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Corecore : quand TikTok devient toc toc

La trend la plus méta d’Internet peut-elle te sauver de la consumerist anxiety et du doomscrolling ?

Ces dernières saisons, le suffixe “-core” a fait une entrée fracassante dans ton lexique. Popularisé par TikTok, ce suffixe fait référence à la tendance de niche qui le précède. Barbiecore pour l’univers des féru.e.s de Barbie, Cottagecore ces deux derniers étés pour les fans de la Petite Maison dans la prairie, mermaidcore à la sortie de La Petite Sirène, fetishcore comme je t’en parlais la semaine dernière.

Une minute grammaticale : dans sa traduction stricte, “core” désigne le cœur, le noyau de quelque chose, les racines parfois. À l’ère de la Gen Z et de TikTok, il dérive de son sens premier pour surtout faire référence et étayer l’esthétique du mot qu’il complète. Le Barbiecore est un monde rose et plastique, le gothcore te mènera à une nouvelle génération ambiance emo, cimetière et cigarettes.

Aujourd’hui, the most cryptic of all, j’ai découvert le “corecore”, ou la tendance des tendances, soulignant l’aspect trendy du suffixe, et une boucle méta enfin bouclée.

Mais c’est quoi le corecore ?

Le #corecore, avec ses twins #nichecore ou #nichetok, consiste en des montages de photos et de vidéos d’à peu près tout ce que ton algorithme te suggère sur ta page For You, dans une association aléatoire et dystopienne.

Essaye d’imaginer : des employés de fast-food qui continuent à prendre les commandes pendant une inondation, un homme qui t’explique comment devenir millionnaire en dix secondes, un autre disant qu’il veut élever des poulets dans le métavers – tout ça dans une même vidéo avec un fond sonore un peu mélancolique.

Pour faire simple, c’est une juxtaposition de courtes vidéos mélangeant parfois des clips qui ont fait la une d’Internet à d’autres contenus un peu plus cryptiques comme l’éclosion d’une fleur ou quelqu’un qui saute en élastique accompagné d’une musique douce. Ça sonne un peu comme une agglutination de contenus sans queue ni tête, mais c’est justement le principe : te donner à voir le contenu le plus post-Internet possible dans un but introspectif.

Un peu déprimant maybe… Et quel rapport avec l’idée de la tendance des tendances ?  Oui, le noyau du noyau, ça sonne très méta indeed. Je t’explique rapidement.

Je te parlais de la référence à l’esthétique du mot que “core” complétait tout à l’heure : la plateforme dénature les mouvements gothiques ou emo pour ne s’intéresser qu’à leur esthétique, elle ne prête donc attention qu’aux côtés “montrables” de ces mouvements. Chaque tendance ne deviendrait alors qu’un catalogue d’articles à acheter, avec leurs comportements associés. Les trends “core” ont ainsi tendance à vider le sens profond des mouvements qu’elles récupèrent. #Corecore pourrait se définir comme une esthétique parodique du capitalisme : un cadavre exquis de moments consuméristes, connectés, reflet d’une anxiété grandissante et du chaos postmoderne.

Surréalisme ou simple réalisme capitaliste ?

“Surréalisme web pop”, disaient certains médias à propos de cette trend. Pour rappel, André Breton définissait le surréalisme ainsi en 1924 :“Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique et morale.”

Tu te souviens des Montres molles de Dalí, j’imagine ? Je ne prétends pas connaître le véritable sens de ce tableau (si toutefois il avait une signification universelle) mais pour moi, il y a un lien entre surréalisme et corecore. La Persistance de la mémoire (le vrai titre de cette œuvre) et les montages vidéos aperçus dans la niche des niches ont un point commun : leur dimension anticapitaliste.

La Persistance de la mémoire, Salvador Dalí, 1931

Dans les Montres molles, cette dimension se retrouve dans la distorsion du temps, et donc de la productivité. Les montages corecore montrent aussi une forme de distorsion – de ton temps passé sur les réseaux sociaux – mais avec une absence de réflexion, une absence de traitement de l’information. La réflexion est livrée dans sa forme la plus brute et c’est à toi de remettre le puzzle en ordre.

Ces montages vidéo pourraient être vus comme des automatismes de la pensée, des vidéos mises bout à bout sans but précis, mais c’est ce réalisme mordant qui les différencie du courant surréaliste, car si les montres de Dalí ont subi des modifications, ce que tu vois dans ces montages, ce sont des vidéos se succédant sans autre traitement qu’un fond sonore et un montage. C’est cette transparence qui ne laisse pas indifférent. Et qui permet de provoquer un changement dans ta façon de consommer les réseaux sociaux.

Le corecore pour sortir du doomscrolling

Tu connais le doomscrolling ? Toi comme moi, on a déjà scrollé des heures au point d’oublier pourquoi on était en train de le faire. Le doomscrolling vient de là, c’est une pratique qui consiste à passer des heures à scroller sur un écran en absorbant une quantité excessive de news négatives ou dystopiques. Par exemple, tu peux tomber dans l’éco-anxiété en te nourrissant de rapports catastrophiques du GIEC et autres bad news sur le climat et créer ainsi une boucle où tu nourris ta propre angoisse.

Quand le temps libre sert à échapper de façon superficielle au monde qui nous entoure, mais que ce sas de décompression est déjà structuré par les forces desquelles on tente de s’extraire (par exemple : consumérisme, repos chronométré ou même regarder des écrans), ce “temps libre” ne te repose qu’à moitié jusqu’au recommencement du travail, expliquait le philosophe Theodor Adorno dans les années 1970.

Le doomscrolling et toutes les tentatives d’esquive de la réalité stressante sont déjà structurées par ce à quoi tu tentes d’échapper, et donc vaines. En revanche, le corecore, en faisait prendre conscience de ce scrolling inconscient, opère une action singulière en se faisant acteur de cette anxiété généralisée, et te permet de reprendre le contrôle sur les algorithmes qui te balancent du contenu en continu. Voilà pourquoi tu avais besoin du corecore.

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