Comment “Moesha” et ses consœurs continuent d’impacter la mode
Retour sur les séries afro-américaines des 90's, dont la cultissime Moesha incarnée par la chanteuse Brandy, et sur un style qui n’a pas bougé d’un cil.
Retour sur les séries afro-américaines des 90's, dont la cultissime Moesha incarnée par la chanteuse Brandy, et sur un style qui n’a pas bougé d’un cil.
Fabiola Ching est un pur produit des années 90. Dès l’âge de 6 ans, elle a commencé à développer son sens de la mode en regardant quotidiennement des films de Nollywood (le Hollywood nigérian). À l’adolescence, son style personnel s’est épanoui à travers l’univers des sitcoms afro-américaines comme Moesha, Sister, Sister, Girlfriends et Living Single.
“Plus je voyais à la télévision des femmes qui me ressemblaient, qui arboraient des tenues et des coiffures expérimentales, plus ma passion s’amplifiait”, confie la jeune femme de 24 ans à NYLON. Effectivement, les séries afro-américaines de la fin du millénaire ont été les premières à représenter la diversité à l’écran et à faire la promotion de marques de mode émergentes comme Akila, FUBU ou Walker Wear.
Cela n’a pas échappé à Fabiola Ching, qui a même créé un compte Instagram intitulé @BrownstoneArchives, une ode aux tenues portées dans les séries qui ont bercé son enfance. “La comédie était meilleure, les décors et les costumes étaient plus marquants et plus audacieux ; la télévision des années 90 avait une esthétique un peu cartoons et très illustrée qui a eu un puissant impact”, explique la jeune femme.
En juillet, l’initiative “Strong Black Lead” de Netflix (dédiée à l’amplification des projets portés par des Noir.e.s) a ébranlé le “Black Twitter” (la twittosphère noire) en annonçant que la plateforme de streaming avait obtenu les droits de ces sitcoms cultes. En commentaires, de nombreux fans ont salué l’opportunité d’accéder à ces séries en profitant d’une meilleure qualité d’image que les répliques granuleuses sur YouTube.
Un engouement à la hauteur de la nostalgie de cette époque. Les années 90, antichambre de la société numérique, ont marqué l’histoire de la pop, des téléphones à clapets à l’essor des boys bands, en passant par la celebrity culture et le R&B. C’était l’ère de la romance innocente et de l’ignorance euphorique. Tandis que la politique et l’économie partaient en vrille, cette génération en est ressortie avec une attitude et une indépendance qui transparaissaient particulièrement dans les fringues.
Les esthétiques contradictoires parlaient à tout le monde. Les jeunes filles glamours étaient vêtues d’ensembles à carreaux, de crop tops, de robes à bretelles et de colliers, mâchant des chewing-gums. Les adeptes du grunge, eux, optaient pour des pantalons larges, des chemises en flanelle et des bottes de combat. Dans le streetwear, la tendance était aux maillots de sport extralarges, aux baggys FUBU, aux bobs Kangol et aux ensembles en velours.
A la source, les costumières
Dans les “black sitcoms”, bien souvent, la créativité naissait dans l’esprit des costumières. Alors qu’elle travaillait sur Sister, Sister (1994-99), Ceci, costume designer chevronnée, se souvient que les vedettes (et jumelles) Tia et Tamera Mowry l’avaient surnommée “Ceci aux mains d’argent” pour saluer sa capacité à créer des tenues des plus inédites. En coupant, découpant et peignant à la main leurs vêtements, Ceci prenait plaisir à exprimer une créativité inspirée du scénario.
Son regard était essentiel pour refléter l’identité des personnages. “En général, le style est lié à votre propre personnalité, ce que vous aimez, ce que vous n’aimez pas, votre environnement et la représentation que vous avez du monde. Plus vous en savez sur ces personnages, plus vous savez comment leur donner du style et les faire vivre à travers des vêtements”, confie-t-elle. Dans la série, les jumelles, qui se rencontrent dans un magasin de vêtements, arborent des tenues assorties ou des tenues quasi identiques (collants à carreaux, chapeaux en denim, pantalons taille haute et plusieurs couches). Ce qui, d’après Ceci, était intentionnel. “C’était délicat parce qu’il s’agissait de jumelles, il fallait par conséquent exprimer cette relation symbiotique tout en exposant leurs différences”, poursuit-elle. “J’ai créé la ressemblance en recourant la majeure partie du temps à la même palette de couleurs, mais en veillant à ajouter ou retirer quelque chose.”
Pour Moesha (1996-2001), avec la chanteuse Brandy dans le rôle de Moesha Mitchell, lycéenne de Los Angeles, la costumière Yolanda Braddy a élaboré l’esthétique de la sitcom en se basant sur l’histoire et surtout l’environnement de l’héroïne. La styliste a étudié ce que portaient les adolescents du quartier de Leimert Park à Los Angeles (où Moesha vit), en faisant des repérages du centre commercial au lycée. “Les ressources en main, j’ai apposé ma propre touche aux styles que j’ai vus, pour créer des personnages uniques”, dit-elle. Moesha se voit parée de tresses et d’ensembles deux pièces ; sa meilleure amie Kim Parker (jouée par Countess Vaughn) revêt des tenues façon disco des années 70. Sans oublier la belle-mère de Moesha, Dee (Sheryl Lee Ralph), avec ses costumes monochromes relevés par un bijou.
Girlfriends (2000-08), qui raconte l’histoire de quatre amies proches vivant à Los Angeles, est une sorte de version sophistiquée de Moesha. La série est à la mode du début des années 2000 mais est remplie d’hommages vestimentaires aux années 90 : crop tops, imprimés animaliers, pattes d’eph, bottes au mollet.
Joan, jouée par Tracee Ellis Ross, était la business girl dynamique au chic minimaliste, et l’actrice révélera plus tard sur Twitter que la plupart des vêtements portés lors de la première saison provenaient de sa garde-robe personnelle.
Si les costumières ont dû la jouer DIY sur la garde-robe de ces séries, c’est parce que leurs budgets étaient limités par rapport aux séries aux castings majoritairement blancs, qui bénéficiaient de deux à trois fois plus de moyens. “Il existe une forme de discrimination. On ne nous offre pas les mêmes chances que les productions à plusieurs millions de dollars”, se désole Ceci. “Si vous n’avez pas d’argent, vous devez mettre votre créativité à l’œuvre et faire en sorte que ça fonctionne quand même.” Si l’histoire d’Hollywood est pavée de problèmes d’inégalités (raciales, salariales ou entre homme et femmes), ces injustices demeurent une réalité dans le divertissement.
Ceci estime que le regain d’intérêt pour ces sitcoms noires, pourtant vieilles de plusieurs décennies, est lié à la demande (sans cesse croissante) pour les contenus inclusifs. Ces séries montraient aussi une mode plus colorée et plus imaginative. Pour Yolanda Braddy, le style de cette époque mettait davantage l’accent sur l’individualité, une caractéristique vestimentaire souvent reproduite par les millennials et la génération Z. “La mode présentée dans ces sitcoms a passé l’épreuve du temps parce que c’était de l’excellent travail, estime Ceci. Et surtout, c’était une époque qui ne définissait pas clairement la frontière entre ce qui est à la mode et ce qui ne l’est plus. On célébrait ce qui rendait les gens uniques.”