You know it, I know it, dans le sillage des multiples revivals rock, le courant emo, tendre antihéros du Y2K, est en place, entre le come-back d’Avril Lavigne, cover star de NYLON, le clan de Travis Barker, l’esthétique Tokio Hotel ou Green Day, et le festival dédié, When We Were Young. Au centre de la sensibilité emo ? Précisément être fièrement sensible. La certitude que le geste le plus radical est finalement de se montrer le plus vulnérable. En décrétant “I’m a loser baby”, la masculinité de l’époque prenait la force de l’être, justement. Anti-american dream, tirant vers un romantisme high school sombre, aujourd’hui, cette mise en langage des sentiments se réinvente avec comme boîte à outils un parlé et des échanges URL.
Ce qui m’intéresse dans le courant emo, et dans la conscientisation des émotions, c’est à quel point ce mouvement est représentatif dans son époque. Les années 2000, c’était la promulgation de corps genrés, entre jocks et cheerleaders, comme une critique désabusée des idéaux sur cette terre de tous les possibles (ou presque). Aujourd’hui, à l’heure de l’“extimité” sous stéroïdes (la mise en scène et à profit de son intimité), d’un soi régulé au centimètre de peau près, quel genre d’impalpable reste-t-il à narrer dans la culture de l’image bankable ?
Déjà, donner un espace et une reconnaissance aux émotions a priori futiles – notamment celles liées à la culture des réseaux sociaux : le sentiment d’abandon après une chute de son nombre de followers, la parano après un “vu”, la crainte d’être déjà en échec socioprofessionnel à 19 ans. Dans une sensibilité hashtaguée et mondialisée, angst, wanderlust, spleen ou blues mutent-ils aussi ?
Je suis la première à trouver mille pirouettes, théories approximatives, moonwalks et macarenas du cerveau pour ne pas me regarder en face. J’ai toujours pensé qu’intellectualiser froidement un vécu pouvait me permettre d’outrepasser son pouvoir émotif, qu’une rationalisation pouvait avoir la force d’un basculement sensible.