Mon Compte Shop
Mode

À la recherche de l’indie sleaze 3.0

Ce revival doit-il se remettre à jour pour prendre en compte la culture woke actuelle, du body-positive à la diversité ? 

Le 10 février, le créateur Hedi Slimane présentait la collection masculine automne-hiver 2023 de Celine, maison dont il assure la direction artistique depuis cinq ans. Là, dans les murs du Palace, club mythique des nuits parisiennes of yesteryear, il se replongeait, more than ever perhaps, dans une citation de ses propres débuts chez Dior Homme de 2000 à 2007. Et inaugurait le retour de l’indie sleaze, annoncé sur les réseaux depuis des mois déjà mais coming right at ya this winter.

L’indie sleaze, c’est une tendance qui a jailli initialement au lendemain de la vague Y2K, prenant le contrepied de cette trend faite de strass et de gloss en proposant un rétro tourné vers des very british 60’s fantasmées. Think Pete Doherty, Arctic Monkeys, Alexa Chung, The Kooks dans un East London fourmillant de friperies, studios musicaux et espaces industriels. Une vague qui se rêve comme la digne héritière des mods des années 60 et 70 du pays. Après le punk, ce courant s’emparait d’un autre genre de “No Future” : tourné vers un passé fictionnel et un jeu de nostalgie costumé et cravaté – permettant d’articuler à la fois une critique des classes dominantes et de ses propres parents. Pessimiste et pince-sans-rire, de The Who à la Beatlesmania, un nouveau volet de l’enfant terrible – et terriblement blasé – était né, qui n’a cessé d’animer le regard de Slimane.

 

View this post on Instagram

 

A post shared by CELINE (@celine)

Là, dans ce défilé revival-d’un-revival, c’est une galerie des Glaces de mises en abyme que découvre le public : se succèdent des pantalons slim (they’re back, I fear), des souliers pointus winklepickers, des cravates fines, foulards et trouser suits aussi minces que les corps qu’ils dessinent ; du cuir, des clous, des garçons frangés, encore et encore.

C’est particulièrement drôle pour moi de voir cette époque encapsulée sur un runway, l’ayant vécu first hand. Etudiante, je déménageais à Shoreditch et découvrais un quartier et un sens du style, des valeurs et un rapport à la culture aux antipodes du pseudo-bling exubérant que je quittais. Bonne route, mes rêves de chihuahua au collier Swarovski et sac Louis Vuitton assortis, adieu tentative de rentrer au VIP Room, see you around mulet Toni&Guy. Soudain, je ne rêvais pas d’ailleurs mais d’avant – les deux de parfaites fictions sur la direction que prenaient mes propres questionnements intimes. If new trends bring new possibilities, j’ai donc, au passage, quitté le tout-sexy, le piercing au nombril, le jean taille basse (et string apparent), le crop top, le gloss qu’il vente ou qu’il pleuve (dans lequel se collent les cheveux of course, les vrai.e.s savent).

Une autre version de moi-même était à un relooking près, cette fois-ci par un prisme vaguely sixties, ce qui m’enchantait. J’étais décidée à vivre dans mon propre film Nouvelle Vague, et plus spécifiquement dans la peau de l’actrice Anna Karina, mon auto-muse. Me voilà gambadant dans les rues de Liverpool Street, frange (impossible à garder lisse mais c’est une autre affaire), cheveux montés en beehive, eye-liner calligraphique, faux cils, robe à pois, trench-coat vert pomme, collants blancs, ballerines vernies. Je rêvais de ne dialoguer qu’avec des répliques du film Alphaville, de fumer sans les mains devant un soleil Technicolor digne de Pierrot le Fou, Belmondo en moins, un exemplaire de Libération (daté de 1965) en plus. Les injonctions entrelacées contenues dans ces idéaux, intériorisées et jamais questionnées, ne me sont apparues que beaucoup plus tard.

Rétro sans être rétrograde ?

Effectivement, cette culture a des limites indéniables, à considérer absolument si elle doit revenir aujourd’hui. You know it, l’indie sleaze, dans son itération première, dénote par un manque notable de diversité, d’inclusivité, de célébration de tous les corps et les cultures – dans une Angleterre pourtant si riche et multiculturelle. Slim, marinière, Perfecto, frange et cheveux longs n’étaient ouverts qu’à une infime minorité de corps, de référents, de lieux et de milieux, mais étaient soudainement annoncés comme l’uniforme de la relève du pays. 

C’était comme quand la vague mod s’est exportée en France : ici, elle devint une affaire bourgeoise, un vernis chic pour les masses estudiantines privilégiées, qui accompagnait, certes,  les soulèvements de Mai 68 mais invisibilisaient les violences policières assourdissantes dans le climat colonial et migratoire français de l’époque – comme figées dans un lointain arrière-plan. 

Dans les années 2000, ce sont les BB Brunes et Les Plastiscines qui installent une grammaire stylistique crypto-BCBG,  oubliant l’ascenseur social que représentait l’industrie indie musicale anglaise, mais aussi l’absence de diversité dans le climat culturel français et la brutalité policière qui résonnait dans tout le pays. Whose freedom of expression are we talking about ?

Aujourd’hui, ce revival indie sleaze pose question dans une nouvelle époque post-MeToo, en pleine culture woke, avec les progrès autour des questions de représentation, de visibilité, de body-positivity. Cette tendance, cette vision de la jeunesse, peut et doit être repensée autant que retaillée pour inclure plus de corps, d’origines, d’idéaux de génération, d’abilities.  

Un revival n’est pas une répétition mais une citation

Alors, si le revival n’est pas une réitération mais une citation où se télescopent toutes ces apparitions dans l’histoire dans un jeu autoréférencé, quelle matière à penser, rêver, narrer, peut permettre cet indie sleaze-là ? Quels outils et micro-utopies soufflées par une paire de lunettes portées en intérieur et dans le noir ?

La sociologue Svetlana Boym distingue (dans son livre The Future of Nostalgia) deux typologies de nostalgie : la première, la “nostalgie restauratrice”, pleure une unité perdue, passéiste, réac ; la seconde est une “nostalgie réflexive”, qui accepte la relecture comme fonction et moteur d’un “processus d’exil permanent” : dans le temps, face à soi-même. Comprendre cette impossibilité de revisiter “un moment quand on visite un monument” (dixit Simon Reynolds, l’auteur de Rétromania). Et réaliser que la nostalgie, spatiale, temporelle, est une fonction vitale de l’imaginaire intime en balancier avec un hyper-présent actuel.

Alors, si un revival doit être plus qu’un pastiche, un sample ou un jeu de miroirs, et qu’il doit introduire une dose d’étrangeté et de regard vers l’avant, quelles expressions de genre et quelles mécaniques communautaires peuvent être activées ? Des productions musicales et culturelles locales et à petite échelle, dans un esprit de décroissance et de solidarité, déjà. Mais aussi une autre vulnérabilité souriante et sincère – comme dans le britaliano des Måneskin, les paillettes d’Yves Tumor, la queerness et neuro-atypie discutée haut et fort de Yungblud. 

L’indie sleaze, sorte de kitsch approximatif, est à prendre entre guillemets. Y lire des rêves touchants de rockeur.se roulant des mécaniques vers un peu plus de sentimentalité. Tendant la main vers plus de sueur, de concerts sans clim, de crasse et de bière tiède. Et pas de wi-fi. Ni de green juice. Des moments de joie temporaire en attendant bonheur et plénitude – la vie en chair et en os. All much needed these days, quand demain n’a jamais semblé plus compromis, que la vie est courte mais que la nuit est longue.

voir l'article
voir l'article
Mode

À la recherche de l’indie sleaze 3.0

Se Connecter

Mot de pass oublié ?

Nouveau mot de passe

S'Inscrire* Champs obligatoir

FermerFermer