La reine du pop-punk est de retour pour faire ce qu’elle fait le mieux : être Avril Lavigne
Nous étions en 2004, et Avril Lavigne, 19 ans, arrivait à son premier shoot photo pour la couverture de NYLON avec un look devenu une référence dans la culture pop : des Dr. Martens, des tenues couvertes de “beaucoup de clous et de fermetures Éclair”, comme le décrivait l’article ; des cheveux naturels sur le haut, teints dark en dessous. Dix-sept ans plus tard, elle arrive à sa nouvelle séance de photos pour la couverture de NYLON – sa cinquième – comme si des dizaines de tendances de style n’avaient pas traversé la mode depuis. Ses cheveux sont plus clairs, ses chaussures sont compensées avec des fermetures Éclair en forme de lames de rasoir ; ses jeans sont larges et déchirés au niveau du genou, comme si elle revenait d’une virée en skate. En 2004, ce look était étrillé par les critiques, qui la voyaient comme une ado vendeuse de punk préfabriqué, mais Lavigne ne partage pas cet avis. Enfoncée dans un canapé en cuir dans un studio au cœur de Los Angeles, elle se souvient des premières séances de photos où c’était elle qui décidait. “J’arrivais et ils me disaient : ‘Peut-elle porter ce chemisier rose ?’ Et je disais : “Je ne porterai pas ça.” Je sortais mon cartable, et toutes mes cravates. C’était mon truc.”
Haut SARAH APHRODITE / Pantalon GANNI / Bottes GIUSEPPE ZANOTTI
Lorsqu’Avril Lavigne a fait son apparition sur MTV avec son single “Complicated”, vêtue de ces mêmes cravates, il aurait été facile d’y voir un phénomène sans lendemain : elle était l’antidote grognon à la pop rose bonbon de Britney et Christina, un stimulant pour ceux qui aiment la pop avec quelques riffs de guitare. Ses plus de 40 millions de disques vendus dans le monde, ses huit nominations aux Grammy Awards et un record mondial au Guinness racontent une autre histoire. Aujourd’hui, à 37 ans, elle a pris de la bouteille, mais, alors qu’elle prépare la sortie de son septième album, elle continue de faire les choses à sa façon. “Il n’y a rien que j’aurais aimé faire différemment”, dit-elle quelques heures à peine après la sortie du premier extrait de son prochain album.
Malgré cette matinée agitée, elle se met au travail dès qu’elle arrive sur le plateau, s’installe pour l’interview quelques instants après son arrivée, ne s’arrêtant qu’une seule fois pour demander à son assistant un thé et une banane, qu’elle ne touchera finalement pas. “Quand j’y repense, il y avait des trucs drôles, dit-elle. Je n’avais pas de styliste et pendant un an, je portais mes propres vêtements que je sortais de ma valise, encore et encore. Je n’avais ni maquilleuse ni coiffeuse. J’étais là avec mes cheveux crados, en mode rock. Mais c’est aussi ce qui m’a fait devenir moi.”
Le jardin des Lavigne à Malibu abrite les éléments classiques d’une maison de stars, plus quelque chose d’unique : une mini-rampe half-pipe de skate. Son histoire vaut la peine d’être racontée. Elle a commencé, comme peut-être beaucoup d’histoires hollywoodiennes, chez Diplo. “Il a un énorme half-pipe, et il y avait une fête un soir et Brody [Jenner, le petit ami de Lavigne de 2010 à 2012] et Mod [Sun, le chanteur pop-punk et le partenaire actuel de Lavigne] étaient là et chantaient ‘Sk8er Boi’. J’ai dit : “C’est trop fun. Il m’en faut un.” C’est ce qu’elle a fait, et la rampe de skate est devenue un véritable succès, l’équivalent chez les célébrités du château gonflable pour amuser leur entourage riche et célèbre en visite. “Au début, seul mon petit ami s’en servait, et c’est un très bon skateur. Puis MGK [Machine Gun Kelly] et Megan [Fox] sont venus faire un petit barbecue pour le Memorial Day, alors on a fait un peu de skateboard dans le jardin.”
Veste AMI PARIS / Body FLEUR DU MAL / Leggings UNDERCOVER / Bottes GIUSEPPE ZANOTTI
C’est alors que Lavigne a eu une idée. Depuis des années, son équipe la poussait à rejoindre TikTok. Mais Avril Lavigne allait-elle véritablement se contenter d’apparaître en train de danser sur une chanson de Doja Cat ou de préparer des pâtes à la feta ? “Ils voulaient que je commence avec les tendances et tous ces trucs, et j’ai dit : ‘Beurk, non, je ne fais pas ça.’ Puis je me suis dit : ‘Écoute, je vais poster quelque chose ; pourquoi ne pas simplement poster ‘Sk8er Boi’ et mettre Tony Hawk dedans ?’ Je lui ai envoyé un DM et il a répondu tout de suite.” L’interprète de “Sk8er Boi” avait-elle déjà croisé le plus grand skateur de sa génération ? “Oh non, nous ne nous étions jamais rencontrés, précise-t-elle. J’étais juste genre, ‘Hey, je suis une énorme fan, tu es une putain d’icône. Je vais lancer mon TikTok, et j’aimerais que tu me fasses l’honneur de jouer dans une vidéo avec moi, dans laquelle je jouerai ‘Sk8er Boi’. Il a dit : ‘Bien sûr.’ Il est venu. Il a amené sa filleule, qui était une fan, et on a fait un petit barbecue.”
“Le skate n’était pas considéré cool quand je grandissais. Avril a aidé à changer cette vision grâce à une chanson, et je suis reconnaissant de son aide”, écrit Hawk dans un e-mail. “J’ai accepté de faire la vidéo TikTok parce que je ne peux pas compter combien de fois les gens m’ont cité la chanson ‘Sk8er Boi’, en ligne et en personne. Elle a été un catalyseur pour faire découvrir le skate à une génération de jeunes filles et a inspiré beaucoup d’entre elles à s’y essayer. Lizzie Armanto [la skateuse professionnelle qui a récemment représenté la Finlande aux Jeux olympiques] et ma filleule Olivia étaient toutes deux impatientes de la rencontrer pour cette raison précise.”
La version finale de la vidéo TikTok dévoile Lavigne, arborant un e de ses cravates iconiques, en train de chanter en playback le tube de 2002 avant de tourner la caméra vers Hawk, lui aussi portant une cravate, qui skate dans le half-pipe. C’est simple mais génial – et cela a été vu plus de 34 millions de fois. Après ça, Lavigne est restée trois mois sans rien poster. “Tout le monde me répétait : ‘Wow, tu dois continuer à poster.’ J’ai dit : ‘Non, je ne vais pas poster juste pour poster. J’ai survécu jusqu’ici sans le faire, je pense que ça va aller.’”
Robe ANN DEMEULEMEESTER / Bagues MARIA BLACK
Avril Lavigne prend le fait d’être Avril Lavigne très au sérieux. Le matin de notre entretien, elle a passé le trajet de près d’une heure vers le shoot à partager sur Instagram des informations sur son nouveau single. Avril Lavigne gère elle-même tous ses réseaux sociaux. “Je ne peux pas demander à d’autres personnes de le faire pour moi parce qu’elles disent des choses cucul ou elles ont de très mauvaises idées, explique-t-elle. Je suis très impliquée et je dois tout inventer. J’ai planifié tous les messages et le reste pour aujourd’hui.” Elle surveille son compte au cours de la journée, vérifie les retombées de temps en temps, mais prend surtout le temps d’interagir avec les fans et de “commenter, parler, discuter avec les gens”.
Il en a été ainsi pendant toute sa carrière, tout simplement parce qu’elle ne sait pas faire autrement. “Au début, je prenais l’avion, j’avais une voiture, je mettais ma propre valise dans la voiture, je me conduisais partout où je devais aller, dit-elle. Et quand j’y repense, je me demande pourquoi le label ou mes managers de l’époque ne se sont pas dit : ‘Peut-être qu’on devrait lui fournir quelqu’un pour la coiffure et le maquillage lors des tournées ou pour l’aider à choisir ses vêtements ?’ C’est le genre de choses, quand j’y repense, je me dis que j’aurais pu être plus aidée.”
Bien qu’elle s’efforce d’être la plus authentique possible, elle n’est pas contre les tendances nouvelles. Elle se dit ainsi ouverte à l’idée d’une ligne de produits de beauté ou d’autres produits à condition que cela soit “totalement elle”. Mais à une époque où de nombreuses pop stars signent le premier contrat de marque qui leur est proposé, Lavigne a appris à dire non. “Ça a toujours été un combat. Me battre pour faire la musique que je veux faire. Me battre pour m’habiller comme je veux. Je me bats pour que les choses soient comme je veux qu’elles soient, dit-elle. Mais oui, c’est du travail. Rien de ce que je fais n’est facile. Je vous raconte même pas tout ce que j’endure. Des trucs que je comprends même pas, et je suis là : mais pourquoi je fais ça ? Et ensuite, je me dis : ‘Je le fais parce que je veux le faire.’”
“Bite Me”, le premier single du prochain album d’Avril Lavigne, qui sortira en février, délivre exactement ce que l’on attend d’une chanson d’Avril Lavigne. “Hey toi, tu devrais savoir qu’il ne faut pas te frotter à quelqu’un comme moi/Hey toi, pour toujours tu vas espérer que je sois ta meuf/ Tu aurais dû t’accrocher, tu aurais dû me traiter correctement/ Je t’ai donné une chance, t’en auras plus/ Hey toi, nous ne serons jamais ensemble, alors baby, tu peux aller te faire foutre”, chante-t-elle sur la batterie nerveuse de Travis Barker.
C’est l’introduction parfaite à cet album que Lavigne désigne comme son disque le plus alternatif du début à la fin. “C’est le premier album qui n’est que du rock tout du long, dit-elle. Il y a eu un moment où le label a dit : ‘La radio ne veut plus entendre de guitares.’ Les batteries live ont disparu. Et on n’entendait plus de vraies guitares électriques. Je jongle constamment entre ma volonté de faire la musique que je veux faire et le fait d’avoir une entreprise derrière moi qui influence ce que je fais.” Il a fallu plusieurs étapes pour que Lavigne soit prête à créer l’album. Tout d’abord, elle était libre de tout engagement : “Je n’avais pas de manager ou de label à l’époque”, explique-t-elle. Son précédent album, Head Above Water, en 2019, était sorti sur BMG, mais le deal ne portait que sur un seul disque, et puis la pandémie a frappé. Seule chez elle, elle a commencé à écrire de la musique, non pas parce qu’elle avait un contrat à remplir, mais simplement parce qu’elle en avait envie. “Il n’y avait personne du côté business qui me disait ce que je pouvais ou ne pouvais pas faire, et je me suis dit qu’à ce stade de ma carrière, je n’avais pas besoin d’être là. Je ne suis pas obligée de faire de la musique. Je suis ici parce que je le veux.”
Son vieil ami Travis Barker, avec qui elle avait déjà collaboré autour de The Best Damn Thing en 2007, a également joué un rôle important. Elle avait assisté au retour en force de son style pop-punk – grâce, en grande partie, à sa collaboration à succès de 2020 avec Machine Gun Kelly sur l’album du rappeur Tickets to My Downfall – jusqu’à ce qu’elle le recroise par l’intermédiaire d’amis communs et qu’il l’invite à venir dans son studio pour une session.
Elle a immédiatement dit oui. “Je l’ai vu passer du statut de membre d’un groupe à celui d’un des meilleurs batteurs du monde, puis d’auteur-producteur à propriétaire de son propre label, sur lequel je viens de signer, dit-elle. J’étais tellement contente pour lui et Kels quand leur album est devenu numéro 1. Je me suis dit : ‘Putain, la musique pop-punk est de retour et les gens aiment ça.’”
Haut KHAITE / Pantalon GANNI / Collier pendentif croix CHANEL / Collier pendentif coeur MONDO MONDO
C’est le fait de travailler entre amis qui a fait de l’enregistrement de l’album un si bon moment, estime Lavigne (Kelly apparaît également sur un titre qu’il a coécrit). “Je ne me suis jamais autant amusée à faire un disque, dit-elle. J’avais l’impression de traîner avec des potes, comme quand j’étais au lycée.”
L’écriture de l’album a commencé durant une période de turbulences pour Lavigne. Le cœur brisé (ses mots) et fraîchement sortie d’une relation, elle a déménagé à Malibu pour entreprendre un nouveau départ. “Honnêtement, je croyais vraiment à l’amour. Et puis j’en ai bavé, dit-elle. Je me suis remise sur pied et j’ai entamé une relation, pour finalement me faire avoir à nouveau. Je me disais : ‘Je n’arrive pas à croire que j’ai été blessée ou maltraitée par autant de personnes. J’ai besoin de faire une pause dans mes relations. J’ai l’impression qu’on m’a coupé le souffle encore et encore. J’en ai marre. J’ai besoin de prendre soin de moi en ce moment.’ Alors j’ai acheté une maison, et je n’attendais plus d’avoir un mec pour envisager l’avenir. Je me suis dit : “Je fais ça pour moi maintenant. Je suis la seule personne, je suis la seule sur qui je peux compter.”
Elle a transposé cette énergie en studio, travaillant avec les producteurs John Feldman et Mod Sun, ainsi qu’avec Barker, en crachant des couplets comme “Ne retiens pas ton souffle parce que tu t’étouffes encore avec tes mots / Ces choses que tu as dites sont peut-être les dernières que j’ai entendues.” Mais voici la chute : elle est aussi tombée amoureuse. “C’est hilarant”, lâche-t-elle. Elle décrit sa relation avec Sun, un rockeur pop-punk à l’esprit libre, comme inévitable, à son grand désarroi. “J’ai essayé de résister, très fort, dit-elle. Je n’ai jamais autant essayé.” Le fait de s’engager dans une nouvelle relation tout en ressassant la douleur du passé a donné naissance au morceau le plus vulnérable de l’album, le titre qui se rapproche le plus d’une ballade dans cette tracklist qui carbure au rock. “J’ai écrit ce morceau toute seule, explique-t-elle. Je me suis dit : ‘OK, ne me dis pas que tu m’aimes à moins que tu ne le penses vraiment. Parce que je ne veux pas me retrouver à nouveau dans la merde.’”
“L’album est léger et joyeux, même s’il y a des chansons sur les cœurs brisés et la rupture, poursuit-elle. Mais c’est aussi un hymne, c’est puissant, et il porte un message positif pour les gens, pour leur dire de se battre et d’avoir de l’estime de soi.” C’est l’album, dit-elle, “que j’ai voulu faire pendant toute ma carrière”.
Robe et cape CHANEL / Collants FALKE
En 2022, Lavigne aura droit à son étoile sur le Hollywood Walk of Fame. Cet honneur coïncide avec un anniversaire important : cet été, cela fera vingt ans que Lavigne a sorti son premier album, Let Go.
La chanteuse promet une année de célébrations pour cette étape importante, parallèlement à une tournée mondiale pour son nouvel album. “Je pense tout le temps à mon premier album, dit-elle. C’était ma première tournée, la première fois que je m’entendais à la radio. C’était juste un moment énorme dans ma vie. Ma vie entière n’a été que ma carrière.” Elle est là depuis assez longtemps pour être aujourd’hui citée comme une influence chez les plus grandes pop stars du moment, notamment Billie Eilish, Willow Smith et Olivia Rodrigo. Lavigne n’a que des mots d’encouragement pour ces nouvelles têtes d’affiche. “C’est agréable de voir d’autres artistes féminines arriver, travailler sur une musique comme celle-ci dans un monde dominé par les hommes”, dit-elle.
Lavigne peut également se souvenir de ce que c’était que d’avoir cet âge. Récemment, elle a assisté à ses premiers Video Music Awards depuis plus de dix ans, et des souvenirs lui sont revenus en tête. “Oh, je ne me rappelle pas du tout avoir gagné ce premier Moon Man”, dit-elle, avant de se lancer dans le récit d’un photocall sur le tapis rouge qui a déclenché 1 000 mèmes, comme si le souvenir venait de lui revenir. “Puis, pour le deuxième disque, Kelly Osbourne et moi nous sommes dit : “Allons-y ensemble.” Nous avions décidé d’être la cavalière l’une de l’autre, nous avons dormi dans le même hôtel, et nous avons traîné ensemble après.” Les photos sont légendaires : Lavigne et Osbourne en full gothique, faisant un doigt d’honneur aux photographes, comme si elles sortaient de leur shift chez Hot Topic. Les photos apparaissent encore presque quotidiennement sur Twitter dix-huit ans plus tard. Lavigne n’était pas au courant. “Vraiment ?, dit-elle. Wow. On traînait juste beaucoup ensemble à l’époque. On s’est bien marrées.”
Elle ne le sait peut-être pas, mais cette photo est iconique parce que c’est comme ça : Avril Lavigne est une icône. Et maintenant, elle en connaît le pouvoir : “Peut-être que je devrais me déguiser en moi-même pour le prochain Halloween.”
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