Ghosting et descente de dopamine
Car cette drague permanente à base de petits cœurs peut aussi faire souffrir. “Tu vois ce que c’est un Instagram heartbreak ?” me demande Noémie. “C’est quand tu te fais ghoster sur Instagram, quand la personne avec qui tu avais commencé une connexion virtuelle ne regarde plus tes stories et qu’elle ne like plus tes posts. Quand tu te rends compte que, pour une raison X ou Y, ton pouvoir érotique auprès d’elle s’est affaibli.”
Physiquement, cette sensation de “heartbreak” virtuel correspond à la baisse soudaine de dopamine, l’hormone du plaisir, dans notre corps. “C’est sur l’activation du système de récompense et de décharge de dopamine que les applications de rencontres et les réseaux sociaux sont fondés. Leur fonctionnement vient réveiller chez nous notre besoin de validation, encore et encore. Le design addictif et simple parachève tout cela”, confirme Judith Duportail, journaliste et autrice de L’Amour sous algorithme, incontournable étude à la première personne disséquant le fonctionnement de Tinder.
On peut donc considérer Instagram comme un immense supermarché dedopamine. Subtilement, il nous introduit dans un royaume où le consensus, l’approbation, l’amour des autres sont la monnaie d’échange. Plus on en récolte, plus on grimpe dans l’échelle sociale numérique. En ce sens, l’amour, reçu ou apporté, ne serait rien d’autre qu’une négociation permanente avec un nouveau dealer.
Bien souvent, je me dis que le premier réflexe que nous avons quand nous nous sentons invalidé.e.s, rejeté.e.s ou abandonné.e..s, c’est de se rendre sur des applis. La recherche effrénée de dopamine et l’idée de regagner de l’estime de soi grâce à Instagram ou Tinder me semble très connectée à la manière dont nous vivons l’amour aujourd’hui. Comme dans un jeu vidéo, je ne veux pas perdre de points, alors je tente d’en regagner grâce aux algorithmes. Pour me sentir comblée. Et peut-être aussi pour me sentir en apparence moins seule.
Émile*, jeune homme trans, me fait part de son expérience douloureuse sur Instagram. Après la fermeture des endroits nocturnes de sa ville, il n’y avait plus que les applis pour sociabiliser en 2020. Le milieu queer semblait mort et avec lui tous les espaces de rencontre et d’échange. Son temps passé sur Instagram a décuplé. “Je ne me sentais jamais vraiment seul. Mais je l’étais complètement. J’étais tributaire de l’affection que mes followers voulaient bien m’accorder”, me dit-il avec une légère amertume.