de la banlieue “violente”, si je puis me permettre, est fausse et parisiano-centrée. La Guillotière, les Minguettes, les quartiers nord marseillais, et bien d’autres existent en dehors de cette zone fantasmée qu’est le nord-est de Paris. Ces “quartiers”, connus pour leur médiatisation uniquement négative, ne sont pas les zones de non-droit décrites où en tant que femme on risquerait sa vie à chaque instant. J’y ai vécu et je n’en garde aucun mauvais souvenir, si ce n’est celui du harcèlement sexuel masculin, présent partout ailleurs dans la ville et non spécifique à ce quartier. La misogynie n’a pas de périmètre délimité.
Cet imaginaire collectif est nourri par le ton utilisé par les politiques quand ils parlent des quartiers, qui, dans leurs bouches, sont toujours sales, cf. “le bruit et l’odeur” (Chirac) à “nettoyer au Kärcher” (Nicolas Sarkozy).
D’abord, la banlieue, c’est varié, ce n’est pas que des cités, mais aussi des zones riches, des zones pavillonnaires et pas seulement des barres HLM dégradées qui titillent l’œil de bobos fascinés par l’architecture brutaliste.
Ensuite, ce cliché du banlieusard ne sachant pas s’exprimer dans un français dit correct fait très souvent abstraction de tous.tes ces fils et filles d’immigré.e.s en réussite scolaire qui déjouent Bourdieu. Vivre en ZEP ne signifie pas qu’on n’a pas d’éducation et qu’on refuse les structures républicaines.
Et puis la violence ne règne pas en maître partout dans les cités comme te le font croire beaucoup de films. Les cités, c’est aussi un maximum de populations pauvres entassées sur un minimum de place, comme un village – on s’inquiète pour ses voisins, on s’entraide et on se tire vers le haut – mais tout en hauteur, dans les fameuses unités d’habitation du Corbusier.
“Il faut entasser un maximum de personnes sur un minimum de place”, comme dit Mehdi Charef, auteur et réalisateur du Thé au harem d’Archimède, l’un des premiers films réalisés sur la banlieue par des gens de banlieue, sorti le 30 avril 1985.
Avec la naissance du genre du “film de banlieue” se construit des imaginaires autour de celle-ci, je t’en présente une petite typologie avec ces spécificités et sous-genres.
La banlieue au grand cœur
Cette catégorie est typique du cinéma français : le film offre une belle leçon de vivre-ensemble sur fond de racisme systémique. Le scénario est simple : le personnage principal est une personne noire ou arabe qui vient très souvent d’un quartier “chaud” et il va rencontrer une personne blanche qui veut bien se dévouer pour l’aider. À terme, elles apprennent l’une de l’autre, et le ou la Caucasien.ne se rend compte de ses préjugés. Comme si le travail de déconstruction de ce racisme incombait à ses victimes, et que quelques remarques racistes valaient bien une éducation républicaine.
Dans ce genre-là, tu as donc Neuilly sa mère, un film retraçant l’arrivée de Samy à Neuilly. Originaire de Chalon, il débarque chez sa tante mariée à un riche. Samy va devoir subir le racisme de son cousin pro-UMP du même âge mais aussi devoir manger du porc à son insu via une moquerie de ses camarades et s’excuser auprès de son défunt père d’avoir réagi aussi mal (il les a frappés). Il finit par conquérir le cœur de sa blonde bien aimée (car lui, les femmes de sa communauté, ça ne l’intéresse pas) et s’intégrer à Neuilly. Somme toute la trajectoire attendue des Arabes transfuges de classe qui se prêtent au jeu de l’intégration en lissant leur côté (attention, guillemets) “sauvageon”.
Avec une petite variante, quand la mission d’éducation et d’intégration vise les femmes arabes, considérées elles aussi comme un peu trop “sauvages” et rebelles pour rentrer dans les ordres. Un cas illustré parfaitement par Le Brio, où un prof de droit aux idées bien arrêtées – pour ne pas dire racistes – se voit dans l’obligation de préparer Neïla Salah à un concours pour se racheter d’une vidéo leakée de ses commentaires islamophobes. S’ensuit une aventure où l’enseignant échange racisme et formation au droit contre une bonne leçon de vivre-ensemble. Bien sûr, Neïlah n’aurait pas pu réussir le concours sans son aide…
La fable politique dystopienne
Ici, le pitch est simple, c’est souvent une bavure policière qui est à l’origine de l’intrigue. Les rôles principaux sont quasi uniquement des rôles masculins – des personnages arabes, noirs ou juifs, symboles d’une masculinité violente et peu raisonnable. Le film suit généralement un personnage qui veut venger le meurtre de son ami.e ou alors un perso plus pacifique (souvent caucasien) qui tente de dissuader les autres protagonistes de l’escalade de violence dans laquelle ils s’embarquent. Le film commence et finit dans le sang, sans alternative possible.Très souvent réalisés par des réalisateurs blancs, ils ne montrent que le cliché violent construit par la presse de droite sur les cités.
Le film emblématique du genre, c’est La Haine de Mathieu Kassovitz. Trois copains mènent la danse : Vinz, un apôtre de la haine comme méthode de survie, très fier d’avoir récupéré le pistolet perdu par un policier, Saïd, un petit délinquant, et Hubert, un jeune boxeur impliqué dans l’action associative pacifiste. Spoiler alert : it ends in gunshots.
Plus récent, Athena réalisé par Romain Gavras (le fils des producteurs de La Haine) se veut l’archétype hyper-esthétisé de ces dystopies brutales. Filmé avec des drones, le film ressemble à un immense clip sur fond de sang et de haine. Le long-métrage raconte comment la mort d’un jeune attribuée à des flics amène à une insurrection et une guerre civile. Au menu, des scènes d’affrontements, trois frères, dont un dealer, un vétéran de la guerre et un désireux de se venger.
Mention honorable pour Ladj Ly avec Les Misérables, qui met en scène une bavure policière commise par deux officiers qui tentent de se couvrir tant bien que mal pour en arriver à un guet-apens dans un immeuble et une citation des Misérables de Victor Hugo : “Mes amis, retenez ceci : il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes, il n’y a que de mauvais cultivateurs.”
On a fresher note, j’aimerais te parler d’autres modèles. Gagarine, sorti en 2021, mêle subtilement l’onirisme des rêves et aspirations de ses personnages tout en étant ancré dans le réel et la banlieue qu’il décrit comme plus humaine, plus soudée. Il faut un village to raise a kid et c’est cette entraide qu’on peut voir dans ce film. Il y a aussi L’Esquive, qui raconte l’histoire de trois adolescents vivant en HLM reprendre une pièce de Marivaux. Malgré une scène d’arrestation musclée dans le film, le ton conserve un aspect innocent pour se focus sur un amour naissant, la jalousie d’un amour éconduit et la difficulté d’adapter une telle pièce quand le vocabulaire ne leur parle pas.
Esquiver, justement, ce serait une solution, face à de telles actualités, quand on voit une cagnotte qui ressemble à une récompense pour la mise à mort d’un adolescent dont la seule faute était d’être arabe. Mais aujourd’hui, je suis fatiguée de regarder ailleurs ou de faire l’autruche, il est temps de vraiment parler d’une situation qui ne peut plus durer.
“Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images”, écrivait Debord dans La Société du spectacle, soulignant le besoin urgent d’une représentation la plus juste possible quand on traite de la banlieue. Parce qu’il est grand temps que les mentalités commencent à progresser.