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Comment les confinements ont été des révélateurs du validisme

Avec le Covid, on n’a jamais autant entendu parler de cette oppression structurelle subie par les personnes handicapées. En partie parce que les confinements nous ont donné un aperçu des conséquences de l’isolement social et que les politiques autour du virus montrent comment notre société hiérarchise les vies, comme nous l’expliquent les militantes Elisa Rojas et Eve Caristan.

Depuis le premier confinement du printemps 2020, les médias mainstream se sont soudainement mis à parler davantage des “personnes vulnérables”. Celles âgées, en surpoids, malades et/ou en situation de handicap méritent en effet une attention particulière face au Covid qui pourrait les affecter plus durement. Mais cette médiatisation a contribué à faire peser sur le plan interpersonnel des enjeux qui pourraient être pris en charge par des mesures gouvernementales afin de protéger au mieux tou.te.s les citoyen.ne.s.

Le covid et la hiérarchisation des vies

Dans ce climat de crise sanitaire, le tri pour l’accès aux soins dans les hôpitaux bondés a mis en évidence que certaines vies valent moins que d’autres. Comme le résumait récemment au média Bastamag Cécile Morin, porte-parole du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (CLHEE), “si la mort biologique [des personnes en situation de handicap] est aussi facilement acceptée, c’est qu’on a déjà l’habitude de leur mort sociale, qu’on a accepté leur mise à l’écart, leur ségrégation.”

Les confinements ont donné un aperçu des conséquences physiques et psychologiques de l’isolement social subi par beaucoup de personnes handicapées, faute d’accessibilité de l’espace public. Le Covid a, en partie, agi comme un révélateur du validisme, qu’il aiguise encore plus. “Le validisme, c’est un système d’oppression. Celui qui infériorise et déshumanise les personnes handicapées en faisant des personnes valides la norme, l’idéal à atteindre et de nous ‘les autres‘. Il s’appuie sur un système de représentations faussées et vient justifier notre exclusion de la société et les politiques publiques menées en matière de handicap”, définit pour Nylon.fr Elisa Rojas, militante des droits des femmes et des personnes en situation de handicap.

“On entend de plus en plus parler de validisme”

Avocate de profession, elle a publié en novembre 2020 Mister T et moi(Editions Marabout), roman d’amour avec le validisme en toile de fond. Quelques mois auparavant, c’est Marina Carlos qui sortait un essai illustré Je vais m’arranger, particulièrement accessible et pédagogique, sur cette oppression à la fois omniprésente et invisible. Deux ouvrages essentiels, écrits par des personnes concernées, au milieu des rares représentations, souvent soit misérabilistes lors du Téléthon, soit héroïsées aux Jeux paralympiques, comme le décrypte parfaitement Marina Carlos dans son livre.

“Sans forcément comprendre tout ce que cela recouvre, je pense que de plus en plus de gens ont entendu parler du validisme ces dernières années via le travail des militant.e.s sur les réseaux sociaux, et c’est tant mieux”, se réjouit Elisa Rojas. Avant de nuancer : “Mais cela reste un impensé car la France n’a pas la même histoire militante que d’autres pays, ni de champ académique équivalent aux disability studies, qui ont fait émerger cette notion dans les pays anglo-saxons.”

Si cette violence structurelle est de plus en plus dénoncée, même le Covid n’a pas permis de prise de conscience collective suffisante, poursuit l’autrice et avocate : “Au contraire, il n’a fait que rendre encore plus évident l’individualisme et l’hypocrisie de notre société qui, en réalité, ne se contente pas d’ignorer les personnes qu’elle qualifie de ‘vulnérables’, mais se montre prête à les sacrifier à la première occasion.”

 

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Le handicap, trop souvent associé au bénévolat

Interprète en langue des signes française (LSF), Eve Caristan partage ce constat plus que mitigé : “Le Covid est comme un exhausteur de goût. Toutes les situations d’inégalité et d’oppression sont devenues plus évidentes, saillantes. Face au virus, beaucoup de choses ont basculé en distanciel, par exemple. Mais quand les cours passent en visio, avec un.e prof au micro qui n’allume pas forcément sa caméra, les étudiant.e.s sourd.e.s qui ne maîtrisent pas la LSF ou ne passent pas par le truchement d’un interprète ont peiné à suivre, faute de transcription ou de pouvoir lire sur les lèvres.” Même dans l’espace public, la lecture labiale a été empêchée par le port du masque. Or, ce n’est pas une nouvelle difficulté apparue du jour au lendemain qui disparaîtra avec le Covid, mais bien une manifestation supplémentaire du genre de problèmes de communication dont notre société validiste se déresponsabilise complètement.” Laissant tout, ou presque, à la charge des personnes dites en situation de handicap.

Membre de In Situ Quo, convergence de professionnel.les signant.es, et cofondatrice des Mains Paillettes, collectif queer de personnes sourdes signantes et de personnes entendantes signantes, Eve Caristan constate en effet que le handicap est trop souvent associé au bénévolat : “On voit de plus en plus d’interprètes LSF dans les médias, mais ces professionnel.le.s, qui sont surtout des femmes, ont subi énormément de moqueries et de cyberharcèlement sur les réseaux sociaux, particulièrement durant le Covid. Elles sont rarement payé.e.s à la hauteur de leurs compétences : moitié moins, voire seulement un tiers de ce que touchent des interprètes en langues vocales. On ne demanderait pas avec autant de facilité à un.e interprète anglais-espagnol de travailler bénévolement. Plein de métiers en contact avec le public dit handicapé sont associés à une œuvre de charité.”

La place du validisme dans l’agenda féministe

Bien placées pour comprendre les liens entre métiers du care et précarité, les féministes participent grandement à la dénonciation du validisme. Surtout depuis le Covid qui a compliqué encore plus la vie de beaucoup de femmes dites en situation de handicap. Mais de nombreux biais et impensés validistes subsistent, regrette l’interprète LSF : “Par exemple, des féministes se sont beaucoup inquiétées pour le 3919, le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences, sans se soucier du fait qu’il n’était pas accessible en LSF jusqu’au premier confinement. Il a fallu que deux assos, SOS Surdus et Femmes sourdes citoyennes et solidaires, prennent en charge l’équivalent du 3919 en langue des signes.”

Lentement mais sûrement, le validisme devient un enjeu mieux pris en compte dans l’agenda féministe, notamment grâce aux réseaux sociaux. Comme l’a prouvé la circulation cet hiver de la pétition pour la désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Le calcul de cette aide allouée par l’État en fonction des revenus du foyer s’avère très hétéro-patriarcal, nous explique Eve Caristan : “Ce qui est censé favoriser l’autonomie des personnes handicapées peut en fait les rendre dépendantes de leur conjoint.e. Imaginez les difficultés à surmonter en cas de conflit, voire de violences conjugales, pour quitter le domicile et désolidariser ses revenus. Le système français est très attaché à la notion de foyer, et ce de manière très hétéronormée et patriarcale. On ne devrait pas avoir à choisir entre l’amour et l’AAH aujourd’hui en France.” Ce qui est plus facile à comprendre depuis les confinements qui ont grandement sensibilisé le grand public aux problèmes des violences conjugales, qui peuvent également passer par des violences économiques.

La violence psychologique des politiques autour du Covid

“Je ne pense pas que le validisme soit suffisamment pris en compte dans les luttes féministes actuelles alors qu’il le devrait, puisque les femmes handicapées sont tristement aux ‘premières loges’ en matière de violences”, prolonge Elisa Rojas, qui espère que la désinstitutionnalisation deviendra un sujet majeur : “Comment peut-on accepter que des enfants et des femmes handicapées soient transformées en proies face aux abus de toute sorte dans des institutions réservées aux personnes handicapées ?”

En attendant, les politiques autour du Covid contribuent à rendre le validisme encore plus évident. “La situation est toujours d’une grande violence psychologique pour les personnes handicapées et/ou malades à haut risque face au virus”, alerte Elisa Rojas, insurgée par les stratégies de vaccination et de confinement. De quoi creuser encore l’écart et l’incompréhension entre les personnes handicapées et/ou malades et les personnes valides sans problèmes de santé particuliers, s’inquiète l’avocate : “Les premières risquent concrètement de mourir, ont une expérience de l’hôpital et de la vulnérabilité physique concrète, et vivent dans la peur depuis le début de l’épidémie. Ce qui n’est pas tout à fait le cas des secondes pour qui le danger reste ‘abstrait’ et qui ne peuvent donc partager véritablement nos craintes. Comment communiquer avec des personnes valides qui se sentent quasiment ‘invincibles’ quand vous avez une expérience de vie qui vous a donné une conscience accrue de votre propre fragilité et mortalité ?”

 

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